Ce registre nominatif des compagnons, boulangers ou pâtissiers, décédés, reçus de 1811 à 1955, est issu de diverses sources compagnonniques, familiales et publiques. Il compte plus de sept mille compagnons et s’enrichit régulièrement grâce à vos retours et aux recherches du CREBESC.
POUR QUOI FAIRE ? Laurent BOURCIER, Picard la Fidélité, et ses amis compagnons, m’ont demandé de présenter ce registre nominatif, et je le fais avec plaisir pour en rappeler l’utilité.
Je commencerai par conter deux anecdotes. Il y a une vingtaine d’années de cela, je m’étais rendu à Lyon où j’avais rencontré Jean PHILIPPON, Bordelais la Constance, compagnon cuisinier des Devoirs Unis. Au cours de la conversation, il me parle de sa base de noms de compagnons, qui en comprenait déjà plusieurs centaines, voire milliers.
Moi, naïvement, je lui demande : « Ce sont des compagnons de l’Union Compagnonnique ? ». Et lui de me répondre : « Non, ce sont des compagnons de tous Devoirs, il n’y a qu’un seul Compagnonnage. » Il entendait par là que l’Union Compagnonnique était l’une des branches d’un seul arbre et que toutes les autres branches étaient reliées à un même tronc, par-delà les scissions, réunions, parrainages, reconnaissances, adoptions et autres épisodes de la vie tumultueuse des Devoirs. Bref, toutes ces branches présentent entre elles des relations et il faut les reconstituer pour comprendre LE Compagnonnage.
C’est aussi Jean PHILIPPON qui mit en lumière un fait pourtant évident : le Compagnonnage n’est pas un mode d’association ni un ensemble de valeurs abstraites ; l’un et l’autre ne reposent que sur des hommes et des femmes bien réels, qui, après leur réception, ont porté leur Devoir et l’ont transmis à d’autres au fil des siècles, en dépit des multiples difficultés qu’ils ont dû surmonter pour le faire. Donc, sans la connaissance des hommes qui ont construit et propagé le Compagnonnage, on n’aura qu’une connaissance désincarnée de leur institution.
L’autre anecdote est plus ancienne. J’avais une vingtaine d’années et je commençais à mettre en ordre des notes sur des épisodes de la vie compagnonnique glanés ici et là dans les dépôts d’archives publiques et des documents familiaux. J’avais des entretiens réguliers avec Roger LECOTTÉ, le conservateur-fondateur du Musée du Compagnonnage de Tours, à qui j’exposais ces travaux. Il me dit alors : « Publiez ! Il faut publier ce que vous faites ! Ce n’est peut-être pas complet, mais ce ne jamais fini, et puis il sera toujours temps de publier un article complémentaire ! ».
Et de me raconter l’un de ses entretiens avec Arnold Van GENNEP, le grand ethnologue, auteur du monumental Manuel de folklore français contemporain (1873-1957). Un jour, R. LECOTTÉ lui dit, pas peu fier, qu’il avait constitué je ne sais combien de centaines de fiches sur tel sujet. Van GENNEP lui répondit : « Eh bien ! Lecotté, vous êtes un c… ! Vous devez maintenant les publier, vos notes et vos recherches, car vous aurez toujours une énième fiche qui viendra grossir votre tas, et vous finirez par ne rien publier ! ».
Pourquoi ai-je voulu rapporter ces deux souvenirs ? Parce que nous sommes justement au cœur du sujet avec ce registre.
Patiemment, au fil des ans, pour accumuler des matériaux qui devaient servir au Pain des Compagnons publié en 2021, Laurent BOURCIER, assisté de nombreux autres compagnons, a établi un énorme fichier biographique de compagnons boulangers et pâtissiers. À la différence de corps de métiers plus anciens, dont on ne connaîtra jamais la genèse, celui des boulangers débute autour de 1811.
Mais ces deux siècles passés ont vu naître plusieurs milliers de compagnons et autant de notices biographiques, parfois réduites à peu de choses, parfois étoffées par les sources les plus diverses : celles des archives compagnonniques relatant leurs fonctions, les honneurs reçus, leurs talents de poètes, leurs fautes et leurs sanctions… Mais aussi l’état civil, les registres matricules militaires, les apports des sources familiales conservées par les descendants, ou encore la presse locale et les sources policières et judiciaires.
Fallait-il conserver par-devers soi ce répertoire biographique au risque, un jour, de le voir disparaître à tout jamais et de tout devoir recommencer ? Laurent BOURCIER s’y est refusé et, illustrant une fois encore son sens du partage, a décidé de mettre cette base en libre accès auprès des visiteurs du CREBESC.
À qui et en quoi cela sera-t-il utile ? Les descendants de compagnons boulangers et pâtissiers y découvriront des éléments biographiques qu’ils ignoraient peut-être et seront à même d’apporter des compléments en écrivant au CREBESC. Des photos du compagnon, de ses cannes et couleurs, des archives, seront les bienvenus, seule façon, par l’image, de sauver de l’oubli et souvent de la destruction, de précieux témoignages.
Ceux qui espéraient y trouver la confirmation d’un on-dit familial, ou qui pensaient que leur ancêtre, parce qu’il avait voyagé durant sa jeunesse, était un compagnon du Devoir, seront peut-être déçus de ne l’y point trouver. L’ancêtre supposé compagnon a peut-être été admis aspirant ou a fait son tour de France en indépendant, ou bien encore comme Sociétaire boulanger.
Les contributions de ces descendants seront donc aussi les bienvenues. Rappelons d’ailleurs que la présente base n’est pas exhaustive, mais qu’il fallait la publier pour éviter la remarque de Van Gennep citée plus haut ; d’autres noms viendront la grossir s’il s’avère, grâce aux sources des familles, qu’il s’agit bien de compagnons.
Les compagnons de tous corps y trouveront matière pour connaître la « vraie vie » de leurs devanciers, exercée durant plus d’un siècle dans des conditions extrêmement difficiles, tant sur le plan de la santé que sur celui de leur sécurité, car un compagnon boulanger isolé courait de grands risques à se promener le soir en ville ou à cheminer en rase campagne, à la merci d’une agression provoquée par des corps ennemis.
Les historiens du Compagnonnage disposeront du seul répertoire public relatif à une société compagnonnique, fort de plusieurs centaines de biographies. Le fait mérite d’être souligné, car personne jusqu’alors ne s’était lancé dans un tel projet, qui a abouti, et qui est accessible à tous. Ils pourront établir des statistiques diverses sur ce corps de métier, sur l’espérance de vie de ses membres, sur la durée de leur tour de France, sur le milieu social d’où ils sont issus, etc.
Enfin, et pour clore cette trop longue présentation, certains se demanderont s’il était opportun de « livrer » toutes ces vies aux regards de tous. Est-il indiscret, voire parjure, de mettre en lumière, à côté des hauts faits de certains compagnons, leurs fautes, aussi bien envers leurs Pays qu’au regard de la Justice ?
Le secret, s’il y en a un dans ce répertoire, n’est pas celui de signes extérieurs mais celui qu’ont vécu, intimement, ces compagnons boulangers, et ce secret-là personne ne le connaîtra jamais.
L’époque actuelle se prête, hélas, à une censure insidieuse pour toutes sortes de bonnes raisons, qui consiste à omettre tel ou tel fait, à détruire ceci ou cela, à reléguer dans l’enfer tel auteur pour quelques lignes aujourd’hui déplaisantes, engloutissant tout le reste d’une œuvre avec elles.
Nous pensons au contraire, pour reprendre cette phrase dont nous avons perdu la source, que « ce que l’homme a fait, même Dieu ne saurait l’effacer ». Et concluons sur ces lignes de Roger LECOTTÉ, qui écrivait en 1988 : « L’histoire du Compagnonnage est assez solide, antique et belle pour affronter la vérité ».
Laurent BASTARD
Ancien Directeur du Musée du Compagnonnage de Tours.
Pour nous joindre, une seule adresse de contact cbprfad@levainbio.com
Registre Généalogique des Compagnons Boulangers et Pâtissiers Du Devoir