Journal Le Matin, du 14 février 1914
DEUX CONDAMNATIONS À MORT
Vesoul, 13 février. Du correspondant particulier du « Matin » (par téléphone).
La cour d’assises de la Haute-Saône et du territoire de Belfort a prononcé dans ses audiences de cette nuit et d’aujourd’hui deux condamnations à mort. L’une concerne un sujet allemand, nommé Kirstetter, qui, pour se venger de ses patrons, les époux Kœnig, qui l’avaient renvoyé, s’introduisit le 4 novembre dernier, pendant l’absence de ceux-ci, à leur domicile et tua d’un coup de couteau de boucher leur fille, âgée de dix-neuf ans.
L’autre a été prononcée contre un individu né en Alsace, d’une mère italienne, Piccinelli*, qui, le 28 septembre dernier, à Lure, tua d’un coup de hache, pendant son sommeil, M. Copatey, boulanger, et tenta d’assommer la femme de celui-ci. Le mobile du crime était le vol.
Le jury, à l’issue de cette audience, a remis au président de la cour d’assises, une pétition à l’adresse du ministre de la justice, demandant une application plus sévère des lois régissant le séjour des étrangers en France.
Arrestation de Piccinelli le 29 septembre 1913
Journal Le Matin, du 7 avril 1914.
DOUBLE EXÉCUTION CAPITALE
Vesoul, 6 avril. Dépêche particulière du « Matin »
Ce matin ont été exécutés, à Vesoul, deux étrangers. L’un, Piccinelli, sujet italien, âgé de vingt-quatre ans, avait tué, au mois de septembre dernier, à Lure, son patron, le boulanger Copatey, et tenté d’assassiner la femme de celui-ci. L’autre, sujet allemand, Kirstetter, âgé de trente-neuf ans, s’était introduit, au mois de novembre dernier, à Belfort, au domicile de ses anciens patrons, les époux Kœnig, et avait tué leur fille, âgée de dix-neuf ans. Pour le premier, le mobile du crime était le vol pour le second, la vengeance.
Des mesures d’ordre exceptionnelle avaient été prises. M. Deibler, qui était arrivé hier après-midi avec ses aides, avait choisi comme lieu d’exécution une place latérale au palais de justice.
A 4 h.10, on procède au réveil des condamnés. M. Blondeau, procureur de la République, suivi du juge d’instruction, M Lhotele, et du greffier en chef, M. Lehmann, pénètre dans la cellule de Kirstetter. Celui- ci, qui s’était couché habillé, sommeille. Le procureur lui adresse les paroles d’usage que M. Salzgeber, commissaire spécial, lui traduit. Interrogé, il répond qu’il n’a aucune déclaration à faire. Il refuse l’assistance d’un prêtre. Quant à Piccinelli, il dormait à poings fermés lorsque M. Neuville, substitut du procureur de la République, lui annonça que sa dernière heure était venue Piccinelli demande à entendre la messe, mais refuse de prendre aucun aliment. Quant à Kirstetter, il mange gloutonnement du jambon et s’entretient avec son avocat.
A 5 h. 11, la petite porte de la prison s’ouvre et Piccinelli apparaît défaillant. Couché sur la bascule, il laisse échapper un cri rauque. Le couteau tombe et justice est faite.
On va ensuite chercher Kirstetter. Quelques minutes s’écoulent. Il apparait et comme son regard farouche fixe le couperet, il a un mouvement de recul. Il est aussitôt couché sur la bascule, et à 5 h. 15 sa tête tombe. La foule applaudit, tandis que le père Kœnig exprime sa satisfaction d’avoir vu exécuter le meurtrier de sa fille. Les corps sont transportés au cimetière de Vesoul, où l’inhumation a lieu aussitôt dans l’endroit réservé aux suppliciés.
Double exécution capitale.
Le garçon boulanger Piccinelli qui, le 26 septembre, avait assassiné son patron M. Copatey, boulanger à Lure, et tenté d’assommer sa femme ; le nommé Kirstetter qui, à Belfort, avait assassiné la fille de son patron Marthe Kœnig, ont été exécutés ce matin à Vesoul.
A 4 h. 15, les autorités pénètrent dans la cellule de Kirstetter. Le Procureur le réveille. Kirstetter refuse les secours de la religion qui lui sont offerts par le prêtre. Le Juge d’instruction lui demande s’il a quelque déclaration à faire.
« Je ne dirai rien, répond le condamné. Ce sont les innocents qui sont décapités pendant que les malfaiteurs courent les rues. » Il mange du jambon qu’on lui apporte, puis il allume une pipe.
Pendant ce temps, d’autres autorités pénètrent dans la cellule de Piccinelli. Celui-ci dort profondément, lorsque le Substitut l’éveille :
« — Votre pourvoi est rejeté, Piccinelli, ayez du courage.
« — C’est justice, murmure Piccinelli d’une voix étranglée. Je demande pardon à Dieu et aux hommes. »
Le condamné manifeste hautement son repentir. Il avait, il y a quelques jours, écrit à la veuve de sa victime : « J’offrirai ma vie pour racheter ma faute. »
Piccinelli se confesse et assiste à la messe célébrée dans la chapelle. Au sortir de la messe, les deux condamnés sont livrés au bourreau.
A ce moment Piccinelli interroge Kirstetter en allemand : « Pourquoi n’as-tu pas voulu recevoir l’aumônier? — C’est mon affaire », répond l’autre.
Lorsque l’exécuteur a signé la levée d’écrou, on procède à la toilette des condamnés.
A 5 h. 9, les portes de la prison s’ouvrent. Le premier condamné paraît, c’est Piccinelli. Piccinelli descend les marches de la prison ; il frissonne sous la pluie fine qui tombe, mais il a conservé son courage et baise le crucifix. On le jette sur la bascule ; le couteau se déclenche. Le corps tombe dans le panier et le couperet, lavé d’un coup d’éponge, est remonté.
Une seconde fois la porte s’ouvre. Kirstetter paraît. C’est un colosse. Il chancelle en descendant les trois marches. Il consent à baiser le crucifix et, pendant qu’il jette sur les spectateurs un regard de bête égarée, on le pousse sur la bascule. Le couteau tombe; il est 5 h. 12.
Mais aussitôt une chose horrible se produit. Le corps du supplicié, entraîné par un dernier soubresaut, tombe à côté du panier et les aides doivent ramasser le corps sans tête et le replacer dans le panier.
Le père de Marthe Kœnig, la victime, assistait à l’exécution au pied même de l’échafaud.
A noter que, durant les derniers jours qui précédèrent l’exécution, Kirstetter, qui comptait fermement obtenir sa grâce, avait déclaré : « Si je suis gracié, dans dix ans je me serai évadé du bagne et je tuerai le père et la mère Kœnig, parents de la victime, ainsi que ma sœur qui a refusé de venir me voir. »
Source : CRIMINO CORPUS. Archives d’anthropologie criminelle de médecine légale et de psychologie normale et pathologique, tome vingt-neuvième, 1914.
*PICCINELLI Humbert, né le 9 février 1891, ouvrier boulanger à Lure. Date de la condamnation : 13/02/1914. Motifs de la condamnation : crimes concomitants et de tentative d’assassinat commis le 28 septembre 1913 sur les époux COPATEY, boulangers à Lure (70). Juridiction : Besançon. Date de rejet : 03/04/1914.
Source : guillotine.cultureforum.net