« Mémoire de Vidocq »
Eugène-François VIDOCQ est né à Arras au 222, rue du Miroir-de-Venise, le 24 juillet 1775.
En 1828, il publie des Mémoires qui connaissent un grand succès, et qui inspirent notamment à Honoré de Balzac son personnage de Vautrin.
« … je commençais, en même temps à apprendre l’état de boulanger: c’était la profession de mon père, qui me destinait à lui succéder, bien que j’eusse un frère bien plus âgé que moi.
Mon emploi consistait principalement à porter du pain dans la ville (Arras), je profitais de ces courses pour faire de fréquentes visites à la salle d’armes, mes parents ne l’ignoraient pas, mais les cuisinières faisaient de si pompeux éloges de ma complaisance et de mon exactitude, qu’ils fermèrent les yeux sur mainte escapade. Cette tolérance dura jusqu’à ce qu’ils eussent constaté un déficit dans le comptoir, dont ils ne retiraient jamais la clé.
Mon frère qui l’exploitait concurremment avec moi, fut pris en flagrant délit, et déporté chez un boulanger de Lille. Le lendemain de cette exécution, dont on ne m’avait pas confié le motif, je me disposais à explorer, comme de coutume, le bienheureux tiroir, lorsque je m’aperçus qu’il était soigneusement fermé.
Le même jour, mon père me signifia que j’eusse à mettre plus de célérité dans mes tournées, et à rentrer à heure fixe.
Ainsi, il était évident que désormais je n’aurais plus ni argent ni liberté. Je déplorai ce double malheur et m’empressai d’en faire part à l’un de mes camarades, le nomme Poyant qui était plus âgé que moi. Comme le comptoir était percé pour l’introduction des monnaies, il me conseilla d’abord de passer dans le trou une plume de corbeau enduite de glu, mais cet ingénieux procédé ne me procurait que des pièces légères, et il fallut en venir à l’emploi d’une fausse clé qu’il me fit fabriquer par le fils d’un sergent de ville. Alors, je puisai à nouveau dans la caisse, et nous consommâmes ensemble le produit de ces larcins dans une espace de taverne où nous avions établi notre quartier général. Là se réunissaient attirés par le patron du lieu, bon nombre de mauvais sujets connus, et quelques malheureux jeunes gens qui pour avoir le gousset garni, usaient du même n’expédient que moi.
Bientôt, je me liai avec tout ce qu’il y avait de libertins dans le pays, les Boudou, les Delcroix, les Hidou, les Franchison, les Basserie qui m’initièrent à leurs dérèglements.
Telle était l’honorable société au sein de laquelle s’écoulèrent mes loisirs jusqu’au moment où mon père m’ayant surpris un jour, comme il avait surpris mon frère, s’empara de ma clé, m’administra une correction, et prit des précautions telles qu’il ne fallut plus songer à m’attribuer un dividende dans la recette.
Il ne me restait plus que la ressource de prélèvement en nature la dime sur les fournées. De temps à autres, j’escamotais quelques pains, mais comme pour m’en défaire, j’étais obligé de les donner à vil prix, à peine, dans le produit de la vente trouvais-je de quoi me régaler de tartes et d’hydromel.
La nécessité rend actif : j’avais l’oeil sur tout, tout m’étais bon, le vin, le sucre, le café, les liqueurs. ma mère n’avait pas encore vu ses provisions s’épuiser si vite, peut-être n’eut elle pas découvert de sitôt ou elles passaient, lorsque deux poulets que j’avais résolu de confisquer à mon profit élevèrent la voix pour m’accuser. Enfoncés dans ma culotte, où mon tablier de mitron les dissimulait, ils chantèrent en montrant la crête, et ma mère avertie ainsi de leur enlèvement, se présenta à point nommé pour l’empêcher. Il me revint alors quelques soufflets, j’allai me coucher sans souper. Je ne dormis pas et ce fut je crois le malin esprit que me tint éveillé.
Tout ce que je sais, c’est que je me levai avec le projet bien arrêté de faire main basse sur l’argenterie. Une seule chose m’inquiétait, sur chaque pièce le nom de Vidocq était gravé en toutes lettres. Poyant à qui je m’ouvris à ce sujet, leva toutes les difficultés et le jour même, a l’heure du diner, je fis une rafle de dix couverts et autant de cuillers à café. Vingt minutes après, le tout était engagé, et dès le surlendemain, je n’avais plus une obole des cent cinquante francs que l’on m’avait prêtés.
Il y avait trois jours que je n’avais pas reparu chez mes parents, lorsqu’un soir je fus arrêté par deux sergents de ville et conduis aux Baudets, maison de dépôt où l’on renfermait les fous, les prévenus et les mauvais sujets du pays.
L’on m’y tint dix jours au cachot, sans vouloir me faire connaitre les motifs de mon arrestation, enfin le geôlier m’apprit que j’avais été incarcéré à la demande de mon père. Cette nouvelle calma un peu mes inquiétudes : c’était une correction paternelle qui m’était infligée, je me doutais bien qu’on ne me tiendrait pas rigueur.
Ma mère vint me voir le lendemain, j’en obtins mon pardon, quatre jours après j’étais libre et je m’étais remis au travail avec l’intention bien prononcée de tenir désormais une conduite irréprochable. Vaine résolution!
Je revins promptement à mes anciennes habitudes, sauf la prodigalité, attendu que j’avais d’excellentes raisons pour ne plus faire le magnifique, mon père, que j’avais vu jusqu’alors assez insouciant, était d’une vigilance qui eut fait honneur au commandant d’une grande garde. Était-il, obligé à quitter le poste du comptoir, ma mère le relevait aussitôt : impossible a moi d’en approcher, quoique je fus sans cesse aux aguets ? Cette permanence me désespérait. Enfin, un de mes compagnons de taverne prit pitié de moi : c’était encore Poyant, fieffé vaurien, dont les habitants d’Arras peuvent se rappeler les hauts faits.
Je lui confiai mes peines.
« -Eh quoi! me dit-il, tu es bien bête de rester à l’attache, et puis ça n’a-t-il pas bonne mine un garçon de ton âge n’avoir pas le sou ? va ! si j’étais a ta place, je sais bien ce que je ferais.
– Eh! que ferais-tu?
-Tes parents sont riches, un millier d’écus de plus ou de moins ne leur fera pas de tort: de vieux avares, c’est du pain béni, il faut faire une main-levée.
– J’entends, il faut empoigner en gros ce qu’on ne peut avoir en détail.
-Tu y es, après l’on décampe, ni vu ni connu.
-Oui, mais la maréchaussée.
-Tais-toi : est ce que tu n’es pas leur fils ? et puis ta mère t’aime bien trop. »
Cette considération de l’amour de ma mère, joint au souvenir de son indulgence après mes dernières fredaines, fut toute puissante sur mon esprit, j’adoptai aveuglément un projet qui souriait à mon audace, il ne restait plus qu’a la mise à exécution, l’occasion ne se fit pas attendre.
Un soir où ma mère était seule au logis, un affidé de Poyant vint l’avertir, jouant le bon apôtre, qu’engagé dans une orgie avec des filles, je battais tout le monde, que je voulais tout casser et briser dans la maison, et que si l’on me laissait faire il y aurait au moins pour 100 francs de dégât, qu’il faudrait ensuite payer.
En ce moment, ma mère assise dans son fauteuil, était à tricoter, son bas lui échappe des mains, elle se lève précipitamment et court tout effarée au lieu de la prétendue scène, qu’on avait eu le soin de lui indiquer à l’une des extrémités de la ville.
Son absence ne devait pas durer longtemps : nous nous hâtâmes de la mettre à profit. Une clé que j’avais escamotée la veille nous servit à pénétrer dans la boutique. Le comptoir était fermé, je fus presque satisfait de rencontrer cet obstacle.
Cette fois, je me rappelai l’amour que me portait ma mère, non plus pour me promettre l’impunité, mais pour approuver un commencement de remords. J’allais me retirer, Poyant me retint, son éloquence infernale me fit rougir de ce qu’il appelait ma faiblesse, et lorsqu’il me présenta une pince dont il avait eu la précaution de se munir, je la saisis presque avec enthousiasme : la caisse fut forcée, elle contenait à peu près deux mille francs que nous partageâmes, et une demi-heure après, j’étais seul sur la route de Lille.
Dans le trouble où m’avait jeté cette expédition, je marchai d’abord fort vite, de sorte qu’en arrivant à Lens, j’étais déjà excédé de fatigue, je m’arrêtai.
Une voiture de retour vint à passer, j’y pris place et en moins de trois heures, j’arrivai dans la capitale de la Flandre française, d’où je partis immédiatement pour Dunkerque, pressé que j’étais de m’éloigner le plus possible, pour me dérober à la poursuite.
J’avais l’intention d’aller faire un tour dans le Nouveau Monde… »
Eugène-François VIDOCQ décède le 11 mai 1857 au 2 rue Saint-Pierre-Popincourt à Paris (actuellement 82 rue Amelot)
Ce policier bagnard a encore aujourd’hui une place importante dans l’imaginaire populaire et français en particulier, notamment grâce aux romans et depuis quelques décennies à la télévision et au cinéma.
Claude Brasseur dans le rôle de Vidocq dans Les Nouvelles Aventures de Vidocq. Série télévisée française en 13 épisodes diffusée à partir du 5 janvier 1971 sur la première chaîne de l’ORTF.
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.