L’Alliance Compagnonnique de Tours

Livret des réformes des statuts de l’Alliance Compagnonnique de Tours.

Cet article est composé d’extraits de la plaquette éditée à l’occasion de l’exposition intitulée « Les cent ans de l’Alliance Compagnonnique » (Présentation réalisée par Laurent Bastard.), qui eut lieu dans les locaux de l’Alliance Compagnonnique de Tours du 8 au 21 décembre 2008.

L’Alliance Compagnonnique du Devoir de la ville de Tours a été fondée en 1908. Auparavant, au début du XXe siècle, les compagnons du Devoir de Tours, comme ceux des autres villes, étaient constitués d’associations de métiers indépendantes les unes des autres. Leurs sièges, comme nous le savons, étaient des hôtels-restaurants dont les patrons prenaient le titre de père et mère.

Ils étaient dispersés un peu partout dans la ville (les charpentiers se réunissaient au 49, rue Colbert, les serruriers et les tonneliers 6, place Saint-Clément, les couvreurs rue de la Grosse Tour, les boulangers 11, rue de la Serpe, les maréchaux-ferrants place du Châteauneuf, les bourreliers 110, rue du Commerce, etc.) les effectifs des compagnons étaient plus ou moins importants selon les métiers. Certains étaient très réduits (tailleurs de pierre, cordiers, tisseurs).

Face à ce compagnonnage dispersé, les syndicats ouvriers étaient bien organisés, ils comptaient beaucoup d’adhérents et étaient centralisés à la Bourse du travail.

Ils considéraient les associations de compagnons comme des vestiges du passé et leur reprochaient d’associer des ouvriers et des patrons, donc de ne pas s’engager à leurs côtés lors des grèves.

Les compagnons, pour leur part, laissaient à chacun de leurs membres le choix de s’engager ou non dans ces mouvements mais devant les attaques répétées des syndicats par voie de presse, ils décidèrent de réagir pour parler d’une seule voix.

Ils se groupèrent alors en une Alliance des corporations compagnonniques de la ville de Tours, association déclarée le 6 septembre 1908.

Les différentes associations de métiers élirent un président qui pouvait alors répondre aux critiques envers le compagnonnage. Son siège fut fixé au Café Breton, 13 place des Halles, qui était tenu par la mère et le père Legeay.

Ce dernier, compagnon tonnelier, hébergea ensuite les compagnons menuisiers, serruriers, cordonniers et tisseurs.

L’Alliance réussit à grouper à l’origine des associations autrefois divisées, voire ennemies – y compris durant ses premières années, l’Union Compagnonnique, et les charpentiers du Devoir de Liberté -, qui ensuite s’en retirèrent.

Unis, mais autonomes sur le plan de leur administration interne, les compagnons du Devoir se préoccupèrent de la condition des apprentis. Beaucoup trop de jeunes sortant de la scolarité obligatoire à 12 ans, apprenaient tant bien que mal un métier ou entraient en usine.

La SPA (Société Protectrice des Apprentis) fondée en 1911 par l’Alliance, organisa des cours professionnels dans une quinzaine de métiers, dispensés par des compagnons de valeur dans des locaux municipaux.

Les compagnons boulangers ne donnèrent pas de cours d’enseignement, restant encore avec la pensée que le métier doit s’apprendre sur le tas ; il faudra attendre 1960 pour les voir commencer à se préoccuper de formation professionnelle. La SPA institua des contrats d’apprentissage, faisant le lien entre les parents et les employeurs des jeunes gens.

Elle décerna chaque année des prix à l’Hôtel de ville. Des centaines de jeunes Tourangeaux purent ainsi apprendre un métier et beaucoup d’entre eux continuèrent à se perfectionner en faisant leur Tour de France et en devenant compagnon du Devoir. La société protectrice des apprentis cessa son activité en 1978 lorsque furent créés les centres d’apprentissage.

Fernand Randon, Tourangeau l’Île d’Amour, compagnon bourrelier du Devoir, la présida pendant près de 40 ans. Son dernier président fut Jacques Dupin, Landais le Soutien du Devoir, compagnon charron-carrossier du Devoir.

Pour démontrer au grand public et à ses adversaires que le compagnonnage était toujours bien vivant, l’Alliance fonda en 1910 un musée où furent présentés ses plus beaux chefs-d’œuvre, ses souvenirs, ses cannes, gourdes, couleurs, tableaux.

Aménagé dans le musée des Beaux-Arts, place Anatole France, puis transféré en 1922 au Palais des archevêques, place François Sicard (actuel musée des Beaux-Arts), le musée compagnonnique a permis en 1968 la création du musée du Compagnonnage, installé aujourd’hui au 8, rue Nationale.

L’Alliance inaugura la Société Protectrice des Apprentis et le musée compagnonnique le 24 septembre 1911. Des manifestations grandioses, un immense cortège dans les rues de Tours, la procession des grands chefs-d’œuvre, la présence des autorités, marquèrent cette journée. Une importante série de cartes postales fut éditée. Ferdinand Legeay, Manceau la Bonne Conduite, compagnon tonnelier-doleur du Devoir, fut le bienfaiteur de l’Alliance.

Propriétaire du Café Breton (ou Hôtel Saint-Jean), il le légua à l’Alliance compagnonnique en 1932 puis fit de même en 1933 pour les locaux annexes.

Ces remises à chevaux furent ensuite transformées en une salle de réunions, d’expositions, de banquets, de fêtes. D’autres locaux furent aménagés pour constituer les cayennes et les chambres des corporations membres de l’Alliance.

 

 

LES COMPAGNONS BOULANGERS À L’ALLIANCE COMPAGNONNIQUE DE TOURS (PAR L. BASTARD)

La division des corporations qui s’était produite à la fin des années 1920, entre celles qui avaient choisi de rejoindre la Fédération compagnonnique d’Indre-et-Loire et celles qui avaient décidé de rester dans l’Alliance, continuait de produire ses effets.

Ainsi, les compagnons boulangers du Devoir ne participaient plus à la nouvelle Alliance compagnonnique refondée en 1932, sinon à titre individuel, la société de Tours ayant choisi la voie de la Fédération compagnonnique regroupant compagnons du Devoir, du Devoir de Liberté et de l’Union Compagnonnique.

Les remous provoqués alors n’existaient plus depuis une dizaine d’années et lors de l’assemblée générale du 19 janvier 1941, on lit que :

Le Président donne la parole au compagnon Bouteloup ; celui-ci donne à l’assemblée des renseignements sur la situation des Boulangers vis-à- vis de l’Alliance et demande que sa société soit ralliée à celle-ci.

Ces lignes ne sont pas suivies de commentaires, mais cela signifie bien qu’ils n’en faisaient plus partie.

Puis, en réunion de bureau, le 30 mars 1941, on apprend que :

Le Président demande au bureau l’étude de la demande des Boulangers concernant leur rattachement à l’Alliance, qui est pris en considération et sera proposé au conseil d’administration.

Le 17 juin 1941, le bureau revient sur l’intégration des boulangers :

Le Président met à l’étude la demande des boulangers, mais le bureau juge que cette question est d’une importance toute particulière, sans aucune intention de rejeter la demande pas plus que d’entacher le legs, dans le but de conciliation décide d’avoir une entrevue avec le notaire.

En effet, le legs Legeay spécifiait que les immeubles étaient remis aux corporations du Devoir, mais les boulangers n’étaient pas mentionnés.

Reçu de souscription

pour la réfection et

l’entretien des immeubles

de l’Alliance Compagnonnique

du Devoir de Tours.

 

Lors de la réunion du conseil d’administration du 10 juillet 1941 l’affaire est à nouveau évoquée :

Le Président met à l’étude la demande des Compagnons boulangers, lesquels ont demandé par l’intermédiaire de leur représentant à l’assemblée générale que la société des boulangers soit inscrite au même titre que les autres corporations vis-à-vis de l’Alliance, il donne quelques explications de cette demande, mais dit que c’est une question de droit et qu’il serait sans doute nécessaire de consulter le notaire.

Le compagnon Tessier retient cette dernière proposition et demande que ce soit traité au plus vite ; après étude le Conseil d’Administration décide de demander une lettre précise à cette société afin de soumettre le projet au notaire.

Le compagnon Lacoua demande qu’il soit délégué des représentants pour consulter l’homme de droit, soit 2 membres du Bureau et 2 délégués de corporations qui sont désignés comme suit : Reveau, Lacoua pour le bureau et Comet et Tessier pour les corporations.

Le 24 août 1941, en assemblée générale, la question est soumise à toutes les corporations :

Le Président donne connaissance d’une lettre concernant l’incorporation des boulangers à l’Alliance, puis une deuxième lettre demandant leur affectation définitive ; à ce sujet le président des boulangers fournit des explications précises au sujet de leur affectation suivant leur désir.

Le Président déclare qu’au sujet de cette admission qu’une démarche soit faite chez le notaire par une délégation, proposition mise aux voix acceptée par l’assemblée. Sont désignés les compagnons Reveau, Comet, Lacoua, Tessier. L’assemblée confirme cette délégation établie à la réunion du 13 juillet.

On perçoit bien, à travers ces réunions successives, toute la prudence des responsables de l’Alliance qui ne veulent plus, comme en 1921, faire rentrer le loup dans la bergerie et s’entourent de précautions juridiques. On retrouvera cette prudence en d’autres occasions ultérieures.

Enfin, lors de la réunion du conseil d’administration du 18 janvier 1942 :

Le Président donne lecture d’une lettre concernant les boulangers au sujet de leur admission à l’Alliance, il fournit des explications au sujet de leur entrée, donne des affirmations au sujet de l’acte Legeay, motif assez discuté, après toutes ces discussions le président déclare que l’Alliance seule est souveraine, il donne ensuite lecture de la donation Legeay.

Résultat : l’entrée des compagnons boulangers à l’Alliance est acceptée à l’unanimité par tous les délégués, sauf le menuisier qui s’est abstenu. (Le registre porte les mots « sauf le délégué des menuisiers qui a été contre », ces quatre derniers mots ont été biffés et remplacés par « s’est abstenu ».) Suivent quelques lignes sur leur contribution aux charges.

Par la suite, le délégué des compagnons boulangers, Bouteloup, prendra régulièrement part aux réunions et la présence de sa société ne sera plus jamais remise en question.

L’après-guerre Après la Seconde Guerre mondiale, lors de la restructuration des compagnonnages autour de deux nouveaux mouvements nationaux (l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir et la Fédération Compagnonnique des métiers du bâtiment), les associations similaires à l’Alliance créées dans d’autres villes de France s’éteignent.

Sauf à Tours où le legs Legeay empêche la dissolution de l’Alliance et continue à servir de trait d’union entre les compagnons membres de l’Association et ceux de la Fédération. C’est une particularité tourangelle.

Aujourd’hui, l’Alliance est composée de dix métiers ou groupes de métiers. Les uns sont membres de l’A.O.C.D.D., les autres de la Fédération des compagnons du tour de France. Ce sont pour l’A.O.C.D.D. : Les boulangers et pâtissiers, les selliers, tapissiers, maroquiniers, cordonniers bottiers, les tonneliers-doleurs, les carrossiers, les serruriers-métalliers, les menuisiers, les maréchaux-ferrants-mécaniciens.

Et pour la Fédération des compagnons du tour de France : Les couvreurs-zingueurs, plâtriers, plombiers, les charpentiers, les maçons tailleurs de pierre, les boulangers et pâtissiers.

Si aujourd’hui l’Alliance n’a plus de rôle direct en matière d’apprentissage, elle continue à favoriser les jeunes en formation chez les compagnons de l’Association comme de la Fédération.

Elle réserve une grande part de ses recettes (bail de l’hôtel) aux compagnonnages qui la composent. À ce titre, ayant réformé ses statuts, elle est une société de secours mutuels, adhérente de la Mutualité française.

L’Alliance ne gère plus le musée compagnonnique, désormais municipal, mais son président est membre du comité consultatif du musée du Compagnonnage, aux côtés des représentants de l’Association, de la Fédération et de l’Union Compagnonnique.

L’Alliance est par-dessus tout restée fidèle aux vœux de ses fondateurs, elle constitue une structure unique en France de rencontre, de dialogue et d’entente entre des groupements qui auraient pu, sans elle, rester étrangers les uns aux autres.

Elle a su dépasser les querelles d’hommes et surmonter au cours du siècle écoulé les tensions de l’entre-deux-guerres et de l’après-guerre provoquées par les profondes transformations des Devoirs.

En 1910, son secrétaire Louis Barthes, Plein d’Honneur le Languedocien, compagnon cordier du Devoir, écrivait :
« Ce groupement est un premier pas dans la voie de la bonne entente, et s’il en existait une semblable dans toutes les villes où le compagnonnage y est vivace, beaucoup de malentendus, beaucoup de difficultés seraient aplanis, et le compagnonnage pourrait se montrer au grand jour tel qu’il est : Humain, bon, généreux. »

Cour intérieure (15 mai 2012), et salle de l’Alliance (mai 2011), fondation des C.B.P.R.F.A.D.

 

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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