PRISONNIERS RUSSES…
« Le 1er mai 1915, mille prisonniers russes arrivent à Valenciennes occupée par les Allemands, pour travailler à la démolition des usines, réparer les routes et s’occuper des travaux des champs.
Ceux-là sont dans un état pitoyable, les uns avec des manteaux anglais, d’autres avec des képis français : ils font peine à voir.
Ces malheureux meurent de faim et demandent : » Pain! Pain! « . Sur la route, les braves gens qui veulent partager avec eux sont brutalement repoussés par les Allemands. On mettait parfois avec intention, dans les bacs à ordures, devant les portes, des morceaux de pain sur le passage de ces malheureux prisonniers ; mais dès qu’ils voulaient s’en emparer, les soldats allemands les repoussaient avec brutalité.
Hindenburg – chef de l’état-major de l’armée impériale allemande :
» On ne discute pas les affaires de goût. Les prisonniers russes doivent manger leur pain pourri au pétrole jusqu’à épuisement des stocks. Bon appétit.”
Dans l’impuissance où nous étions de les soulager, et ne pouvant les approcher, quelques personnes compatissantes jetaient du pain sur leur passage, lorsqu’ils se rendaient au travail. Ce fut alors des scènes terribles : ces hommes se battaient comme des sauvages pour ramasser ces quelques morceaux de pain.
En janvier 1916, un groupe de prisonniers russes, hâves, décharnés, misérables, traversait les rues de Vieux-Condé au moment où les garçons entraient à l’école, ayant presque tous leur goûter en mains.
Les pauvres prisonniers mourant de faim, en voyant leurs tartines, ne purent s’empêcher d’exprimer leur fringale par le geste. Il n’en fallut pas davantage pour toucher le bon cœur des petits écoliers. D’un élan spontané, tous ceux qui avaient des tartines se précipitèrent et les donnèrent aux prisonniers, bien que ce fût défendu. Les soldats de l’escorte les chassèrent et, comme une nuée de moineaux effarouchés, ils disparurent dans la cour de l’école.
PRISONNIERS RUSSES…
A peine y étaient-ils entrés qu’un sous-officier allemand y fit irruption et, d’une voix terrifiante, leur cria en mauvais français : » Qui a donné du bain aux prisonniers ? Lefez la main, ceux-là iront en prison « .
Sans hésiter, tous levèrent la main.
L’Allemand, un peu déconcerté par cette généreuse unanimité, hésita, puis, d’une plus forte voix encore, reprit : » Ah! fous avez tous tonné du bain ; levez la main ceux qui promettent de ne plus en tonner aux Russes, les autres iront trois jours en prison « .
Pas une main ne se leva.
L’Allemand, cette fois, fut stupéfait, et leur infligea à tous trois jours de prison dans l’école. Calmes comme de vieux braves, sans baisser la tête ni les yeux, un petit sourire bien français au coin des lèvres, tous les écoliers croisaient les bras sans plus attendre, et firent leur punition sans murmurer ! » (Extraits du livre de René Delame : « Valenciennes Occupation allemande 1914-1918. Faits de guerre et souvenirs »)
Carte postale vendue au profit de l’oeuvre du Pain Perdu
De tous les belligérants, les prisonniers russes furent les plus mal traités. Des œuvres de bienfaisance françaises se constituèrent pour leur venir en aide, telles l’Œuvre du pain perdu ou l’Œuvre du morceau de pain. En décembre 1918, il restait encore 1,2 million de prisonniers russes sur le territoire allemand, retenus pour servir de main d’œuvre après la signature de l’armistice germano-russe de 1917. Une commission interalliée fixa la date butoir de rapatriement des prisonniers russes au 24 janvier 1919. Pourtant, lors du recensement du 8 octobre 1919, on comptait encore 182 748 prisonniers russes sur le territoire allemand.
Prisonniers russes transportes en wagon à bestiaux vers une destination qui leur est inconnue…
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.