Pour le pétrissage au début de 1900, l’argumentation pour transférer, l’effort sur la machine pouvait être simplement humaine, quand on voit le nombre de gestes et la pénibilité engagée pour soulever la pâte, afin de réaliser des pâtes bien battues.
Pour ce faire, il fallait « enlever » par 5 kg une vingtaine de fois pour élaborer un tour à une pâte de ± 100 kg.
Comme il se pratiquait 8 tours chez les meilleurs, on imagine aisément qu’une transpiration en résultait au point de faire pâlir les vendeurs de régime et centre de remise en forme actuels, ce que nous avons vu au post suivant sur BoulangerieNet.
Chiffré par le Syndicat de la Boulangerie de Paris, la dépense énergétique, c’est 200 grammes en moins par pétrissage et si vous remettez cela, c’est 300 grammes de perte de poids.
En faisant entrer le pétrissage, dans la mécanisation, c’est un peu le premier engrenage vers l’industrialisation.
Après l’argument de la pénibilité, le deuxième argument que l’on mentionne pour passer au pain « à la mécanique », est l’hygiène.
Les sociétés d’encouragement à l’industrialisation nationale vont insister lourdement sur ce point.
Si en 1780, dans leurs discours prononcés à l’ouverture de l’école de boulangerie, les deux Antoine, Parmentier et Cadet de Vaux, soulignaient, le besoin de science pour faire progresser l’art de la boulangerie. Surtout dans la seconde moitié du XIXᵉ siècle, c’est un réquisitoire tendancieux qui va teindre les propos. La science est moins neutre qu’on pourrait le penser, essentiellement quand il s’agit de se positionner entre artisanat et industrie.
Les aspects hygiénistes et scientiste de l’époque ont le vent en poupe .il faut bien avouer que la science gagne des duels sur la maladie en luttant contre certains microbes, on veut même délégitimer le pétrissage manuel.
C’est que les boulangers ont la poussière de farine qui « s’attache au gosier, à l’estomac et aux bronches » ce qui rend ces derniers « sujet à la toux, à l’enrouement et la difficulté de respirer ».
La parole sacralisée des docteurs va même juste qu’à dire que cette attitude du boulanger risque de créer un scandale public de contamination de la tuberculose. Dans le pain du boulanger, on va rencontrer « les germes nocifs qu’a pu y incorporer l’ouvrier, suant, soufflant et souvent tuberculeux à soixante dix pourcent ».
À l’heure où la tuberculose est un fléau appelé encore « peste blanche » qui a emporté 10 millions de personnes en France dans le XIXᵉ siècle , on n’y va pas de mainmorte avec le pain des boulangers, pourtant produit cuit.
Bien avant « l’ère Pasteur », A.Boland prend ces prétendues accusations ou rumeurs comme trop légères .
D’autres à la Ligue Sociale des acheteurs fondée en 1902 et à la Ligue internationale de l’Aliment Pur -fondée en 1910 mettent en avant « l’ouvrier si souvent tuberculeux… Qui à chaque « han » projettent des milliers de bacilles »
La publicité pour les pétrins reprend allègrement cet argument sanitaire.
Arrivé depuis juin 1849 à Londres après ces exils à Paris et Bruxelles, Karl Marx, le scribe du « Manifeste du parti communiste », s’intéresse au procédé du pain industriel.
Il n’est pas étonnant que Karl Marx s’intéresse à ce procédé et à l’industrialisation de la panification. La planification économique pour la collectivité va toujours aller de pair avec l’industrialisation pour l’économiste qu’est Karl Marx.
A l’époque, rien que pour nourrir sa famille, il est correspondant londonien, entre autre du journal autrichien « Die Presse » qui a été fondé en juin 1948 par August Zang. Ce dernier avait revendu sa boulangerie viennoise de Paris pour investir dans ce journal et en devenir le rédacteur en chef, jusqu’en 1867, date à laquelle, il revendit ses parts pour d’autres investissements.
Karl Marx évoque dans un article « Die Brot Fabrication » du 30 octobre 1862, le procédé du professeur Dauglish en ces termes ; « La généralisation de la méthode du docteur Dauglish va transformer les maîtres boulangers anglais d’aujourd’hui en simples employés de quelques grandes usines à pain. Ils n’auront plus à s’occuper de la production elle-même, mais seulement de la vente au détail, ce qui ne représentera pas pour la plupart d’entre eux une grave métamorphose, étant donné qu’ils sont déjà, pratiquement, les employés des grands meuniers. La victoire du pain mécanique marquera un tournant dans l’histoire de la grande industrie ».
Émile Fleurent -*1865-†1938- écrira de même, dans une recherche de baisse du prix, « qu’il exhorte les boulangers à devenir dépositaire du pain qui sera fabriqué dans une usine centrale montée à l’aide de leurs capitaux ».
Tout au long du XIXᵉ siècle, le monde de la boulangerie est tiraillé entre deux visions du travail, l’une qui se fie au sens et à l’expérience et l’autre venant de l’ingénierie qui cherche à imposer des mesures fixes déterminées par des instruments.
C’est trop souvent « l’ornière de la routine » que l’on évoque pour expliquer que le transfert de ce travail pétrisseur du manuel vers la mécanique prendra plus d’un siècle.
Encore un débat qui, à défaut de recherche et de discernement, avait trop de lutteurs partisans, au point qu’en 1937, Émile Dufour écrira avec un certain dépit « qu’un fleuve d’encre a coulé au sujet du pétrin mécanique et il est inutile d’y revenir, la chose étant résolue »
Marc Dewalque