« La fraternité est pour le compagnonnage une valeur indispensable, pour les compagnons une raison d’être ! »
Ces mots me furent donnés par un ancien, Angoumois le Soutien du Devoir, Compagnon Tonnelier du Devoir. Alors jeune apprentis, je venais d’arriver à la maison des Compagnons de La Rochelle. Angoumois m’expliquait ce qu’il trouvait être le plus important dans la vie d’un Compagnon du Devoir.
Je pensais avoir compris ce qu’il voulait dire, moi-même j’essayais plus tard de retransmettre ces valeurs aux jeunes dont je suivais les premiers pas compagnonniques.
Si j’en avais saisi l’idée générale, je n’en avais pas compris le sens profond… Il me fallut attendre mai 2012 et un échange avec Picard la Fidélité pour m’en rendre compte. Le geste de fraternité dont les Compagnons Boulangers et Patissiers restes fideles au Devoir firent preuves envers un de nos anciens, me le fit comprendre. Me montrant la splendeur d’un geste de générosité désintéressée !
Afin de vous faire comprendre l’importance et la grandeur de cet acte, nous devons repartir à Tours pour la Saint Jean 1934.
Un jeune Compagnon Tonnelier-Doleur du Devoir vient d’être reçu, le Pays Gavy Marcel, Tourangeau le Résolu. Il part sur le beau Tour de France pendant cinq ans, Tours, Bordeaux et sa région, Bézier, la Provence, Beaune, Macon, Paris puis Nevers.
Puis, la guerre viend l’arracher à son métier et sa société… Tourangeau le Résolu est fait prisonnier puis déporté. Il s’évade, trouvant son chemin jusque dans les Vosges où il rejoint la résistance. Sa « spécialité » est de détourner les convois de rations destinées aux troupes allemandes. Il est blessé puis de nouveau déporté… Il parvient encore à s’évade, (en sautant du camion qui l’emmenait au camp). Cette fois-ci, il reste en Allemagne afin d’aider la résistance Allemande. Son nom est alors Der Wundbrand, la gangrène.
Il refuse toutes les décorations que les états Français et Allemand veulent lui offrir à l’exception de la croix de guerre 39-45.
« Ils voulaient même m’offrir une médaille pour avoir été blessé, tu parles d’un héroïsme ! »
Il est refondu lors de sa finition à Tours en 1947, il choisit de s’appeler Forezien en Hommage à ses parents qui venaient de Chambeon, il y passe lui-même beaucoup de temps. Il n’a cependant pas le choix sur son nom de Compagnon.
Les Compagnons de Tours, jugent que L’Insoumis est plus approprié que Le Résolu et pour cause…
Forezien l’Insoumis, à son domicile, le jour de la remise par Bordelais Noble Cœur des couleurs offertes par les Compagnons boulangers et pâtissiers restés fidèles au Devoir. (Cliché.Fourthon)
Ce Compagnon, fort d’un caractère bien trempé refuse l’adhésion à l’Association Ouvrière des Compagnons du Devoir, se bat pour la survie de nos traditions, pour la conservation de nos archives, contre la réception de jeunes sous seul prétexte d’être fils d’anciens… Ces choix personnels et le constant combat qui l’oppose aux anciens de Tours le pousse peu à peu à se mettre en marge de la société. Il accepte à la fin des années cinquante une offre qui l’amène à travailler en Italie, c’est à ce moment qu’il décide de rompre avec notre corporation.
Forezien l’Insoumis tente de reprendre contact avec ses « Frères en Devoir » au début des années quatre-vingts. Hélas, il ne reconnait plus personnes, ne compris pas le fonctionnement de l’Association Ouvrière et ne se sent pas à sa place.
Ce n’est qu’au hasard de mes recherches, appelant la tonnellerie Italienne pour laquelle il travailla jusqu’à la retraite que nous nous sommes croisé téléphoniquement pour la première fois. Sa fille cherchant également à en savoir plus sur ces Compagnons du Devoir.
De cette conversation qui ne dura finalement pas si longtemps, ce qui me marqua le plus, fut qu’il perdit ses couleurs quelques années plus tôt dans l’incendie qui ravagea sa maison. Forezien, la voix remplie d’émoi, m’expliqua qu’il ne regrettait rien de la vie qu’il vécut ou des choses perdues dans l’incendie… sauf de « ne pouvoir être enterré avec ses couleurs chéries ».
Les couleurs du Forezien étant de type Sainte Baume, je profitais le lendemain d’un échange avec Picard la Fidélité pour demander quel était l’approvisionnement des Compagnons Boulangers et Pâtissiers restés fidèles au Devoir en couleurs. Je n’attendais rien, si ce n’est une adresse, au pire un prix auquel je puisse acquérir un jeu de couleurs.
Le Compagnon Bourcier me répondit en moins de 24h, m’annonçant que les compagnons Boulangers et Pâtissiers restés fidèle au Devoir souhaitaient faire un geste pour Forezien l’Insoumis… Geste de fraternité vrai, pure, complètement désintéressé, pour un Compagnon que vous ne connaissez pas ! C’est à ce moment que je compris le sens exact des mots prononcés par Angoumois le Soutien du Devoir 18 ans plus tôt !
Aujourd’hui, ces couleurs rendent un vieux Compagnon Heureux ! Cet homme humble, plein de pudeur et de fierté mérite bien ce don.
Aujourd’hui encore, ce Compagnon n’a rien perdu de son caractère. Lors de ma visite chez lui en Italie, pour la remise des couleurs, il fallut batailler un petit moment afin de pouvoir prendre une photo. Il voulut absolument se mettre en tenu du dimanche afin que je lui accroche ces couleurs. Il insistât également pour se mettre debout à cette occasion au grand désespoir de sa fille, il semble en forme sur cette photo mais Forezien à 97 ans ne marche pratiquement plus et inutile de préciser qu’il n’était pas question que quelqu’un lui tienne le bras !
Il prit soin de me demander si j’étais moi-même fini et me posa les questions d’usages. Ne l’étant pas, il sortit la couleur verte du jeu (la couleur verte est chez nous celle des Compagnons finis) me disant que je serai mis à l’amende si je la touchais. Une fois les couleurs à la boutonnière, il demanda à sa fille de la lui accrocher.
Pour dernière anecdote, sa canne ne fut pas perdue dans l’incendie qui emporta tout ce qu’il possède. Sa fille pris cette canne afin de la montrer à des amis une semaine plus tôt. Elle n’en dit rien à son père qui aurait refusé… Cela n’empêcha pas le Forezien lorsqu’elle la lui rendit, d’entrer dans une colère dont seul lui a le secret !
Les Compagnons Tonneliers-Doleurs du Devoir ont coutumes de retransmettre leurs cannes, le jeune Compagnon devant alors se souvenir des noms des précédant propriétaires. Forezien l’Insoumis fait honneur à la mémoire de nos anciens en se souvenant toujours des deux Compagnons qui portèrent cette canne avant lui.
Mes très chères frère Boulangers et Pâtissiers restés fidèle au Devoir, je vous remercie de tout mon cœur de cette générosité envers cet ancien qui le mérite bien ! Picard la Fidélité et Agenais la Tolérance en particulier, je n’aurai jamais suffisamment de mots pour exprimer ma gratitude. En ces temps où le nombrilisme ravage l’homme, puisse ce geste servir d’exemple pour tous, jeunes comme vieux, compagnons ou pas !
Cette aventure vient ajouter une nouvelle page à la longue histoire qui unit les compagnons Boulangers avec les Tonneliers-Doleurs depuis maintenant deux siècles. De votre fondation à Blois en 1811, votre reconnaissance de 1860 que les Doleurs furent parmi les premiers à signer aux cotés des chapeliers, le 31 aout 1862.
En 1911, nos deux corporations font mère commune à Paris avec notre mère Bardon, en 1946 à Blois, réception de votre mère Caillaux, Blaisoise la Bien Aimée, dans les ateliers du Pays Conord, Blois la Resistance, Compagnon Tonnelier-Doleur du Devoir.
L’aide apportée par les Compagnons Boulangers et Pâtissiers du Devoir à la réception des Compagnons Tonneliers-Doleurs Taransaud, Angoumois l’Ami des Arts et Radoux, Saintonge l’Amour du Travail à la fin des années soixante-dix, exemples parmi bien d’autres.
Longue vie au Devoir et gloire aux CBPRFAD !
Pays Fourthon Bordelais Noble Cœur C.T.D.D.D.
En réponse et en remerciement à Bordelais Noble Coeur pour cette page de mémoires de nos deux Devoirs, une chanson tout a fait d’actualité :
Nos couleurs. (Air : Un soir sur l’herbette fleurie.)
I
J’aime a voir une riche table
Couverte de mets succulents
Cet aspect rend toujours aimables
Tous nos honnêtes Devoirants
Si l’amour et sa tendre mère
Nous procurent mille douceurs
Je veux pour charmer plus d’un Frères
Vous chanter nos belles couleurs (bis)
II
Couleurs chéries, couleurs charmantes
Déployez vous a mon coté
De vos nuances éclatantes
Etalez partout la beauté
Vous placent dans cette chanson
Au sommet de toutes grandeurs
Pour cela tout vrai compagnons
Voudra posseder les couleurs
III
Oh, vous qui reignez sur le monde
Sous les habits les plus brillants
Vous êtes sur la mappemonde
Les êtres les plus éclatants
De vos panaches et cordons
Non, je n’envie point les hommes
Puisque de nos vrais Compagnons
Je porte les belles couleurs.
IV
Celui qui conduit à la gloire
Nos soldtas et nos généraux
C’est l’emblème de la victoire
Il fait palit tous nos rivaux
Riche et précieux pavillon
Tu nous rendis cent fois vainqueurs
Je te chéris comme mon jonc
Garni de nos belles couleurs.
V
Flatter le Macon, le Bordeaux,
Le Champagne, le Frontignan
Et mettre à sec mille tonneaux
Furent les voeux d’un devoirant
A ces passe-temps si joyeux
J’ai grise cent dégustateurs
Mais maintenant je trouve mieux
De chanter nos belles couleurs.
VI
Vêtir ce qu’on a de plus beau
A la fin de chaque semaine
Est un usage peu nouveau
Qui n’a d’attraits selon l’aubaine
Mais si vous parlez de conduite
La joie sera dans tous les coeurs
C’est a qui mettra le plus vite
Son bel habit et ses couleurs.
VII
Artisans de toutes industries
Ennemis de tous nos mystères
Ne critiquez plus je vous prie
Les emblemes de tous nos Frères
Quand le progres de son flambeau
Aura dissipe vos erreurs
Pour vous rien ne sera plus beau
Que d’être ornes de nos couleurs.
VIII
Un aspirant devenu Frère
Vous dit et sans se prévaloir
Que l’on ne peut fuir la misère
Sans la tutelle du Devoir
Mais pour briller au tour de France
En depit d’éternels censeurs
Il flatte la magnificence
De ses immortelles couleurs.
IX
Chamoiseurs et Tondeurs de draps
Charpentiers et Tailleurs de pierres
Compagnons de tous corps d’états
Accourez chez nos mères
Venez chanter de gais refrains
Et trinquer avec les Doleurs
Qui s’écrient ! Non, plus d’orphelins
Nous reconnaissons vos couleurs.
X
Après dix ans de tour de France
Je retourne dans mon pays
Berce par la douce espérance
D’y revoir touts mes vieux amis.
J’embrasse mon père et ma mère
Qui de plaiisr versent des pleurs
C’est de voir a ma boutonnière
Flotter nos brillantes couleurs.
XI
Lorsqu’il faudra que je succombe
Promettez moi mes chers Pays
Que vous descendrez dans ma tombe
Y renfermer quelques rubis.
Puis retournez tous chez la mère
Versez du vin et non des pleurs
Au souvenir de votre Frère
Enseveli dans ses couleurs.
XII
Trinquons à la fraternité
Frères, de l’auteur c’est le nom
Et buvons tous à la sante
De cet aimable compagnon.
Je vous asure et certifie
Qu’il a jure au fondateur
Qu’il soutiendrait toute sa vie
Son nom, sa canne et ses couleurs.
DEQUOY, Blois la Fraternité, le 28 fevrier 1875.
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.
Mes chers Pays,
C’est avec beaucoup d’émotion que j’ai lu cet article.
Cela me remémore des souvenirs de TDF où nous rencontrions des Pays et des Coteries qui, par-delà les sociétés auxquelles ils appartenaient et les querelles de clocher, pratiquaient une vraie fraternité, venant du coeur.
J’en ai fait l’expérience dans des entreprises qui n’étaient pas de mon rite.
Votre compagnonnage des CBRFAD est une belle initiative et je suis on ne peut plus heureux qu’Agenais la Tolérance vous ait rejoints.
Salut – Salut – Salut.
Parisien Prêt à Bien Faire
CMDDDL
C’est bien vrai je quitte tout juste un frère Champagne le Bienveillant CTDDD qui quitte la belle ville de Dijon ce jour! Hier il était aux retrouvailles et après avoir refait le compagnonnage autour de quelques verres et avoir dormi chez les chiens blancs, il a fini par partir ce pour la belle ville de pont veyle!
Fraternellement
Tourangeau Coeur Dévoué
TCFF,
Merci a tous pour vos messages, ils me vont droit au cœur!!!
Les enfants de Maitres Jacques forment une grande famille, nous avons des freres avec lesquels nous sommes plus proche que d’autres. Mais ne renions et n’oublions personnes!
Tres fraternellement!!!
Bordelais Noble Coeur
CTDDD
Très Cher Bordelais, T.C.F.,
Quel plaisir de te lire, les larmes me viennent en ressentant le plaisir de l’ancien.
Qu’il est beau, non?
Saches Bordelais que ton dévouement pour cette cause est fabuleux, notre rencontre cet été fut brève mais j’ai eu le plaisir de connaitre un bien beau Compagnon.
Saches que le don que tu as fait aux C.B.R.F.A.D. nous a profondément émus car cela rejoint parfaitement la tradition des Compagnons Doleurs-Tonneliers.
De plus, non seulement tu t’es investi, mais , malgré la distance, tu es allé au bout de ton dévouement en partageant avec les chiens blancs ce moment de remise des couleurs au forézien.
Tu es un exemple pour nous car c’est bien là le but du Compagnonnage:
La Fraternité! Le don de soi pour son prochain!
R.T.C.F.M.S.F.E.C.
I.D.F.L.B.E.C.B.R.F.A.D.
E.D.M.J.P.L.V.
3.5.7.
ps: souviens toi qu’une carte postale reste à ta disposition à la maison.
Peut être pour ton prochain passage.
Belle histoire de fraternité et je n’ose imaginer l’émotion de Forézien… Comme il est agréable de voir encore de nos jours des hommes si attachés à des valeurs, à leurs origines, à leurs vécus… nous serons garder la tête froide et saine face à l’avenir en nous souvenant du passé et en perpétuant nos traditions… et en premier lieu : la Fraternité!
Merci beaucoup pour ce texte sur cet ancien. Je l’ ai lu avec beaucoup d ‘interessement surtout le passage qui touche la période 39/45 qui m ‘affecte beaucoup.
L’ ancien à l’ air d ‘avoir un sacré tempérament…
Merci Bordelais de nous avoir fait partagé ceci.
Fraternellement
Bourguignon L’ Ami Du Tour De France
CPRFAD
Merci par trois fois pour ce très. beau temoignage ,oui le compagnonnage. existe. toujours. avec la fraternité en avant et toutes ses vertus!!! Je suis vraiment. fier de nos anciens. qui nous laisse un bel héritage!! Longue vie au devoir!
Bien fraternellement a tous TCCDCBRFADEDMJPLV
TC Bordelais
Tout d abord je tiens a te remercier pour nous faire partager cette merveilleuse expérience emplie de fraternité.
je tiens aussi a te remercier en tant que vice président pour ton témoignage chaleureux que tu portes au nom des R.°.F.°.A.°.D.°. , mais sache que si cette aventure a pu arriver à terme c’est quand même grâce à ton dévouement.
Pour tout cela : TCF.°. trois fois merci
reçois TCF.°.mon baiser de paix le plus fraternel
L.°.L.°.E.°.C.°.C.°.P.°.R.°.F.°.A.°.D.°.
Merci pour ce témoignage, il fait chaud au coeur de lire que la fraternité perdure encore…
Normand la Fidélité
CBRFAD
Mon cher Bordelais Noble Coeur,
Ton vécu avec notre Frère en Devoir Forézien l’Insoumis est saisissant d’amour et de fraternité! Tu retrâces infiniment bien sa vie, qui fût pour lui aventureuse (parfois malgré lui) mais surtout empreinte de l’idéal compagnonnique.
Ta démarche auprès de lui est juste, belle et surtout tu mets en pratique, les valeurs que tu as reçu lors de ton Adoption et ensuite de ta Réception!
Pour moi, c’est çà la vraie beauté du Compagnonnage!
Je retiens cette phrase que tu as écris:
« Aujourd’hui, ces couleurs rendent un vieux Compagnon heureux. Cet homme humble, plein de pudeur et de fierté, mérite bien ce don. »
Pour moi, tout est dit!
Les Compagnons Boulangers et Pâtissiers Restés Fidèles au Devoir, dans cet esprit de solidarité fraternelle n’ont fait que leur Devoir!
Je te souhaite, un jour de revoir ce Frère, et de notre part fait lui la triple et chaleureuse accolade fraternelle.
Agenais la Tolérance
CBRFAD