Équerre et compas
Les compagnons boulangers utilisent ce symbole probablement dès leur naissance, en s’inspirant directement de la franc-maçonnerie, mais également des blasons des compagnonnages qui les entourent. Le plus ancien document à ce sujet connu à ce jour est une Marque Secrète datée de 1829.
L’équerre et le compas deviennent progressivement l’emblème principal des compagnons du Tour de France, toutes sociétés confondues (chaque compagnonnage y rajoutant un ou plusieurs outils de son métier).
Nous les retrouvons sur les couleurs des compagnons du Devoir.
« Souvenir de Saint Maximin » qui apparaissent vers 1865. De nos jours, bien que l’équerre et le compas n’ornent plus les blasons des compagnonnages des boulangers-pâtissiers, ce symbole est toujours utilisé dans leurs réceptions.
Il est très clair que ce sont bien les compagnonnages de la première moitié du XIXe siècle qui ont emprunté une part de symbolique à la franc-maçonnerie, une symbolique à la fois ostentatoire, par sa présence sur les bannières, drapeaux, etc., mais aussi discrète, par sa présence lors des réceptions. Il est clair et net que la franc-maçonnerie n’a rien emprunté aux compagnonnages du Tour de France, contrairement aux dires de certains compagnons à l’anti-maçonnisme profond qui se font un plaisir de colporter : Ils nous ont tout pris ces … !
< Marque secrète de Carcassonne le Divertissant, reçu à Bordeaux le 16 mai 1829, Nice Cœur Fidèle, Premier en ville, Provençal l’Enfant Chéri (Amédée Arnoult Garnier) Second en ville, Manceau la Prudence, Rouleur, Bordelais le Triomphant, Compagnon du Devoir.
J. et B.
À partir de 1850, nous observons sur les règlements des compagnons boulangers, les colonnes J et B, empruntées à la maçonnerie, mais symbole d’origine biblique, il est bon de le rappeler.
Les colonnes J∴ & B∴ sont mentionnées dans la Bible au Premier livre des Rois, chapitre VII, versets 13 à 22 :
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- « Verset 13 : Le roi Salomon avait fait venir de Tyr Hiram, ouvrier en airain, fils d’une veuve de la tribu de Nephtali et d’un père tyrien. »
- « Verset 14 : Il était rempli de sagesse, d’intelligence et d’habileté pour faire toute espèce d’ouvrages en airain. Il se rendit donc auprès du roi Salomon et il exécuta tout le travail.»
- « Verset 15 : Il fabriqua 2 colonnes d’airain, la première avait 18 coudées de hauteur, et un cordon de 12 coudées en mesurait la circonférence ; de même la seconde colonne. »
- « Verset 16 : Il fondit 2 chapiteaux d’airain pour les placer sur le sommet des colonnes : la hauteur d’un chapiteau était de 5 coudées, et la hauteur de l’autre était également de 5 coudées. »
- « Verset 17 : Des treillis en forme de réseaux, des festons en forme de chaînettes décoraient les chapiteaux placés au sommet des colonnes ; il y avait 7 festons pour chacun des 2 chapiteaux. »
- « Verset 18 : Hiram fit passer autour de ces treillis deux rangées de grenades pour orner chacun des chapiteaux qui surmontaient les colonnes. »
- « Verset 19 : Les chapiteaux qui surmontaient les colonnes, dans le portique, figuraient des lis de 4 coudées de hauteur. »
- « Verset 20 : Les chapiteaux placés sur les 2 colonnes s’élevaient immédiatement au-dessus d’un renflement qui précédait les treillis ; 200 grenades disposées sur 2 rangs entouraient les 2 chapiteaux. »
- « Verset 21 : Hiram dressa les colonnes dans le portique du temple. Il dressa la colonne de droite et la nomma Jakin ; puis il dressa la colonne de gauche et la nomma Boaz. »
Chez les compagnons boulangers, à ces deux colonnes sont jumelées deux autres colonnes nommées Védréra et Makaloé. (Nous rencontrons plusieurs variantes de ce nom : Makaloé, Macaloé, Macaboé, Mikaloé, etc.)
Détail de la lithographie intitulée Immortel souvenir à Notre Bonne Mère Jacob et à son fils Émile Victor, par Jacques Dupont, Languedoc la Constance, compagnon boulanger du Devoir – Imprimerie Juliot, Tours, 1868. Nous observons, à gauche, les colonnes V∴ et J∴, à droite B∴ et M∴
Ces deux colonnes auraient été édifiées par Maître Jacques lui même, sur le chantier du Temple de Salomon. Selon certains catéchismes des compagnons boulangers, chacune d’elles était composée de seize faces et représentait une partie de l’histoire sainte, depuis la création du monde jusqu’à la construction du Temple. L’un des catéchismes qui s’y rapporte précise, sous la forme du jeu de questions/réponses propres aux reconnaissances entre compagnons boulangers :
- Pourquoi appelle-t-on Védréra la Colonne de Vie ?
- A cause des sujets qui étaient gravés sur chaque face.
- Que représentaient les quatre faces du côté de la porte ?
- La création du monde.
- Que représentaient les quatre faces du côté de la gauche ?
- Le Paradis terrestre.
- Que représentaient les quatre faces vis-à-vis du Sanctuaire ?
- Le songe de David voyant son fils Salomon comme le plus grand roi de la terre et le prophète Samuel lui annonçant que ce rêve s’accomplirait.
- Que représentaient les quatre dernières faces ?
- Le rassemblement des matériaux et des ouvriers pour la construction du Temple
Certains récits signalent également que le bas-relief de la colonne Védréra comprenait certains outils symboliques chers aux compagnons boulangers du Devoir :
Lors de la construction du Temple de Salomon, la colonne Védréra (colonne de vie) sculptée par Maître Jacques, placée à gauche, avait à son bas-relief un compas et une équerre entrelacés et au milieu desquels était une étoile, un livre ouvert sur lequel était écrit Vérité.
Un maillet sur lequel était écrit Pouvoir, sur l’étoile était écrit Louange, sur le bas-relief de la colonne Mackaloé, placée à droite, était représentée une table sur laquelle étaient du pain coupé et un vase plein.
Près de la table étaient deux hommes dont l’un debout présentait du pain et du vin à l’autre qui était à genoux et qui refusait de le recevoir, et sur la jonction d’en haut était sculptée une pierre travaillée et non travaillée, pour faire comprendre que le chef-d’œuvre de l’homme n’est qu’une imperfection devant Dieu. En entablement étaient une règle, un niveau, un compas et une équerre …
Dans le jeu de questions/réponses pour la colonne Makaloé, nous trouvons entre autres :
- Pourquoi l’appelait-on Colonne de la Douleur ?
- A cause des sujets graves sur chaque face.
- Que représentaient les quatre faces du côté de la porte ?
- Les mauvais anges chassés du ciel, le serpent faisant manger le fruit défendu à la femme, la femme en donnant à l’homme, et ensuite l’homme et la femme allant se cacher.
- Que représentaient les quatre faces du côté gauche ?
- Dieu ayant Adam et Eve devant lui et les chassant du paradis terrestre, la naissance de leur premier enfant et la mort d’Abel tué par son frère Caïn.
- Que représentaient les quatre faces vis-à-vis du Sanctuaire ?
- La construction de l’Arche de Noé, le Déluge, la sortie de l’Arche et la construction de la Tour de Babel.
- Que représentaient les quatre dernières faces ?
- Trois seulement étaient gravées. Elles représentaient Jacques quittant son Père, son arrivée à Messine, les adieux au philosophe Xantès et son arrivée à Jérusalem.
La quatrième face était restée en blanc, parce que Jacques attendait d’être reçu Maître pour y graver sa réception
Sur cette lithographie (1855-1860) du compagnon boulanger du Devoir François Ménager, Nantais le Résolu.
Nous remarquons sur le fronton les lettres
A∴L∴G∴D∴G∴A∴D∴L∴U∴
(À La Gloire Du Grand Architecte De L’Univers)
Empruntées sans détour à la franc-maçonnerie.
(Lithographie complète dans le chapitre Fondation.)
Une franc-maçonnerie pacificatrice
La lecture des écrits de Philibert Chanay (1), vénérable de la loge maçonnique lyonnaise La Candeur en 1839, publiés dans le journal lyonnais Le Censeur, journal de Lyon, politique, industriel et littéraire (N° 1391, paru le 20 mai 1839, et n° 1454, paru le 2 août 1839.), fait découvrir au grand public et aux compagnons une franc-maçonnerie souhaitant participer à la pacification des compagnonnages.
1) Philibert Chanay né le 27 décembre 1800 à Belleville-sur-Saône, fils d’un officier de la République, étudie le droit et ouvre un cabinet d’avocat à Lyon, rue Neuve du Palais. Il est l’un des défenseurs habituels des sociétés ouvrières et de la presse républicaine. En 1834, il est compromis dans l’insurrection d’avril. Franc-maçon, Vénérable de la loge La Candeur, il préside le 29 février 1838, à l’inauguration de la loge des Vrais Zélés de Chalon-sur-Saône, la députation des loges lyonnaises : Parfait Silence, La Candeur – Union et Confiance, Asile du Sage. En 1842, il est Orateur de sa loge, signataire du règlement de loge de La Candeur, (Lyon imprimerie de Charvin et Nigon, 5, rue Chalamont, 1842). En 1848, à la première nouvelle de la révolution de février, il fait partie de la commission exécutive qui siége à l’hôtel de Ville de Lyon. Quelques jours après, il devient maire de la Croix Rousse puis Procureur de la République, commissaire du gouvernement provisoire auprès le tribunal de première instance de Lyon. Député du Rhône du 23 avril 1848 au 2 décembre 1851, siégeant avec la gauche modérée. Membre du Comité du Travail. Après l’élection du 10 décembre, il s’oppose au gouvernement de Louis Napoléon Bonaparte. Le coup d’État du 2 décembre l’éloigne de la vie politique. Il décède le 20 septembre 1852 à Lyon.
Un troisième article du même auteur est publié dans La Revue Maçonnique en 1841 (Quatrième année, tome 4, 1841, Google book) :
« Des Compagnonnages.
Déjà, plusieurs fois, nous avons recherché les causes des luttes déplorables qui existent entre les divers compagnonnages, et plusieurs fois nous avons démontré la futilité de ces causes et tout l’odieux d’un sang illégitimement versé. La presse quotidienne a fait un bienveillant accueil à nos articles et leur a donné la plus grande publicité. Mais ces efforts pour ramener parmi les ouvriers l’union et la fraternité ont été stériles ; les luttes continuent, et aujourd’hui même, les prisons de Lyon renferment un grand nombre d’ouvriers charpentiers.
Tantôt vainqueurs, tantôt vaincus, tous les compagnonnages ont eu leurs victimes, tous ont eu à panser les plaies de nombreux blessés, à visiter et à consoler de nombreux captifs. Comment donc combattre ce mal ? Comment le détruire dans sa racine ? Une occasion favorable que faisait espérer les plus beaux résultats s’est présentée, mais on n’a pas su en profiter. Des craintes chimériques ont fait avorter des chances de ralliement qui peuvent ne pas renaître de longtemps : voici à quelle occasion.
Le compagnonnage des ferrandiniers devait être reconnu par les autres compagnonnages et prendre rang parmi eux. Les ferrandiniers avaient fait des démarches multipliées, une grande réunion avait été convenue, et de nombreux compagnonnages avaient promis d’envoyer leurs députés dans ce nouveau concile. Les compagnons ferrandiniers, d’une origine récente, ont imprégné leurs règlements et leurs statuts d’idées nouvelles. Pour eux, les principes sont tout, et les formes, les signes, les cannes et les rubans ne sont qu’un accessoire sans valeur.
Voulant, dès leurs premiers rapports avec les autres compagnonnages, les ramener à leur but primitif, à la fraternité, ils pensèrent pouvoir vaincre toutes leurs résistances en se plaçant sous le patronage de la franc-maçonnerie.
Ils s’adressèrent à une loge de Lyon et lui demandèrent de lui ouvrir ses portes pour une réunion seulement, et dans laquelle ne paraîtraient que des députés ou des délégués des divers compagnonnages. Cette loge refusa son local, les compagnons espérèrent en moi, et m’adressèrent la même demande… Je les reçus avec un joyeux empressement, j’encourageais leurs intentions pacifiques et leur promis le local de la loge La Candeur pour une réunion qui devait opérer un rapprochement durable. Tous les vrais philanthropes me semblaient devoir applaudir à ce premier essai de conciliation.
Je me réservais cependant la faculté de consulter la loge, mais empêché par une indisposition, je ne pus y aller pour appuyer la demande des compagnons : elle fut repoussée à la presque unanimité. Une pareille résolution m’affligea, mais il fallut la subir, et les compagnons durent demander ailleurs ce qu’on leur avait refusé par irréflexion ou inintelligence. C’est ainsi qu’une loge égarée par des craintes chimériques, et peut-être entraînée par de vieux ressentiments de luttes personnelles, déclina l’honneur d’un patronage qui, cependant, eut pu amener entre les travailleurs une pacification générale.
< Médaille (1835) de la loge maçonnique lyonnaise La Candeur dont Philibert Chanay -l’auteur de ces articles- est le vénérable en 1839 ; coll. C.F. Maurel.
La perte d’une occasion si belle peut nous attrister, mais non pas nous décourager. Les maçons ne peuvent rester impassibles en présence de la lèpre immense qui dévore les compagnonnages, en présence des luttes impies et fratricides de ces derniers.
Seuls, ils peuvent guérir le mal et ils doivent le vouloir. L’expérience a démontré que l’application sévère de la loi et les rigueurs des tribunaux y sont impuissantes. La prison ravive les haines, les désirs de vengeance, et les guerres renaissent plus fréquentes et plus terribles. Il faut donc recourir aux moyens indiqués par les moralistes de tous les siècles, il faut instruire. Il faut donc que tous les compagnons connaissent toute la grandeur du but de leur association, et toute la futilité de leurs signes, de leurs couleurs.
Il faut qu’ils sachent que toutes les professions sont égales, que toutes ont le droit d’avoir un compagnonnage, que, par conséquent, tous les travailleurs membres d’un compagnonnage quelconque, peuvent se dire compagnons, soient qu’ils aient ou non le compas au nombre de leurs instruments de travail.
Mais comment leur faire admettre ces premières vérités? Comment leur démontrer ce que leur aveugle fanatisme leur défend d’entendre? Il faut s’emparer des plus éclairés d’entre eux. Il faut les engager dans les liens d’une association nouvelle, les initier à nos mystères pour que le succès soit assuré. Si la maçonnerie a pu détruire le fanatisme religieux, si elle a pu faire triompher cette utile vérité que toutes les religions sont égales, et que chacun peut à sa manière adorer Dieu, comment ne détruirait elle pas la haine entre les compagnonnages, comment ne leur ferait-elle pas comprendre qu’associés pour se protéger contre les misères de la vie, ils doivent s’en occuper exclusivement, laissant à chacun l’inoffensive faculté de choisir le nom qu’il lui plaît, et de décorer son chapeau, sa boutonnière ou son bâton de toutes les couleurs, ou ruban que pourra affectionner son esprit léger et capricieux.
< Un compagnon boulanger « en Devoir » Pieds en équerre, main sur le cœur.
Ce que je viens de proposer nous sera facile si nous attirons dans nos rangs les plus éclairés des compagnons. Chacune des loges de Lyon devra donc se constituer la patronne d’un ou de plusieurs compagnonnages, et cherchera à en connaître les chefs, c’est-à-dire, le Premier-en-ville, le Rouleur, ou le Premier-jeune-homme.
Elle s’informera de leurs habitudes, du degré de leur instruction, de leur influence sur leurs camarades, et lorsqu’elle sera convaincue que leur initiation pourra être productive, elle leur offrira gratuitement, et comme récompense, le titre de franc-maçon… Quant à la manière de procéder à leur réception, et de préparer leurs esprits à recevoir nos enseignements d’Egalité et de Fraternité, chaque Vénérable agira suivant ses appréciations personnelles.
Lorsque plusieurs chefs de compagnonnage auront été initiés, on profitera de la première solennité maçonnique pour les mettre en présence, et les orateurs traiteront des rivalités des compagnonnages, de leur caractère criminel, de leurs causes ridicules, et flétriront ces hommes sauvages qui, par obéissance aveugle à d’absurdes lois, ne reculent pas devant le meurtre d’un frère, d’un ami.
Ce moyen de conciliation que je soumets à la sagesse de mes lecteurs ne restera pas, j’ose l’espérer, à l’état de germe, de simple opinion. Je l’ai déjà soumise au conseil philosophique de la vallée de Lyon, et il l’a accueilli avec faveur. Quel plus noble but en effet pourrait être offert à son zèle humani- taire ! Quelle amélioration dont la nécessité soit plus généralement comprise et plus ardemment désirée !
Je le dis, sans crainte d’être démenti, si la franc-maçonnerie peut détruire cet antagonisme brutal dont les débats sanglants affligent la France, elle aura conquis son plus beau titre à la reconnaissance de l’humanité. Mais le peut-elle ? Oui, évidemment, et le moyen que je propose n’est pas une veine tentative d’une vaine utopie. Chacun voit le mal, chacun comprend l’efficacité du remède facile à y apporter et en désire la prompte application.
Le conseil philosophique de la vallée de Lyon s’en occupera donc immédiate- ment. Il usera de toute son influence et provoquera le concours de toutes les loges de France : peut-être le Grand Orient sortira-t-il de son apathie habituelle, peut-être oubliera-t-il un instant son administration toute matérielle et nous aidera-t-il à cette grande réforme sociale ? Nous le désirons car ce serait beaucoup mieux à lui d’entrer dans cette voie que de se borner à livrer des constitutions à qui les demande, sans tenir compte de la juste opposition de toutes les loges d’un Orient.
Certes, le Suprême Conseil n’agirait pas ainsi : composé d’hommes éminents de l’administration, de l’armée et du barreau, il tient en honneur l’institution maçonnique et ne la prostitue pas. Si son organisation n’était pas en opposition avec nos idées d’égalité, nous nous rallierions à son drapeau qui n’admet pas de serviteurs indignes. Mais, revenons à notre sujet et montrons en quelques mots l’immense gloire dont la maçonnerie pourra s’enorgueillir, si elle opère le bien que nous lui signalons.
Chacun sait qu’après un laborieux apprentissage, les jeunes ouvriers de dix-sept à vingt ans font ce qu’on appelle le Tour de France, pour connaître tous les détails de leur profession, en vaincre toutes les difficultés et pouvoir satisfaire à toutes les exigences, à toutes les fantaisies du goût et de la mode.
Ils visitent tous les ateliers, essayant tous les divers travaux, et après une appréciation comparée des différentes manières des maîtres, pendant de longues années et dans toutes les villes de France, ils rentrent au foyer paternel, maîtres excellents et sont à la fois et l’honneur et l’appui des vieux jours de leurs parents. Mais combien sont restés en route ? Combien sont tombés, victimes d’un aveugle fanatisme ?
À peine arrachés aux derniers embrassements d’un vieux père, d’une vieille mère, à peine éloignés de quelques lieues du gothique clocher de leur village, de l’arbre séculaire qui abritait leurs danses innocentes, ils doivent se préparer à une vie de querelles et de luttes meurtrières. Dans la première ville où ils s’arrêtent, ils sont enrôlés dans un compagnonnage. On leur apprend qu’ils auront des ennemis à combattre et qu’avec eux ce sera une guerre à mort qu’il faudra faire. On leur fait épouser des haines, des vengeances qu’ils ne comprennent pas, et liés par un serment terrible, ils obéissent en aveugle, et sont bientôt les plus redoutables parmi les combattants.
Les pères, les mères connaissent les périls qui attendent leurs fils, ils souffrent dans la prévision des malheurs qui peuvent les frapper, mais il n’est pas en leur pouvoir de les en préserver. Ils se résignent en présence de douloureuses nécessités.
Quelle sera leur joie ! De quelles bénédictions n’entoureront-ils pas la franc- maçonnerie, lorsque, grâce à son action généreuse, ils pourront dire : Nos fils ne seront plus forcés de commettre des meurtres, ni d’être victimes d’autres meurtriers. Nos fils ne seront plus menacés de monter sur l’échafaud, ou de rapporter au village la flétrissure d’une condamnation correctionnelle ou criminelle.
Partout, ils rencontreront des visages amis, tous les travailleurs du Tour de France les salueront par des chants de fraternité, et ne les effrayeront plus par des cris de guerre et des vociférations de mort. La paix unira tous les hommes laborieux et rendra facile enfin cette organisation du travail, cette juste répartition du salaire qui réclament tant d’esprits généreux, bienfaits qui nous apparaissent encore que dans un lointain avenir.
Ph. Chanay. »
De nombreux compagnons lors de cette période seront initiés à la franc-maçonnerie, et cela aura sans aucun doute des répercussions positives sur les comportements des ouvriers itinérants, l’un des plus célèbres étant Agricol Perdiguier qui fut initié le 17 mars 1846 dans la loge parisienne Les Hospitaliers de la Palestine.
Nous verrons également chez les compagnons boulangers Constant Boutin, Saumur Plein d’Honneur, Jean-Baptiste Entraygues, Limousin Bon Courage, et certainement Garnier, Provençal l’Enfant Chéri, tous les trois acteurs principaux de la première reconnaissance des compagnons boulangers comme compagnons du Devoir en 1860.
Portrait d’A. Perdiguier, Avignonnais la Vertu, sur un jeton de présence de la Loge avignonnaise Perdiguier l’Ami du Peuple, Grande Loge de France ; coll. C.F.Maurel.
Convocation de la loge lyonnaise
Le Parfait Silence collée au dos
de la couverture du registre de
réception de la cayenne de
La Rochelle,
la signature Garnier est peut-être
celle d’Amédée Arnoult Garnier,
Provençal l’Enfant Chéri.
A la signature est ajouté R+ ,
abréviation qui signifie que
Garnier était titulaire du
grade de Rose-Croix,
le 7e et dernier du rite français.
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. Extrait du livre LE PAIN DES COMPAGNONS