Un article d’Alexandre Delhomme sur le haut-relief polychrome d’Alexandre Charpentier : Les boulangers
Très Chers Amis
Un texte publié dans le journal Le ralliement des Compagnons du Devoir en 1902, nous relate la pause d’une œuvre en céramique d’Alexandre Charpentier et Émile Müller, intitulée Les Boulangers, réalisée en 1897 pour l’Exposition universelle de 1900 à Paris puis installée dans le square Félix-Desruelles (d’après ce que rapporte A. Delhomme). Peu de temps après, cette fresque fut transférée dans le square Scipion, où elle est toujours visible de nos jours, à l’angle formé par la rue du Fer à Moulin et la rue Scipion. Ouvert en 1899, il rappelle que la rue Scipion hébergeait la boulangerie des hôpitaux de Paris-Assistance publique, à partir de 1675, pour devenir un musée en 1974.
Les boulangers.
« Je lis dans mon journal que la ville de Paris vient d’ordonner l’érection, dans un des squares qui verdoient autour de Saint-Germain-des-Prés, d’un des plus beaux morceaux de sculpture qu’ait produit notre époque : nous voulons parler du haut-relief polychrome d’Alexandre Charpentier : Les boulangers.»
« Se détachant sur les treillis de jointage, en ciment vernissé, des cubes de terre cuite ; ce sont trois vigoureux Compagnons qui peinent courageusement sur la besogne. De toute la force de ses bras muscles et de ses reins solides, l’un d’eux pétrit la pâte ; un autre la présente dans une corbeille au plus affairé des trois, qui enfourne allègrement. Nus jusqu’à la ceinture, le grand tablier blanc aux hanches, les trois mitrons sont admirables de vie, de naturel et de grandeur simple. Ah ! les robustes gars, et comme tout leur être chante un hymne au travail !»
« Admirablement traités, aussi, les détails des hauts reliefs. Derrière les hommes, le four, avec ses tôles noires et ses briques rouges, les corbeilles destinées à la pâte blanche, les plats en bois, le pétrin, d’un brun terreux, et jusqu’aux linges blancs pendus aux murailles, sont d’une vérité soulignée encore par la forte simplicité des couleurs et l’harmonie des teintes. Cet essai de décoration murale méritait une meilleure place. A cette glorification du travail populaire un autre décor convenait. C’est dans la grisaille des faubourgs, parmi le va et vient et la bousculade des passants affairés, sur un fond d’usine grouillante, à l’entrée d’une place ou en pleine façade d’une maison moderne, qu’il eut fallu camper les hardis travailleurs ! … Et c’eut été pour les petits, une leçon de choses, pour les grands, un stimulant, pour tous, un réconfortant spectacle, que celui de cette force patiente se dépensant virilement, dans un labeur notable…»
« Au lieu de cela, et comme si on eut regretté pour lui le charitable clair obscure des salles de musée, on a placé presque ras de terre ce groupe qui pour prendre toute sa valeur, eut du s’élever sur un piédestal très haut et très blanc.»
« De telle sorte que, écrasé par la haute église toute noire, diminué par le mur sur lequel on l’a flanqué, comme une étagère de mur mitoyen, éteint dans ses admirables couleurs par le vert violent du gazon, le vert sombre du lierre qui escalade la muraille, le bleu tendre des croisillons où s’accrochent les plantes grimpantes, cet admirable morceau parait exilé et honteux. Tel un robuste paysan à l’entrée d’un parc mièvre… Certes, l’inspiration n’a pas été heureuse qui a choisi ce coin oisif de Paris pour y perpétuer, dans la grandeur d’un monument cette vaillante image du travail. Et, puisque le conseil municipal voulait faire un essai de décoration murale, pourquoi, entre tant d’emplacements, a-t-il choisi le plus triste décor et le moins approprié ?»
«Un espoir nous reste, c’est que la nature récupèrera l’erreur du goût des hommes… Au printemps prochain, le large manteau de lierre qui couvre la muraille derrière le groupe, va s’étendre et jeter autour des boulangers un merveilleux encadrement de verdure. Alors l’œuvre retrouvera toute sa beauté ; et la polychromie toute sa valeur. Et par les clairs matins de printemps, les passants charmés pourront croire que, soudainement transportés dans un coin de campagne, ils aperçoivent dans leur four et sous une tonnelle fleurie, trois robustes Compagnons, qui, entre les « ahan ! » de leur pénible travail, préparent le pain de la journée prochaine, le pain nourricier du sang, le pain créateur de nos énergies, le pain sacré, auguste et qui sent bon !»
A. Delhomme Jeune.
(Alexandre Delhomme, né le 6 février 1870, fils du Compagnon Cordier du Devoir, Jules Delhomme, Cœur Content le Bordelais, reçu Compagnon Cordier à Nantes le 25 octobre 1893 sous le nom de Cœur Fidèle le Nantais).
Mes amitiés à tous.
Picard la fidélité.
Compagnon Pâtissier Resté Fidèle au Devoir.