Sociétés de secours mutuels

Au XIXe siècle, les frontières entre les compagnonnages et les sociétés de secours mutuels ne sont pas toujours bien définies.

En effet, dans de nombreuses villes, les compagnons qui ont terminé leur Tour de France se forment en sociétés de secours mutuels et continuent ainsi à assurer la cohésion du métier tout en préservant leurs intérêts.

Les caisses de ces sociétés de secours mutuels versent un pécule à leurs membres en cas de maladie, et payent les frais de leur enterrement en cas de décès, moyennant un droit d’entrée et une cotisation mensuelle.

Le compagnonnage, à l’évidence, constitue le modèle sur lequel s’est calquée l’organisation des sociétés de secours mutuels. Arnaud, Libourne le Décidé, dans Les mémoires d’un compagnon, évoque par contre sa déception face a ce que devrait être pour lui l’entraide compagnonnique :

…Eh bien, mon ami, le lendemain je tombai sérieusement malade, et, comme je n’avais pas les moyens de me faire traiter en ville, je me traînai jusqu’à l’hôpital, d’où je fis savoir l’état de ma position à la société à laquelle j’appartenais, espérant qu’elle me ferait passer les secours supplémentaires, indispensables dans ces sortes d’établissements, où souvent on est fort négligé.

Je fus bien trompé dans mon attente ; pas un compagnon ne vint me voir pendant tout le temps qu’a duré ma maladie. Je ne sais pourquoi ils ont insulté à mon malheur : mais ils me payeront cher ce manque d’intérêt fraternel.

Bah ! Bah ! dit Martel, oublie tout cela, que diable. Quand tu iras chez la Mère, tu leur diras ta façon de penser, et s’ils ont un peu de cœur, ils conviendront de leurs torts et ils te feront, j’en suis sûr, toutes les excuses désirables…

L’État, quoique méfiant envers les sociétés constituées de cotisants du même métier, accorda fréquemment son autorisation, dès lors que qu’elles annonçaient vouloir faire œuvre de secours et d’assistance.

 

UN PEU D’HISTOIRE …

De nombreuses sociétés se formèrent dès le Premier Empire et leur nombre ne cessa d’augmenter. De sociétés de secours mutuels, elles devinrent sociétés de résistance et disposèrent pour cela d’un capital constitué par les droits d’entrée et les cotisations des membres, ce capital pouvant servir à subvenir aux besoins de ses membres en cas de grèves.

Les compagnonnages trouvaient ainsi en toute légalité une façon de détourner l’interdiction de toutes formes d’association. En effet le droit d’association n’a été reconnu qu’en 1901, sous la Troisième République, par la loi Waldeck-Rousseau.

Le commissaire de police de Marseille signalait, en 1855, qu’il était de notoriété publique que presque toutes les sociétés soi-disant bénévoles n’étaient rien d’autres que des associations professionnelles, au sein desquelles des réglementations étaient souvent contraires à l’intérêt général.

Une première association – hors compagnonnage – fondée par des ouvriers boulangers de la capitale, fut la société de secours mutuels des garçons boulangers, créée le 5 septembre 1820, et dont le siège était 9, rue Saint Paul. La cotisation y était de 3 francs par mois et le droit d’admission était de 35 francs. La limite d’âge pour être admis était de 35 ans ; exceptionnellement 40 ans, mais, en payant les cotisations échues depuis l’âge de 35 ans.

Les secours en cas de maladie étaient fixés à 3 francs par jour pendant 3 mois, et ensuite 1 franc par jour jusqu’à guérison. La société se proposait d’accorder une pension de 250 francs par an à ses membres lorsqu’ils auraient 55 ans d’âge. Cette société n’eut pas un grand succès parmi les ouvriers boulangers. En 1822, elle comptait 37 membres, en 1830, 18 membres, en 1840, 150 membres, puis elle disparut par suite de l’épuisement de l’avoir social.

Voici une demande de formation d’une société de secours mutuels par les compagnons boulangers de la ville de Montpellier, le 16 novembre 1842 :

« Monsieur le maire,
Les ouvriers Boulangers travaillant en cette ville désirent former entre eux une Société de Secours qui s’étendra non seulement sur ceux qui sont ici, mais sur leurs camarades passants qui faute d’ouvrage se trouveraient dans le besoin, ils vous prient de leur permettre de se réunir une fois par mois chez le sieur Silvain Naurbier, aubergiste rue Multipliant n°11, dans un appartement au premier étage pour y tenir leurs séances et payer leurs cotisations pour former la malle de Secours.
Ils ont confiance que dans une circonstance qui n’a que d’autre but que celui de s’entre secourir il vous plaira de leur accorder votre agrément, promettant de n’occasionner aucun trouble et de maintenir l’ordre et la décence dans leurs assemblées et se rendant solidaires les uns des autres. Ils ont l’honneur d’être avec respect,
Monsieur le maire, vos humbles et dévoués serviteurs.
Thuly, Lorient Cœur de Roi, C. Boulanger Vesière, de Clermont, l’Héraut, la Franchise, C. Boulanger (Probablement Montpellier la Franchise.), Millien, de Nevers, Rose d’Amour, C. Boulanger Toussaint Ardisson de Pérols Baille Jean, Rouergue. »
Montpellier le 16 novembre 1842.

Courrier du 16 novembre 1842, des compagnons boulangers du Devoir de Montpellier adressé au maire de la ville, pour obtenir l’autorisation de se constituer en société de secours mutuels.

Note sur le côté du document : Il me paraît qu’il n’y a aucun inconvénient à accorder cette autorisation, le 19 novembre 1842. N. Saladini.

Premier point important : Nous observons que c’est sous le couvert de sociétés de secours mutuels que le compagnonnage des boulangers a officiellement pignon sur rue. Second point important dans cette demande, elle est faite par les compagnons sédentaires de la ville de Montpellier, qui informent :

Société de Secours qui s’étendra non seulement sur ceux qui sont ici, mais sur leurs camarades passants qui, faute d’ouvrage, se trouveraient dans le besoin…

La prise en main des affaires de la société par les compagnons sédentaires marque un virage chez les compagnons boulangers, car jusqu’alors les compagnons finissant leur Tour de France étaient tout simplement remerciés et n’avaient plus d’activité au sein de la société compagnonnique.

Donc, dans un premier temps, les compagnonnages des différents Devoirs vont utiliser cette officialisation à titre individuel, puis nous allons voir ensuite apparaitre des sociétés d’anciens compagnons réunis, sociétés regroupant les compagnons de tous Devoirs confondus qui s’organiseront aussi sous les règlements de sociétés de secours mutuels, ce sont les sociétés des anciens Devoirs réunis.

Les compagnons boulangers du Devoir vont conserver ce statut de société de secours mutuels jusqu’ à leur adhésion à l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir en 1946.

Une société de secours mutuels d’ouvriers boulangers suisses, 1907.

Les compagnons boulangers du Devoir de Nîmes, le20 novembre 1932, rassemblés devant l’établissement de leur Mère Lahondès autour de sa nouvelle enseigne : Société de secours mutuels des compagnons et aspirants boulangers du Devoir.
– De gauche à droite, assis :
Lucien Jouzeau, Blois l’Ami de l’Honneur ;
Serge Gillard, Blois le Résolu ;
– Debout :
Gaston Duhameau, Blois l’Ami des Compagnons ;
Jean Pebayle, Bordelais l’Enfant Chéri ;
René édeline, Tourangeau la Franchise ;
M. Lahondes ;
Marius Lemoine, aspirant, futur Châteaudun l’Ami des Compagnons ;
Mme Lahondès ;
Marcel Drevet, Dauphiné la Fierté du Devoir ;
Gaston Chesneau, Blois CœurJoyeux.

Enveloppe de la Société de secours
mutuels des compagnons et aspirants
boulangers et pâtissiers du Devoir
du Tour de France, Bordeaux,
vers 1955. L’adresse sociale,
impasse Fabreguette, correspond
à l’adresse actuelle
du siège de l’A.O.C.D.D.,
76, rue Laroche.

 

 

LES DIFFÉRENTES SOCIÉTÉS, CONSTITUTION ET OBJECTIFS

Meuble ayant appartenu à la Société de Secours Mutuels des Garçons Boulangers supposée de Lyon ; nous remarquons une « bonne foi » au sommet des deux portes, au centre ; Halles de Lyon, Café Jocteur. Ph. J. Philippon.

Sociétés des anciens Devoirs réunis
À partir de 1840 apparaissent dans le paysage compagnonnique de nouvelles sociétés, ce sont les sociétés d’anciens compagnons. Ces sociétés mutualistes se nomment : Société d’anciens compagnons remerciés, Société d’anciens compagnons réunis, Société compagnonnique des Devoirs réunis ou encore comme à Lyon, Anciens compagnons réunis de l’industrie.
Elles rassemblent des compagnons de différentes professions ayant terminé leur Tour de France ; et elles permettent, à travers la mutualité, de continuer à travers la mutualité à apporter soutien et aide à leurs membres.
Ce sont ces sociétés fraternelles et mutuelles qui seront à l’origine de la Fédération compagnonnique de tous les Devoirs réunis.
Progressivement ces sociétés s’organisent et manifestent une volonté de réorganisation du compagnonnage.
À Nantes en 1853, les compagnons boulangers de la ville sont constitués en société de secours mutuels, mais seulement huit compagnons la composent, alors que dans la même ville, la société mutuelle et philanthropique des ouvriers boulangers, fondée en mai 1851, est com- posée de 44 membres .
( Journal de la section de médecine de la société académique, 1853 ; Tableau des sociétés de secours mutuels nantaises, sur Gallica.)

 

Fédération Compagnonnique de tous les Devoirs réunis
En 1874, à Lyon, Lucien Blanc, Provençal le Résolu, compagnon bourrelier harnacheur, organise un congrès où sont rassemblées 21 sociétés d’Anciens compagnons réunis, sur les 25 existantes. Ce congrès vote la création de la Fédération compagnonnique de tous les Devoirs réunis. Provençal le Résolu en devient le premier président général. Une caisse de retraite est créée.

En 1879, un nouveau pas est franchi, les corps actifs de différentes corporations sont représentés, dont les compagnons boulangers du Devoir de la Cayenne de Lyon. Dix ans plus tard, en 1889, au congrès de Paris, cette nouvelle société compagnonnique prendra le nom d’Union Compagnonnique des Devoirs Unis.

Mais certains compagnonnages du Devoir, ou une partie, ne veulent pas entendre parler de fusions, comme le souhaite la Fédération compagnonnique de tous les Devoirs réunis, avec les Devoirs de Liberté plus particulièrement. Ainsi, en réponse à cette Fédération, une nouvelle organisation voit le jour, Le Ralliement des Compagnons du Devoir  dits Restés Fidèles Au Devoir.

 

Extrait du livre « Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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