Nous savons que les compagnonnages sont en évolution constante afin que les compagnons puissent au fil du temps, non pas seulement pour s’y retrouver, mais « coller » comme ils le peuvent aux demandes, aux attentes et au besoin de la jeunesse, car le but essentiel est de faire des jeunes hommes solidaires sur le TDF, responsables, et conscients de leur rôle et ainsi assurer la vie et la pérennité de la société…
Ces évolutions sont réfléchies et pensé par les hommes qui composent ce compagnonnage.
Nous boulangers, avons été à notre naissance une société composée exclusivement d’ouvriers, nous étions au quotidien des « mangeurs de singes » grèves, coalitions, agressions, allant quelques fois jusqu’au meurtre…
Puis, afin d’augmenter nos effectifs, nous essayons d’organiser le placement… Je dis bien essayer, car la loi interdit à cette époque les bureaux de placement organisés par les ouvriers ; puis pour maintenir les effectifs de notre société qui décline dangereusement, d’ouvrir le corps actif aux compagnons remerciés (aux sédentaires), puis toujours afin de maintenir ces effectifs, c’est la période mutualiste… après la Seconde Guerre mondiale à nos jours, la période de la formation professionnelle.
Le compagnonnage s’adapte donc à la société, le compagnonnage ne s’adapte pas à l’homme dans son individualité, mais AUX hommes dans leur collectivité…mais à la différence de nombreuses associations, c’est que le compagnonnage garde constamment un pied dans le passé, c’est ce qui fait non seulement sa particularité, mais aussi sa force…
Pour mettre en place ces adaptations nécessaires afin de rester au contact de la société, le compagnonnage depuis sa naissance fonctionnent sur les principes démocratiques que ce soit en démocratie directe (vote d’une proposition par l’ensemble des compagnons) ou en démocratie indirecte (élection de représentant PEV, SEV).
Il y a certains sujets bien sur qui ne se votent pas… ou la solidarité pour la défense de l’intérêt commun est suffisante pour obtenir une décision unanime…mais ces décisions d’un seul homme ou d’une collégiale, sont dans leur grande majorité en rapport avec des faits concrets et non des opinions, il y a une différence fondamentale entre ces deux situations.
Lorsque qu’il s’agit de changements qui concernent le fonctionnement et la composition de la société elle meme, (adoptions, affiliations, réception, rites d’enterrements etc…) donc, l’ensemble de ses membres, le vote s’impose…
Les compagnons d’une Cayenne qui ont élu (démocratie indirecte) leur PEV ou encore leur délègue de la commission des rites, font confiance à celui-ci pour mener la société et prendre les décisions qui s’imposent lors de situations ou il est nécessaire de réagir rapidement en fonction des faits qui se présentent. Le PEV informe mensuellement sa Cayenne de ses actes et décisions par un rapport d’activité.
Ce fonctionnement est bien plus difficile -comme nous l’enseigne Hyacinthe Dubreuil dans son ouvrage « J’ai fini ma journée »- quand il s’agit de prise de décisions relatives à des opinions concernant les visions, les projections dans l’avenir, car ces opinions sont d’une incroyable diversité et peuvent donc être confrontés et discutés infiniment.
De nos jours, un facteur handicape cette idée de décision commune, sans avoir recours au vote.
En effet, les compagnons boulangers de la première moitié du 19e siècle, ont entre 16 et 26 ans, et sont tous des ouvriers, une fois leurs TDF terminés, ils sont remerciés, ne participe donc plus aux assemblées, et de ce fait à aucune décision concernant le fonctionnement de la société. Avec ces jeunes Compagnons du même âge, de même condition sociale, et dont les intérêts à défendre sont identiques, la décision commune est facilement applicable…
Notre société compagnonnique contemporaine est composée a 96 % de compagnons sédentaires âge entre 25 ans et 90 ans. Ces compagnons occupent des positions sociales très différentes, résultat de leur longue expérience, ce qui a pour conséquence des conceptions du compagnonnage très différentes, en particulier dans les priorités à définir pour assurer la prospérité de la jeunesse du tour de France. La décision commune devient donc la très difficile…
Pour la réussite de la mise en place d’une adaptation, d’un changement concernant le fonctionnement de la société compagnonnique, afin d’être au plus près des besoins de la jeunesse du tour de France, il est nécessaire et primordial que la « base » soit impliquée – l’engagement et la mobilisation étant fertile qu’à partir du moment où il y a implication- mais qu’elle soit également instruite en profondeur sur le vote qu’elle aura a effectuer.
Ce travail en amont est d’enseigner au mieux possible à cette base ce que leur vote va entrainer, provoquer, construire ou remplacer…
Car faire voter des ignorants n’engendre que le chaos… l’ignorant ne pensant généralement qu’à voter pour ce qui lui permettra d’assouvir ses besoins primaire ou encore ses passions ; et non pas pour ce qui permettra d’assurer la prospérité et la pérennité du groupe auquel il appartient…
Nous pouvons meme voir apparaitre dans certain cas une volonté de maintenir la base dans l’ignorance, afin de permettre a certain ambitieux, ceux même qui refuse d’instruire la base, de satisfaire leurs envies au détriment de l’ensemble.
Dans l’état actuel des choses, quand il s’agit de prendre une décision, nous n’avons pas d’autres moyens que de procéder à un vote, mais le vote n’est pas l’unique vérité dans une association qui a gravé sur son fronton les mots « Liberté, Égalité, Fraternité ».
En effet, le vote comme nous le concevons et l’appliquons aujourd’hui est la concrétisation de la séparation des pensées, et donc symbole de division, cette division est encore plus accentuée lorsqu’il s’agit de voter pour ou contre, sans aucune autre alternatives. …. Cette division est une atteinte au compagnonnage en lui-même …
Cette division engendre une paralysie ou du moins une faiblesse certaine, dans la mise en application des décisions, et de plus entraine le mécontentement permanent de la fraction dont l’opinion a été écarté… Cette situation est encore plus intenable quand la majorité est obtenue que de quelques voix (53%-47% ; ou encore 52%- 48%).
Le vote n’est donc pas en complète harmonie avec les valeurs que nous défendons… C’est la pratique du vote dans son fondement qui est à analyser pour qu’il puisse être non pas un symbole de division, mais de construction.
Une proposition de vote, lorsqu’elle n’atteint pas 75% d’avis favorable, les 3/4 des votants et non des membres, car chaque compagnon a le devoir de voter et de s’exprimer ne devrait pas engendrer une mise en application immédiate du choix exprimé, mais donner naissance à un second travail, celui de refonte de la proposition majoritaire en prenant en considération les opinions des votants minoritaires, afin de trouver une proposition qui convient à presque l’ensemble des membres.
Le vote dans ce principe n’est plus pouvoir de décision, mais devient un moyen de consultation, d’expression et de construction. Les compagnons chargés d’opérer les modification se faisant un devoir de répondre a l’expression de l’ensemble de leurs frères en Devoir.
Afin d’atténuer le symbole de division dont est revêtu le vote, atténuer, car prétendre le faire disparaitre serait prétentieux, une modification dans son fonctionnement consiste à ne pas présenter au vote des dualités, pour ou contre, ou proposer uniquement deux possibilités de vote, mais de présenter différentes possibilités, qui deviennent de facto l’expression de différentes pensées et non plus l’expression d’un accord ou d’une opposition.
On ne demande alors qu’un avis mais il est nécessaire, voir impératif d’exposer clairement le contenu des sujets de la consultation.
Le compagnon « parfait », le sage, pensant, s’exprimant et agissant exclusivement et infailliblement pour l’intérêt collectif n’existant pas, se référer a l’ensemble n’est elle pas la seule et meilleure solution?
Se référer à l’ensemble, oui, mais peut-être différemment de la pratique actuelle… comme j’ai eu le plaisir de vous l’exposer par ces lignes…
Laurent Bourcier, Picard la fidélité, C.P.R.F.A.D.
Une vision des choses nuancée, réaliste, pleine de sagesse…
Sujet très intéressant , ton papier a la particularité d’être simple et clair.