La « carta musica » s’appelle le « pane carasau » dans son coin et île d’origine (la Sardaigne et à Nuoro et Sassari en particulier).
A l’origine, il était réalisé à la farine d’orge et sa cuisson spéciale permettait d’avoir un pain sec qui se conservait.
Ce pain qu’emportaient les bergers, lorsqu’ils partaient en transhumance pendant une très longue période.
Aujourd’hui, c’est devenu un produit qui se vend comme spécialité touristique.
Une fois que l’on commence à le grignoter , il n’y a plus moyen de s’arrêter !
Voyez cela, un pain qui crée presqu’une accoutumance.
Fameux produit commercial !
Mais allons-voir de plus près alors. Il s’agit, pour nous professionnels, d’une recette assez complexe.
C’est un pain plat, mais plat au point d’être ultra fin presque comme le « rice paper » (= papier de riz) qui entoure lumpia et rouleaux de printemps asiatiques.
Sa composition nous est donnée par l’Atlas des produits typiques d’Italie. Farine de blé dur, eau, levure (levain à l’origine), sel, on ne saurait pas faire plus simple !
Le tout, vous l’avez deviné, est dans le tour de main, mais pas encore dans la fabrication de la pâte, celle-ci sera homogène et souple, sans plus, prendra sa maturité lors de la fermentation de 2 à 3 heures en été et 4 à 5 heures en hiver.
On la replie sur elle-même (un rabat, quoi) pour améliorer sa texture.
L’abaisse du pâton de +/- 50 grammes, que l’on aura laissé lever un peu, en un cercle de +/- 40 centimètres de diamètre est déjà plus délicat.
Il faut que le cercle soit uniforme malgré ses 2 millimètres d’épaisseur.
Encore un petit temps de repos (détente) avant d’enfourner et là surtout, le coup de maître, la cuisson.
Il faut un four très chaud, soit sur tôle huilée (ou si vous cherchez la difficulté, sur sole), le pain vu sa minceur va éclater, une poche d’air se forme et entoure deux minces feuilles de pâte cuite.
Soit vous sortez le « pane carasau » quand il a gonflé et légèrement cuit et vous aurez alors un pain plus tendre qui vous permettra un variante plus aisée en « pane fratau », vu ultérieurement, soit vous le laissez cuire un tout petit peu plus longtemps pour qu’il soit bien sec, mais attention, ici on parle en secondes de cuisson pas en minutes.
Pour donner une appréciation plus lisible et chiffrée, il nous faut peut-être aller voir plus au sud jusqu’au Moyen-Orient pour apprendre que cette cuisson à four très chaud, se fait pendant 21 secondes à 600°C, 30 secondes à 550 °C, 43 secondes à 500 °C et 90 secondes à 400 °C pour le pain arabe que l’on appelle plus régulièrement chez nous « pain pita ».
Ce même pain qui permet de faire l’enveloppe de la farce devenue spécialité grecque.
C’est les 600 °C et 30 secondes qui sont considéré comme l’optimum au niveau technologique par les spécialistes du pain arabe.
La cuisson n’est pas finie pour autant.
Dès la sortie du four, vous coupez la poche de pâte cuite en deux dans le but d’avoir deux cercles plat au lieu d’un, et vous repassez légèrement au four pour les rendre bien craquant et aussi fin qu’un papier à musique d’où son nom.
Toutefois les touristes qui l’appellent « carta musica » disent qu’il va faire une musique à chaque bouchée, lorsque vous le grignoterez accompagné d’un peu d’huile de première pression à froid et de gros sel, ce qui provoque la même accoutumance que les chips.
Les boulangers sardes proposent ce pain musical par piles de dix ou vingt cercles, simplement emballé dans du papier.
Mais, tout qui calcule un peu le labeur et ne le dévalorise pas commercialement, comprendra aisément que les hôtels chics savent plus facilement demander le prix que le boulanger.
Ces mêmes hôteliers proposent également à leur carte, non pas la carte musicale mais le « pane fratau ».
Ils retrempent dans l’eau bouillante les cercles de « pane carasau » qui retrouvent ainsi leur plasticité initiale et l’emploi presque comme un lasagne accommodés de sauce tomate au basilic, de fromage parmesan ou pecorino, de viande hachée, d’œufs pochés,…c’est selon, et l’on repasse encore une fois au four, mais comme un plat à gratin.
Référence :
–Claudia PIRAS & Eugénio MEDIGLIANI , Les tables d’Italie d’Aoste à Palerme, éd. Culinaria Könemann, 2.000, p.460 & 461.
–Atlante dei prodotti tipici, IL PANE, ( traduction Atlas des produits typiques consacré au Pain) réalisé par l’INSOR et notamment par Corrado BARBERIS & Graziella PICCHI, R.A.I. & A.G.R.A. éd. 2000, p.280 & 281.
— Jalal QAROONI, Flat bread Technology, trad. : Technologie du pain plat, éd. Chapman & Hall, 1996, p.132.
-– Adèle ORTESCHI, Le pain italien, éd.Minerva, 2002, p.21 & 125.
— Du grain au pain : symboles, savoirs, pratiques, textes réunis et présentés par Marianne Mesnil, Collection Ethnologies d’Europe, n°2, 1992
Une vidéo de 1992 pour suivre la fabrication traditionnelle de ce pain très spécial
Marc Dewalque.