LE CONGRÈS DE BLOIS DE 1936 DIT « CONGRÈS DES RITES »
Congrès de Blois, 14 août 1936. Au premier rang au centre Fernand Péarron, Blois Plein d’Honneur, encadré de gauche à droite des Mères Béheulières de Paris, Lahondès de Nîmes, Caillaux de Blois, Larcher de Troyes et Chenet de Tours.
Congrès de Blois, 14 août 1936, formation du cortège, bannières et drapeaux déployés, le grand drapeau à droite est celui des compagnons couvreurs du Devoir de la ville d’Angers exposé de nos jours au musée du Compagnonnage de Tours. |
Tête du cortège, avec le rouleur et la fanfare. |
Les Mères des compagnons boulangers du Devoir, Mme Caillaux de Blois et Mme Lahondès de Nîmes. |
À ce jour, aucun document ne m’a permis de pouvoir présenter les travaux de ce congrès. Nous savons juste que sa priorité fut de proposer à l’ensemble des Cayennes du Tour de France * un rituel de réception retravaillé afin que son contenu et son message soient en harmonie avec la jeunesse de l’époque.
* Certaines Cayennes ayant dans certains cas leurs propres pratiques lors de leurs réceptions, ce congrès a permis d’uniformiser la réception au niveau national et de faire disparaître certains abus hérités du XIXe siècle.
Par contre, nous savons grâce à la presse compagnonnique, que ce fut un grand jour de fête intercompagnonnique célébrant, le 15 août, le 125e anniversaire des compagnons boulangers du Devoir.
Invitation et programme de la fête du 125e anniversaire de la Cayenne de Blois.
Lisons l’article écrit par le compagnon Ondet, sellier-bourrelier du Devoir, Blois Va de Bon Cœur, publié dans le journal N°86, Le Compagnon du Tour de France, organe de la Confédération Compagnonnique des Devoirs et Devoir de Liberté, en date du 1er octobre 1936 :
« Assomption 1936 à Blois, 125e anniversaire des CC.: boulangers du Devoir et fête annuelle des CC.: des Devoirs et Devoir de Liberté de Blois et du Loir-et-Cher.
Magnifique, imposante, ordonnée. Voici dans quel ordre s’est déroulée la fête anniversaire des CC.: Boulangers.
Un temps maussade, qui était venu entacher la période estivale de cette première quinzaine d’août, laissait douter de sa réussite, mais, pour cette circonstance, il avait fait place à un ciel radieux et à un soleil ardent que n’eussent pas désavoué nos villes méridionales, qui apportaient la note claire et gaie, la joie et l’enthousiasme au cœur de tous les acteurs de cet épisode compagnonnique.
Un souffle d’allégresse semble s’être emparé de la ville qui attend, curieuse, le défilé dont on l’a prévenue. Les monuments, œuvres d’art et d’architecture, témoins muets de la grande épopée de nos ancêtres, maîtres de l’œuvre, l’église abbatiale de Saint-Laumer, l’église cathédrale Saint-Louis, dressent dans l’azur leurs dômes imposants.
L’antique palais des Valois et des Bourbons vérifie si les bonnets pointus de ses tours restent bien droits et semble vouloir, à cet instant suprême, communier encore avec les compagnons du Tour de France
La nature offre le tableau merveilleux de son décor, la Loire déroule paresseusement la traîne moirée de sa robe royale parmi les grèves d’or et les peupliers frémissants. La vigne sur les coteaux accablés de lumière, aligne ses ceps comme des gymnastes passant une parade et dans le lointain s’estompent les clochetons et tourelles des châteaux.
Bref, dans ce décor majestueux, venus des bords de Loir, pays de Vendôme, aux rives du Cher, proche de la patrie de l’illustre George Sand, de l’Orléanais à la Touraine, Compagnons Solognots et Beaucerons, répondent présents ! … à l’appel fraternel des compagnons Blésois.
Dès le matin les délégations affluent de très loin. Les sociétés corporatives et des groupes régionaux avaient tenu à se faire représenter.
De Paris, un groupe de compagnons selliers ayant à leur tête leur Mère, Madame Cochet, puis les compagnons couvreurs, avec Morel * et Cottereau *, Coursière * des Bons Drilles charpentiers, d’autres encore, forgerons mécaniciens, charrons, serruriers.
Le C.: Larret *, des Indiens de Paris. Puis de Tours, les CC.: Foucteau *, couvreur du Devoir, Baugé *, maréchal-ferrant du Devoir, Tournois *, doleur du Devoir, et un nombre important de compagnons de toutes les corporations de cette ville accompagnant leur Mère Madame Chenet.
* Jacques Morel, Parisien la Franchise, reçu à la Saint-Pierre 1912 à Paris †1953.
* Édouard Cottereau, Blois la Belle Conduite, reçu à l’Ascension 1907 à Tours †1963.
* Jules Coursière, Parisien la Clef des Cœurs, reçu à la Saint-Pierre 1907 à Paris †1952.
* Valentin Larret, Saintonge le Soutien de Salomon, reçu à la Saint-Joseph 1913 à Paris †1956.
* Gabriel Foucteau, Poitevin la Couronne du Temple, compagnon couvreur du Devoir.
* Henri Baugé, Tourangeau Cœur Loyal, reçu à la Saint-Éloi d’hiver 1911 à Marseille †1981.
* Marceau Tournois, Blois la Fierté du Devoir, reçu à Noël 1924 à Nevers.
Les menuisiers de Liberté sont représentés par les compagnons Loustaleau, Julien Mayel et Maxime Hayer. D’Orléans, de Châteauroux, de Troyes, de Nîmes, de Bordeaux, les boulangers étaient représentés. Parmi les groupes régionaux, notons la présence des compagnons délégués suivants :
- Périgouard *, compagnon maréchal-ferrant, vice-président des Devoirs de Blois et du Loir-et-Cher.
- Pelluchon *, compagnon passant charpentier de la Fédération Intercompagnonnique de la Seine.
- Foucteau, de l’Alliance des Devoirs de Tours.
- Bernard père *, compagnon boulanger de la Fédération de Bordeaux et du Sud-Ouest.
- Demery *, compagnon menuisier et Rimbault *, compagnon maréchal-ferrant de la Fédération Atlantique de La Rochelle.
- Larché *, compagnon boulanger de la Fédération Champenoise.
- Béguin * et Perriot * du groupe de Châteauroux.
- Le compagnon Pagot, délégué du Conseil central des compagnons maréchaux-ferrants.
- Bris Marcel *, et Avrigault, Président des compagnons Forgerons mécaniciens et des charrons de Paris représentant le conseil confédéral (S.J.S).
- Ondet *, compagnon sellier de Paris, délégué par l’administration du journal confédéral Le Compagnon du Tour de France.
- Maurice Perriot, Berry L.D.D. (métier inconnu).
- * Georges Perrigouard, Tourangeau l’Exemple de la Vertu, reçu en 1899 à Marseille †1958.
- * Marcel Pelluchon, Saintonge la Fermeté, reçu à la Saint-Joseph 1913 à Paris †1984.
- * François Bernard, Bordelais l’Inviolable, reçu à la Saint-Honoré 1912 à Bordeaux †1937.
- * Alfred Desmery, Alfred le Limousin, reçu à la Ste-Anne 1886 à Tours †1956.
- * Alexandre Rimbault, Poitevin l’Amour du Travail, reçu le 1er octobre 1895 à Marseille †1952.
- * Bernard Larché, Champagne le Bonne Résistance, reçu à Noël 1923 à Troyes.
- * René Béguin, René le Berry, compagnon serrurier du Devoir, reçu en 1924 à Tours.
- * Marcel Bris, Parisien la Noblesse du Devoir, reçu le 26 novembre 1932 à Paris †1996.
- * André Ondet, Blois Va de Bon Cœur, reçu à Pâques 1924 à Paris †1969.
Et selon l’ordre du programme, rassemblement est fait à midi, place Louis XII, sur les degrés du Théâtre municipal pour la photographie.
Cette opération terminée, un vin d’honneur est offert aux invités au cours duquel le compagnon Péarron, Président général des compagnons boulangers du Devoir, après avoir souhaité à tous une fraternelle bienvenue, déclare avoir une agréable mission à remplir, celle de remettre au dévoué compagnon boulanger de Blois Beauvoir, le Fier Décidé, la croix de chevalier de l’ordre de Jacques et Soubise, en remerciement de son dévouement et de l’abnégation qu’il apporte constamment au service des diverses branches de l’activité compagnonnique. L’approbation générale ponctue ce geste symbolique d’applaudissements prolongés et nourris.
Puis vient maintenant la formation du cortège, assez laborieuse, car de tout temps les compagnons furent indisciplinés pour les exercices d’ensemble, le soleil est brûlant et près de la fontaine Louis XII qui coule sans arrêt, beaucoup déplorent que ce ne soit pas de la liqueur de Bacchus qui s’échappe.
Abstinence forcée, mais quelle vengeance prochaine sur la fillette de Pineau. Après de laborieux efforts, le compagnon Papineau est arrivé à constituer l’ordre de marche de chacun.
Entre deux haies par près de 150 compagnons, se place en tête du cortège, ouvrant la marche, le rouleur des compagnons de Blois, puis, derrière, sur une seule ligne, les rouleurs des compagnons boulangers de Paris, Nîmes, Tours, et des couvreurs de cette ville.
Ensuite, l’Harmonie municipale, le drapeau de la cayenne des boulangers de Blois, le landau portant Mesdames Caillaux, Mère de Blois, et Lahondes Mère de Nîmes, le drapeau de Nîmes et de La Rochelle des compagnons boulangers, le landau des Mères de Paris, selliers et boulangers, Mesdames Cochet, et Béheulière, la bannière des compagnons boulangers de Paris, le landau des Mères de Tours et Troyes, Mesdames Chenet et Larché, le drapeau des compagnons passants bons-drilles couvreurs, et, fermant la marche, le char des chefs-d’œuvre, au milieu duquel est placé le grand chef-d’œuvre exécuté par la cayenne des compagnons passants charpentiers du Devoir de la ville de Blois, au temps des luttes ardentes que se livraient les corporations pour établir leur Devoir dans les sites. À la suite de leur succès remporté sur le groupe adverse, il fut offert par les charpentiers de Blois à la ville qui le conserve en son musée
Au son des marches entraînantes, le départ est donné et le cortège remplit bientôt les rues étroites de la capitale du Blésois. Une foule sympathique salue avec spontanéité emblèmes et chefs-d’œuvre. Les jeunes étonnés s’interrogent, les vieux, heureux de retrouver dans cette démonstration les visions de leur jeune temps, répondent avec empressement, ce sont les compagnons du Tour de France ! et les saluent de leurs bravos.
Une course cycliste empruntant l’itinéraire vint un moment jeter la perturbation dans le cortège. Jamais un seul instant, le spectacle suranné des sports commercialisés ne vint détourner l’attention du public. Elle était toute concentrée sur l’étrange et beau cortège qui se déroulait sous ses yeux. Sympathie et respect allaient tout à la fois aux compagnons qui défilaient sans morgue ni arrogance, faisant une garde d’honneur à leurs Mères, vivant symbole d’amitié, et aux chefs-d’œuvre que ces hommes avaient créés, animés par la foi du Devoir.
Dans ces jeunes gens qui défilaient fièrement, parés de leurs longues couleurs multicolores, cette foule retrouvait les descendants des Macé, des Moreau, des François Papin et autres menuisiers et sculpteurs célèbres, qui ont fixé l’empreinte indélébile de leur talent professionnel sur les plus beaux monuments qui font le renom de la ville.
La joie, la bienséance et la fraternité présidèrent à cet admirable banquet. Il faisait chaud et, ma foi, on oublia le protocole « où il y a gêne, pas de plaisir » et quelques vestes tombèrent. Tous firent honneur au menu et aux vins du pays, les gorges étaient sèches et ils furent appréciés.
À notre table d’honnêtes compagnons Bordelais qui s’en étonnaient, je leur contais ces vers d’un chansonnier du pays Blésois :
Il ne nous manque pas en France De vins aux noms retentissants Que l’on goûte avec déférence Que l’on boit en se recueillant.
Mais moi, je te le dis sans vergogne Le petit vin blanc que voilà,
Le petit vin blanc de Sologne
Vaut mieux que tous ces grands crus-là !
Respectons ces exagérations, puisqu’elles sont dictées par l’amour du sol natal, mais nous avions à prendre une revanche sur l’astre du jour et nous n’y avons pas failli.
Au dessert, le compagnon Papineau présenta les excuses du père Legeay, compagnon doleur de Tours, le généreux donateur des immeubles de la Place des Halles dans l’impossibilité d’être à cette fête avec eux, il témoignait à tous les compagnons réunis ici sa fraternelle sympathie en leur offrant le vin bouché.
Un ban vivement battu remercia cette annonce et tous les compagnons trinquèrent à la santé du bon et généreux père Legeay. Puis le compagnon Péarron, Blois Plein d’Honneur, inaugura la série des discours et remercia tous les invités. Ensuite la parole est donnée au compagnon Pagot, maréchal- ferrant, membre du Conseil central des compagnons maréchaux du Devoir, et suit M. Gamard, Président, et Harpin, secrétaire du syndicat patronal de la boulangerie de Blois.
Ils remercient avec empressement les compagnons boulangers de leur aimable invitation et les assurent de leurs meilleurs sentiments. »
Menu du banquet du 15 août 1936, 125e anniversaire de la cayenne de Blois.
Affiche annonçant le “Grand Bal” du 125e anniversaire de la fondation de la cayenne de Blois.
La carte du bal au Château de Blois.
Parmi tous les discours retranscrits dans le journal Le Compagnon du Tour de France voici celui d’Abel Boyer, Périgord Cœur Loyal, compagnon maréchal-ferrant du Devoir :
« Chers amis, permettez-moi de vous appeler tous ainsi, puisqu’un même esprit nous rassemble, celui d’honorer, de fêter le 125e anniversaire de l’avènement des boulangers au compagnonnage.
Cent vingt-cinq années nous séparent en effet d’une bien rude époque où le compagnonnage n’était pas une plaisanterie, mais une rude nécessité. Le compagnonnage clandestin, honni des régimes déchus, n’était pas plus en faveur sous l’Empire, qu’il ne l’était sous la Constituante, la fameuse loi Le Chapelier est là pour nous le rappeler.
Si les grands maîtres de l’heure mettaient à contribution la science des compagnons, ils se souciaient fort peu de leur condition sociale et n’avaient à leur égard aucune compassion pour leurs maigres salaires. Il était intolérable que des hommes, experts en leur métier, les hommes les plus utiles à la société, puissent réclamer un salaire su- périeur à celui qu’on leur imposait.
Cet état d’esprit n’est pas tout à fait éteint de nos jours, croyez-le, mais jadis c’était pire. Or le compagnonnage était l’organisme secret, insaisissable qui cimentait les volontés et s’opposait à ce que le travailleur fût ravalé au rang d’esclave. Pour être compagnon, il fallait d’abord être digne du salaire qu’on exigeait et surtout n’être ni un poltron, ni un lâche, ni un délateur.
Ah ! Je sais bien que l’on a souvent médit et essayé de tourner en dérision les épreuves auxquelles étaient soumis ceux qui aspiraient à devenir compagnons. Mais nos contempteurs peuvent-ils en comprendre le sens, eux, qui ne savent rien en feignant d’ignorer les mœurs des temps révolus ?
Eh oui ! Ce n’était pas des réceptions à l’eau de rose, comme dit un drille à mes côtés, rien n’était épargné au postulant pour éprouver sa fidélité et son attachement à l’organisation à laquelle il voulait appartenir et ce n’était qu’après une série de longues et pénibles épreuves qui trempaient les caractères, qu’ils recevaient l’ordination.
Épreuves physiques et morales et ordination sont deux choses distinctes, les unes étaient barbares et les autres sacrées. L’ordination faisait tout oublier, c’était un baume pour l’âme et pour le cœur, et les compagnons ainsi reçus se trouvaient pénétrés d’une flamme et d’une foi qui ont valu au compagnonnage sa filiation jusqu’à nous.
Avec de telles mœurs, il était difficile à des corps de métier de se faire compagnonniser. Les métiers qui se défendaient le mieux vis-à-vis des maîtres étaient ceux dont l’art était difficile. Et puis il y avait toute une procédure à suivre et à observer qui rendait l’accès du compagnonnage quasiment impossible aux corporations qui lui étaient étrangères.
C’est ce qui arriva aux maréchaux, parce que les forgerons s’y opposaient et si ce n’eût été les charpentiers de Soubise qui vinrent à leur aide, ils n’eussent pas existé longtemps sur les tables compagnonniques.
Les boulangers connurent pire. Cette corporation, comme tant d’autres, désirait une constitution agissant avec autorité sur les corporants, les disciplinant pour la lutte d’un peu de bien-être, d’un peu de liberté. Les boulangers connaissaient les liens de solidarité qui unissaient les compagnons, leur discipline de fer.
Ils voulaient se constituer à leur image, mais on les repoussait. Ce fut un bien énigmatique personnage que ce Bavarois Beau Désir que les doleurs affirment ne pas connaître, mais qui, sans doute, recelait un anonymat mystérieux et qu’il eût été dangereux de détruire pour la sécurité de quelques existences. En tout cas, les boulangers connurent à leur tour le secret de savoir réunir les hommes de bonne volonté, de les faire agir dans un sens déterminé et de leur faire aimer l’institution, au point de s’immoler pour elle.
Chaque corporation avait ses héros et ses martyrs. Nos archives sont encore remplies des collectes faites pour ses prisonniers, pour ceux qui s’en allèrent, à tort ou à raison, ramer sur les galères, pour délit de coalition ou pour du sang répandu en de turbulentes rencontres où les cannes devenaient des armes et couleurs et chapeaux des trophées, folie d’un peuple entretenue et exaltée par tous ces bruits d’armes montant des pavés de l’Europe coalisée contre nous.
Enfin les boulangers par leur bravoure à se défendre contre tous, par leur respect aux règles du compagnonnage, par leur entrain à voyager la France, forcèrent l’estime et l’admiration, et tel qui méprisait le mitron, rendait hommage au compagnon.
Et je puis vous confesser chers amis, que celui qui fut mon guide, mon précepteur, mon père spirituel en compagnonnage était un compagnon boulanger. Il s’appelait Achard, Tourangeau la Constance. Je l’ai connu à Nîmes, ce fut lui qui mit entre mes jeunes mains une riche et très ancienne documentation, ainsi que les livres de Perdiguier.
Ce brave Achard m’emmenait partout dans ses sorties compagnonniques et me prêtait pour la circonstance sa vieille redingote usée et son pantalon trop court. Je ris encore de bon cœur au souvenir de ce qu’il advint de ce dernier au bal d’une Saint-Honoré, à Montpellier, où, dans la matinée, nous avions mangé le pain béni de la main même de Monseigneur de Chabrières, grand ami des compagnons et initiateur du projet du millénaire, que sa mort prématurée fit échouer.
Donc, dans un entrechat quelque peu excentrique, le fond de mon pantalon ayant cédé, ma liquette se déployait en éventail à travers les pans de ma lévite. Aussi, pour cacher mon infortune, je dus passer la nuit adossé aux murs de la salle et m’interdire de participer à tous les rondeaux. Pour ne pas enlever à cette fête le caractère sérieux qu’elle se doit de conserver, je m’en arrête là.
Ce qu’il me reste à faire et à dire, c’est de remercier le comité d’organisation pour la réussite et le couronnement de ses efforts. Je salue mon vieil ami Péarron, le champion de nos vieux Devoirs. Il est l’âme, le pivot du mouvement compagnonnique de la région. Il y est aidé par la sympathie de tous ceux qui l’entourent et le secondent dans l’accomplissement de sa tâche.
Il sait allier tous les intérêts à la fois, qu’il s’occupe de sa société, de la caisse du Ralliement, et de la Fédération Confédérée du Loir-et-Cher. Trois choses qui s’unissent et qui se complètent. Puissions-nous tous nous inspirer de son exemple et faire cesser cette politique du coup d’épingle qui se dessine sournoisement pour entretenir ou faire renaître des divisions funestes aux intérêts généraux du compagnonnage.
Compagnons du Devoir, restons unis !
C’est mon vœu le plus cher. L’orgueil et la vanité ont souvent perdu les hommes et les institutions.
Avec vous je crie :
Vive les vieux Devoirs ! Vive le Ralliement ! Vive notre Confédération ! »
Reprenons l’article d’André Ondet, compagnon sellier-bourrelier du Devoir, Blois Va de Bon Cœur qui relate lui-aussi l’évènement, avec enthousiasme :
« Puis le compagnon Marcel Bris (Marcel Bris, Parisien la Noblesse du Devoir, compagnon forgeron-mécanicien du Devoir), représentant délégué du Conseil Confédéral Salomon, Jacques, et Soubise, clôture l’ère des discours en portant bien haut son groupement.
La parole fut ensuite donnée aux chanteurs et compagnons, dames et demoiselles qui rivalisèrent dans un répertoire varié et agréable. Puis l’on abandonna, petit à petit, la salle du festin, pour se diriger vers le bal, organisé dans les salons du château de Blois, salle Gaston d’Orléans.
Ici encore, l’on peut constater que les organisateurs ont exigé, jusqu’au bout, tout ce qu’il y a de grandiose dans la ville pour donner exception aux compagnons du Tour de France.
La salle, de style mi-renaissance et médiéval, est entourée de plusieurs salons, avec lesquels on communique par des voûtes garnies de loggias, tous sont à la disposition des invités. Dans l’un est installé le buffet, dans un autre -heureuse idée des organisateurs- sont exposés tous les travaux des corporations qui figuraient au cortège.
À la place d’honneur, le grand chef-d’œuvre des passants charpentiers de Blois, entouré des travaux des corporations, charrons, bourreliers, maréchaux, doleurs, forgerons mécaniciens, plâtriers, etc.,dont beaucoup sont exécutés par des compagnons Meilleurs Ouvriers de France : Flouret * de Paris, Larpin29 de Montluçon, Laville * de Marseille, Tournafol * de Paris, Roillant et Puzelat * de Blois, des fers allégoriques, artistiquement ciselés par le compagnon Périgouard de Chouzy, des animaux symboliques sculptés par le compagnon Roy de Tours.
Un chapiteau sculpté par le compagnon Maillard * dit La Tranquillité de Blois, compagnon passant plâtrier du Devoir, qui est en même temps l’auteur des sculptures du bel escalier de pierre récemment exécuté et par lequel on accède à ces salons. Cette petite exposition qui diffuse si nettement les talents des enfants du Devoir, est très appréciée du public qui a goûté l’esprit artistique et la précision de l’exécution des œuvres. Bravo pour les organisateurs avisés !
L’entrain préside à ce bal animé d’un savant orchestre. À minuit, la Chaîne d’Alliance est constituée par un groupe de cent cinquante compagnons, qui font monter le chœur sous les voûtes fraiches et sonores, les refrains des « Fils de la Vierge » dont les couplets sont interprétés par le compagnon Edeline, boulanger du Devoir, et que l’écho emporte par delà l’immense vallée ou roule le fleuve majestueux.
Dans une farandole effrénée, parmi le chatoiement des couleurs brillantes, sous l’éclat intense des lustres, alors que l’aube appelle la fin des réjouissances, se termine une fête que nous pouvons classer, sans ostentation, de belle parmi les plus belles. Le lendemain des cars touristiques emmenaient bon nombre de compagnons et d’amis visiter les habitations princières blésoises et tourangelles : Chambord, Cheverny, Chaumont-sur-Loire, Amboise, etc.
Après un ultime rendez-vous chez l’estimable Mère Cailleaux, la dislocation générale se fit, laissant à tous un très beau souvenir de cette Assomption 1936. Quelle conclusion pourrait nous tirer de cette superbe fête ? Je veux laisser à d’autres plus qualifiés, parce qu’ils en ont écouté, mieux que moi-même, les divers échos et commentaires qu’elle a fait naître dans toute la région.
Mais, si elle a réussi à attirer l’attention du public sur la beauté morale et professionnelle de notre compagnonnage (et cela tant mieux !), à resserrer l’amitié fraternelle entre tous les enfants de Salomon, de Jacques, et de Soubise, l’exemple de cette collaboration est un guide précieux pour l’avenir, un démenti formel aux délateurs éhontés de notre confédération.
Rendons hommage à tous ceux qui ont apporté leur concours pour un tel résultat, mais saluons et félicitons avec empressement les compagnons Papineau, Maillard, Normand, et autres, qui furent les grands artisans du succès. Ils peuvent être persuadés et fiers d’avoir bien travaillé pour le Devoir.
A. Ondet, Blois va de Bon Cœur. C.S.B.D.D.»
* Ferdinand Flouret, Dauphiné la Bonne Espérance, compagnon charron du Devoir, reçu à la Sainte-Catherine 1872 à Bordeaux ; M.O.F. 1924, †1939.
* Joseph Larpin, Bourbonnais le Soutien des Couleurs, compagnon bourrelier-harnacheur du Devoir, reçu en 1892 à Tours, M.O.F. 1933, †1963.
* Antoine Laville, Limousin la Franchise, compagnon bourrelier-harnacheur du Devoir ; M.O.F. 1936, †1941.
* André Tournafol, Parisien l’Ami du Travail, compagnon mécanicien du Devoir reçu en 1934 à Paris.
* Marcel Puzelat, Blois l’Ami du Travail, compagnon charron du Devoir, reçu en 1905 à Tours, †1941.
* Marceau Maillard, La Tranquillité de Blois, compagnon plâtrier du Devoir, reçu en 1914 à Tours, †1978.
Extrait du livre « Le pain des Compagnons » L’histoires des compagnons boulangers et pâtissiers
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.