Le Pain retourné – Boulogne-sur-Mer (62-Pas-de-Calais)
Le jardin éphémère sur le thème des superstitions
23 doc – Crédit photos Jean-Claude THIERRY
Place Godefroy de Bouillon à Boulogne sur Mer, devant la Mairie.
Crédit photos Jean-Claude THIERRY
On retrouve dans ce jardin des chats noirs, des parapluies ouverts dans une maison, des pompons de marins. Il ne faut jamais passer sous une échelle et un miroir brisé vaut sept ans de malheurs…Mais aussi, évidemment, des arbres, des fleurs et des plantes, et des trèfles à quatre feuilles.
À chaque étape du parcours, les promeneurs peuvent s’attarder sur ces petits panneaux qui vous expliquent à la fois la superstition représentée et les plantes utilisées.
L’occasion, par exemple, de découvrir pourquoi il ne faut jamais, au grand jamais, mettre du pain à l’envers sur une table.
En déambulant dans ce jardin, vous découvrirez aussi pourquoi toucher le pompon d’un marin porte-bonheur, ou encore pour quelle raison il faut absolument lancer du sel au-dessus de son épaule si on en a fait tomber sur la table…
Poser le pain à l’envers, définition sur le panneau :
« Vieille superstition datant du Moyen-âge, qui à traversé des siècles et qui perdure encore de nos jours :
Elle vient du fait que la peine capitale étant monnaie courante, un grand nombre de bourreaux sévissaient à cette époque. Le boulanger avait coutume de lui réserver un pain.
Pour qu’il le reconnaisse, le pain était disposé à l’envers pour ne pas être confondu avec les autres.
C’était le pain qui portait malheur et le mauvais œil ».
Éloïse Mozzani, historienne spécialiste des traditions populaires et auteur des ouvrages ci-après:
- Le livre des superstitions (1995), éditions Robert Laffont) et, plus récemment,
- Légendes et mystères des régions de France,
Nous explique : On associe le pain retourné à la mort, à la malédiction et à la malchance,
D’ailleurs, dans les maisons où l’on ne respectait pas cette coutume, les femmes étaient suspectées d’être des prostituées». Et malgré son origine lointaine et incertaine, on observe que cette superstition trouve toujours son public : «encore aujourd’hui, il y a toujours quelqu’un pour remettre le pain à l’endroit», s’amuse l’historienne.
Autre superstition qui touche au pain, celle de ne pas le couper. «Dans la religion catholique, le Christ se présente sous l’apparence du pain. Le couper, reviendrait donc à le blesser, c’est pourquoi on préférera le rompre».
D’autres versions expriment qu’il faut respecter le pain parce que si on en a sur la table, c’est qu’on a travaillé dur et honnêtement. Il se disait aussi qu’ « on ne gagne pas son pain sur le dos ».
Il était de coutume, lorsqu’on retournait le pain par mégarde, de conjurer le malin en dessinant une croix dans la croute avec la pointe de son couteau.
De là découle également une tradition encore pratiquée par quelques anciens, notamment dans le centre et le sud de la France : quand on reçoit des invités, on signe le pain avant de le découper. Le diable s’étant réfugié dans les quignons, on prend soin de ne pas les donner aux invités.
Nous pouvons aussi compléter : Jusqu’en 1775, le bourreau personnage noir, mal-aimé associé à la mort et au malheur bénéficiait du « Droit de Havage », qui lui permettait entre autre privilège, de se servir quotidiennement et gratuitement chez les commerçants dans la limite de ce « qu’une main pouvait prendre ».
Droit de Havage : Sous l’Ancien Régime, le droit de havage était le droit de prélèvement, réservé aux exécuteurs de la Haute Justice, autrement dit les bourreaux, qui donnait la possibilité de prendre les grains et denrées qui se vendent au marché (pain, céréales, fruits, œufs, légumes, etc…) et autant que la main pouvait en contenir.
Le havage vient de l’ancien mot havir qui signifie prendre. Le droit de prendre ce que la main peut contenir est un droit seigneurial abandonné par le Haut-Justicier aux exécuteurs des hautes-œuvres. Le droit de havage est donc étroitement lié à la fonction de bourreau.
En effet celui-ci suscitait une telle horreur, qu’il vivait reclus, et les gens fuyaient tous son contact. Ses enfants étaient refusés dans les écoles, et les marchands rechignaient à lui vendre leurs marchandises.
Le bourreau percevait ses émoluments (rétribution représentant un traitement fixe ou variable), le droit de havage, sur une grande quantité en nature des marchands des halles qui permettait au bourreau de prendre une certaine quantité de légumes, de viande, de poisson, de pain, dans les paniers sur lesquels il étendait la main. Un valet marquait alors à la craie le dos des marchands visités afin de prendre les denrées.
Ce droit à prendre avec la main est remplacé par le droit de prendre avec une cuillère en fer… qui grandissait toujours. Devant ces abus grandissant, il y avait alors un bourreau dans chaque bailliage, leur rémunération fut modifiée. Profitant de la libéralisation du commerce des grains, initialisée par Turgot, et de la hausse des prix des grains et donc du pain du fait des mauvaises récoltes des étés 1773-1774 et de l’impopularité grandissante du bourreau profiteur, le Parlement, soucieux de ne pas étendre la guerre des farines remplaça, le 3 juin 1775, le droit de havage par une perception fixe.
À Paris. La place du pilori et de l’échafaud est aussi celle des Halles. Le bourreau loue à des marchands forains les petites échoppes autour de cette place. Pour salaire, il a le droit de havage qui lui donne la possibilité de prendre des grains ou des fruits autant que sa main peut en prendre. Les commerçants ainsi ponctionnés sont marqués d’une croix à la craie.
À Étampes. Un arrêt du 30 juillet 1767 indique la perception des droits de havage :
« L’exécuteur des sentences criminelles du bailliage d’Etampes, pour perception des droits de havage, sera et demeurera autorisé à percevoir tous les jours, indistinctement aux portes et barrières de ladite ville d’Etampes seulement :
– 6 deniers par chaque sac de froment, seigle, orge et avoine qui entreraient dans ladite ville pour y être vendus.
– 3 deniers par chaque sac de pois, fèves, vesces, et lentilles. »
« Il est fait interdiction au bourreau d’Etampes de percevoir une redevance sur les produits servant pour les récoltes et moissons futures, ainsi que pour les denrées acheminées pour les marchés voisins en particulier pour Paris, même si ces produits sont convertis en farine. En outre il lui est fait défense de percevoir les droits les jours de foire et fêtes de la Vierge » « Il ne percevra aucun droits sur les, beures, œufs, légumes, fruits, gibier. »
Sources (le Parisien)
↑ Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence de Maître Jean-Baptiste Denisart
↑ Un exécuteur de la haute justice du roy au moyen-âge
↑ Geoffroy Thérage, le bourreau de Jehanne
Le fer à cheval, le chat noir
Le brin de muguet, le pompon de marin avec autant de panneaux et d’explications.
Briser un miroir apporte sept ans de malheur. Dans l’Antiquité, certains peuples y voyaient le reflet de l’âme, briser un miroir revenait donc à détruire l’âme de son propriétaire. Autre explication : les démons se réfugiaient dans les miroirs. Briser un miroir les libérait. Le chiffre sept renverrait à la Bible et aux sept vaches maigres du songe de Pharaon annonçant les sept ans de malheur qui allaient frapper l’Égypte
Ouvrir un parapluie à l’intérieur porte malheur. Cette superstition d’origine anglaise date du 18e siècle. À cette époque, le mécanisme d’ouverture des parapluies à armature métallique était très dangereux et on pouvait donc facilement blesser quelqu’un ou abîmer un objet en ouvrant un parapluie à l’intérieur. Il s’agit donc d’une superstition tout simplement dictée par la prudence.
Être 13 à table attire le malheur. La superstition liée au chiffre 13 remonte à la Cène où les convives étaient treize à table et qui s’est terminée par le drame que l’on sait. Autre explication : les services de porcelaine sont habituellement composés de 12 assiettes: le treizième invité qui se retrouverait avec une assiette dépareillée se sentirait mal aimé.
Poser un chapeau sur un lit attire le mauvais sort. À l’époque, les hommes ôtaient leur chapeau lorsqu’ils entraient dans la chambre où reposait un mort. Poser un chapeau sur un lit attirerait donc le mauvais sort ou même la mort.
Offrir ou recevoir un couteau brise l’amitié. Il ne faudrait jamais offrir ou accepter de couteau en cadeau. Cet objet (ainsi que tous les objets pointus ou coupants) briserait l’amitié, à moins de l’échanger contre une pièce de monnaie.
Passer sous une échelle porte malheur. Une échelle posée contre un mur forme un triangle, symbole de la Sainte Trinité. Passer sous une échelle reviendrait donc à briser la Sainte Trinité et à commettre un sacrilège. En outre, il est dangereux de passer sous une échelle : cette croyance relève donc aussi de la simple prudence.
Voir traverser un chat noir devant soi est un mauvais présage. Cette croyance date du Moyen-âge, où les chats noirs étaient représentés comme compagnons des sorcières. Comme le noir était considéré comme la couleur du diable, bon nombre de ces infortunées créatures furent exterminées. On raconte aussi que Napoléon aurait vu un chat noir juste avant sa défaite à Waterloo.
Toucher du bois pour conjurer le mauvais sort. Le bois représenterait la Croix du Christ. Toucher du bois reviendrait à formuler une prière, un appel pour éviter le malheur.
Renverser du sel est de très mauvais augure. On a coutume de jeter le sel par dessus son épaule gauche afin de conjurer le sort, et de faire venir à nous la chance. Pourquoi l’épaule gauche ? Dans la tradition chrétienne, cette épaule est directement associée au Mal.
A l’origine dans la Rome Antique, ce geste était pratiqué lorsque l’on renversait une salière. Le sel étant une denrée rare, cet accident était considéré comme de très mauvais augure. Afin de conjurer le sort, on jetait spontanément du sel par dessus son épaule, signe que l’accident n’aurait pas le retentissement redouté.
Au Moyen-âge, le sel ne servait pas d’outil de rémunération, mais il n’en demeurait pas moins rare et précieux. Outre son usage en tant que conservateur alimentaire, le sel était aussi utilisé pour ses vertus répulsives envers les sorcières.
Trouver un trèfle à 4 feuilles est signe de bonheur et chance. Le trèfle à quatre feuilles est une mutation peu fréquente du trèfle blanc qui est l’espèce la plus commune. Tellement rare qu’il y a seulement une chance sur 10.000 de trouver dans la nature un trèfle à quatre feuilles. Ce trèfle particulier est considéré en Occident comme un porte-bonheur.
Selon une autre légende païenne, chaque feuille a un sens. La première apporterait la renommée, la deuxième la richesse, la troisième l’amour et la quatrième la santé. Dans la tradition chrétienne chaque feuille correspond plutôt à une vertu. La première feuille est pour l’espérance, la seconde est pour la foi et la troisième est pour la charité ; la quatrième feuille serait donc pour la chance. On dit aussi qu’il serait à l’image de Dieu : une seule plante avec de trois lobes, représentant le Père, le Fils et le Saint-Esprit. Malgré ces explications théologiques c’est plus probablement la rareté du trèfle à quatre feuilles qui a tout simplement fait sa réputation comme porte-bonheur.
Le Muguet. Légendes et mythes. Jadis, « Convallaria majalis », était considéré comme une plante magique hypocrite associée à la magie. La légende grecque veut que le Muguet fût créé par Apollon, dieu du mont Parnasse, pour en tapisser le sol, afin que ses neuf muses ne s’abîment pas les pieds. Les Romains célébraient au début du mois de mai les Florales, en l’honneur de Flora, la déesse des fleurs.
Le brin de muguet, porte-bonheur a souvent été associé à la Madone, les larmes versées par la Vierge Marie au pied de la croix auraient donné naissance aux fleurs de muguet en forme de clochettes blanches. Toutefois, ses baies rouges contiennent un puissant bouillon d’onze heures.
Le Muguet est associé à de nombreux symboles : Les noces de muguet symbolisent les 13 ans de mariage dans le folklore français. Le 1er mai, on offre traditionnellement du muguet « porte-bonheur » car il fleurit aux alentours de cette date. Cette tradition est très présente, entre autres, en France, en Suisse, en Belgique et en Andorre. La symbolique du retour du printemps liée à cette fleur plonge ses racines dans les traditions celtes ainsi que les cérémonies romaines faites à Flora, déesse des fleurs.
En France, la tradition du muguet de mai est officialisée en 1561 par Charles IX, qui demande à ce que le 1er mai les dames de la cour en reçoivent un brin porte-bonheur. Cette tradition aristocrate est popularisée à la fin du XIXe siècle par le chanteur Félix Mayol, qui arbore pour son tour de chant un brin à sa boutonnière le 1er mai 1895. Le 1er mai 1936, le muguet est associé pour la première fois à la Fête du Travail.
Toucher un pompon. Le béret des marins de la Marine Nationale porte un pompon rouge que tout le monde peut toucher avec l’index gauche, pour acquérir 24 heures de chance, à condition que le marin ne se s’en aperçoive pas. Si le marin se rend compte qu’une fille a réussi à toucher son pompon, il lui réclame un baiser en gage. Si dans une même journée, on arrive à toucher 3 pompons, cela équivaut à 3 semaines de chance.
Voici quelques superstitions et croyances présentées, mais il en existe encore des dizaines aux origines tout aussi incroyables et lointaines.
Par Jean-Claude THIERRY