A. Perdiguier nous dit à ce sujet :
« Dans beaucoup d’états, quand un compagnon a fini son Tour de France et qu’il veut se fixer dans un lieu quelconque, il remercie sa société, c’est-à-dire qu’il se retire, muni d’un certificat qui lui est délivré dans une grande réunion, par ses confrères, certificat attestant la moralité et la conduite sage de celui qui l’obtient : ce certificat est une sorte de congé.
Celui qui a remercié n’appartient plus à la société active, il n’y doit plus rien, il est indépendant ; il reste cependant attaché de Cœur à cette société et l’aime comme un bon soldat aime son régiment et ses vieux compagnons d’armes, avec lesquels il a souffert et combattu longtemps ; il l’aime même à un degré supérieur, car son attachement fut toujours libre et ne dura qu’autant qu’il le voulut ; aussi cette société pourrait encore dans une grande occasion compter sur ses secours pécuniaires et sur sa personne. Il est des sociétés dans lesquelles l’on ne remercie jamais, celle des compagnons étrangers tailleurs de pierre est de ce nombre. Dans beaucoup de villes, on voit des compagnons retirés du compagnonnage actif, former entre eux une sorte de société de secours mutuels qu’ils ne quittent qu’avec la vie. Cette dernière société commence à se pratiquer dans chaque corps d’état, et s’étend insensiblement sur plusieurs points. Les hommes sentent de jour en jour davantage le besoin de s’unir par des liens doux et durables. »
Le remerciement était pratiqué par les compagnons boulangers.
Voyons le déroulement de l’acte de remerciement :
« Le compagnon qui remercie se rend le jour indiqué pour l’assemblée ayant mis les motifs par écrit qui le forcent à se retirer, il remet le papier au rouleur et se retire à la dernière place, le rouleur fait à haute voix la lecture après quoi le compagnon qui veut remercier sort, prend sa canne et ses couleurs et un crêpe au bras gauche, attend que le rouleur fasse deux brouillements de parole, un compagnon ouvre, il entre deux pas en avant tenant son acte de remerciement de la main droite et sa canne de la main gauche, il en fait lecture et s’il ne sait pas lire le P.E.V. le fait pour lui, le S.E.V lui ôte sa canne et ses couleurs, les porte au rouleur et le conduit au-dehors de la chambre, le rouleur demande aux compagnons s’ils ont des reproches à lui faire ou non, s’il y en a on les lui fait en entrant, le faisant entrer, on le fait placer au milieu de l’assemblée et on lui fait jurer de ne jamais oublier le serment qu’il a prononcé ni l’acte qu’il vient de remettre aux compagnons. Le rouleur lui met ses couleurs en écharpe et lui dit en l’embrassant : « Souviens-toi que nous sommes tes frères et ne nous oublie jamais, pas plus que nous ne t’oublierons. »
Chacun s’embrasse, le rouleur lui remet sa canne et se retire.
Acte de remerciement
Forcé par tel motif de me retirer, je jure de toujours soutenir notre brillant Devoir, de ne jamais divulguer les secrets qui m’ont été confiés, de ne jamais employer d’autres ouvriers que des compagnons sans l’ordre et l’approbation des compagnons, de me rendre à l’assemblée toutes les fois que les compagnons m’y inviteront et de suivre en tout et partout les lois de notre compagnonnage.
Fait à … le …… de mon âge de lumière l’année … Nous compagnons de la ville de … Avons reçu pour agréable l’acte de remerciement de notre frère -nom de famille et de compagnon
le … Signé :
La Carte de remerciement
La première Carte de remerciement fut dessinée par Julien René Feutelais, Rennois Sans Pareil, lors d’une période que l’on peut situer entre 1835 et 1845. L’impression et le stockage de ce document, à l’identique des documents que nous avons déjà étudiés, est sous la responsabilité de la Cayenne de Blois-Fondation.
La Carte de remerciement est le seul document des compagnons boulangers que l’on connaisse à ce jour composé uniquement de sigles.
Carte de remerciement remise à Lucien Dufour, Toulonnais le Divertissant, reçu à Troyes à la Toussaint 1878 ; imprimée ultérieurement à 1864 ; musée du Compagnonnage de Tours.
Carte de remerciement remise à Jean Richoux, Angevin la Tranquillité, reçu à Orléans à Noël 1872.
Imprimée ultérieurement à 1870.
En comparant avec le premier modèle, nous observons sur le tombeau
qu’un I fut rajouté à R∴N∴P∴ (qui peut être traduit par
Ici Repose Notre Père). Arch. familiales.
Carte de remerciement remise le 4 avril 1895 à Elie Leroux, Tourangeau l’Etoile du Devoir.
Dessinée par Rennois Sans Pareil
Réimpression sans indication d’imprimeur.
Sont associés à des instruments de boulangerie (pelle, rouable, balance, corbeille, épis) des éléments compagnonniques généraux (compas + équerre) et à droite un compas posé sur une règle, qui rappelle le médaillon du bas, à gauche, de l’acte de cordonnier, où le compas à branches est posé sur un compas à mesurer le pied, comme s’il y avait eu une adaptation. La balance est commune aux deux. Plus étonnant est la présence d’outils de tailleur de pierre (maçon) : règle, maillets, burin, une espèce de truelle, compas autour d’une pierre et un marteau à panne très large (à droite) qui est plus un marteau de cordonnier que de tailleur de pierre. Un intéressant mélange de cordonnerie, boulangerie et vraisemblablement de franc-maçonnerie.
Carte de remerciement délivré à Bertrandias, Angoumois Bon Accord, reçu compagnon cordonnier-bottier du Devoir à Angoulême le 30 mars 1834. Pas de nom de dessinateur, mais un imprimeur : Pollet Ir, Grand Passage du Caire, 86, à Paris.
Nous observons une forte similitude dans la composition avec celle des compagnons boulangers du Devoir, ces derniers s’en inspirèrent très certainement.
Abolition du Remerciement
Règlement (décembre 1861) approuvé par les compagnons blanchers-chamoiseurs.
« Du corps actif et du corps passif.
Article 22 : Les actes de remerciement étant abolis, tout compagnon doit rester en activité jusqu’à la mort, par conséquent la société des compagnons boulangers du Devoir est composée de deux corps, savoir : le corps actif et le corps passif.
Le corps actif sera composé de tous les compagnons âgés de moins de sept ans de lumière pour les célibataires et le corps passif qui sera composé de tous les compagnons mariés ou établis et ayant plus de sept ans de lumière pour les célibataires.
Article 23 : Tout compagnon étant dans les conditions voulues à pouvoir être dans le corps passif, sera libre de rester dans le corps actif et supportera toutes les charges qu’incombe le service.
Article 24 : Tous les compagnons du corps actif auront toutes les charges, savoir des compagnons en place, visiteurs de malades, etc. et subiront toutes les amendes portées par le règlement de la société.
Article 25 : Tous les compagnons du corps passif seront forcés de se rendre à l’assemblée générale au moins une fois par an.
Le manque d’effectif et le besoin d’avoir dans leurs rangs des compagnons ayant l’expérience pour opérer les démarches de reconnaissance sont certainement à l’origine de cette décision des compagnons boulangers d’abolir le remerciement. Cela entraîne la naissance du « corps passif », inconnu chez les compagnons boulangers avant cette date. Bien que le remerciement soit aboli, la Carte de remerciement sera imprimée et remise au moins jusque dans les années 1895- 1900.
Les Cartes de remerciement sont aujourd’hui de rares documents recherchés par les collectionneurs, ces derniers les confondent dans une écrasante majorité des cas avec les Marques secrètes, les baptisant Actes de réception.
Extrait du livre « Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.