­Chapitre 11. Voies de transformation diverses

­Chapitre XI. Voies de transformation diverses

XI. Alternatives de transformations et d’apports nutritionnels.

Pourquoi ne pas ouvrir notre réflexion à toutes les recherches alternatives déjà posées ainsi qu’à des initiatives innovantes portées par l’aspect nutritionnel.

On a déjà relevé dans l’aspect nutritif (VII.4) que la cuisson en panification cuit moins en profondeur et avec relativement moins d’eau que les autres modes de cuisson de cette matière très sèche que sont les céréales. En cuisine sur le réchaud, on a plutôt un environnement saturé en eau soumis à une chaleur vive et renouvelée. énumérons plusieurs « alternatives »

  • Le grain concassé en éclats ( en allemand, schrot  – XII.16), est souvent ébouillanté en partie avant le passage au pétrin. Ce principe est employé de manière traditionnelle pour des pains au seigle (X.7) ou des pains de céréales à albumen amylacé dur (X.5 et X.11), ou encore l’imprégnation de l’eau se réalise difficilement et aussi pour les pains de pomme de terre (X.15) où l’on introduit une portion (pas plus de 20 %) de sa pulpe précuite.
  • La pré-pâte non ébouillantée, appelée récemment autolyse en français ou Quellstück en allemand, donne aussi le temps nécessaire à la farine ou au grain concassé pour une bonne imprégnation par l’eau, mais sans traitement thermique, ni ferment.
  • La germination avant pétrissage est un apport positif au niveau enrichissement nutritionnel et principalement mesuré au niveau vitaminique (VII.9)
  • La drêche de bière ou d’autres apports réguliers de matières déjà fermentées peuvent avoir des contributions gustatives ou nutritives,
  • Tout comme des fermentations ou épices, herbes aromatiques accompagnent la fermentation de manière suivie et savamment dosée.
  • Le grain cueilli à l’état pâteux puis séché, grünkern en allemand, soit grain vert, offre des qualités de sauvegarde de récolte et de teneurs nutritionnels différentes.
  • Le pain essénien remet en cause le trajet cuisson de la panification, qui détériore, ce que toute cuisson provoque en mettant à mal les enzymes natives et déstructure certaines vitamines ou autres nutriments.

Voilà pour la présentation de ce chapitre XI, qui vise plus à étoffer votre palette de choix technologiques, qui suscitera peut-être une remise en cause avec, à la clé, on l’espère  une belle aventure.

XI.1. Revoir la cuisson en précuisant une partie de la pâte.

C’est peut-être le sous-chapitre ayant le plus de vécu empirique dans la profession.

La preuve en est que le procédé de précuire avant pétrissage porte un nom dans de nombreuses régions du Monde. En Allemagne, cela s’appellera le Brühstück, soit portion ébouillantée. En Russie, c’est l’expression Zavarka  qui est employée. En Chine, le procédé se dénomme Tangzhong. Et il semble de création récente au Japon ( pays du riz ) où il porte le nom Yugone.

Il existe trois principes de base qui relient ces divers procédés de par le Monde

-/ Le pourcentage de la portion ébouillantée intégrée dans la pâte

  • On est dans une fourchette d’utilisation de 5 à 20 % de la farine ou de grains concassés ou pas, dans la portion précuite suivant les méthodes et pâtes de destination.

-/ L’hydratation de la part ébouillantée

  • L’hydratation de la préparation ébouillantée va de 2 litres pour 1 kg. de matière sèche (200 %), à 5 litres pour 1 kg. de matière sèche ou farine (500 %), suivant l’emploi et le système de prise de température de la masse.

-/ La température de la part ébouillantée

  • La température de la part dite ébouillantée par défaut devrait avoisiner les 60 à 70 °C, suite à la portion du mélange de la farine à température ambiante et de l’eau parfois ébouillantée pour arriver à ces degrés Celsius de la gélification de l’amidon. Mais là aussi des variantes distingueront le type de farine et le type d’utilisation.

La « massa » de maïs résultant du trempage dans le lait de chaux, rinçage puis broyage (X.11) sera séchée par après. On retrouve ce même principe en Afrique sur certaines céréales locales qui sont trempées pour être décortiquées, avec toujours la possibilité dans ces zones arides de sécher plus facilement les céréales trempées, grâce à l’air ambiant très chaud et sec. Je différencie ces transformations, puisqu’elles ne subissent qu’un très léger traitement thermique, plus semblable au séchage qu’à l’addition d’eau très chaude dans les autres cas que nous venons de présenter. Autre aspect, vu plus loin (xvii.1), la préparation de pré-ferments levurés britanniques qui passent parfois par l’ébouillantage également.

Voyons les divers procédés et tentons de comprendre l’essence même du comportement de cet apport de précuit.

La Brühstück allemande se pratique sur grains concassés (XII.2.) et plus rarement sur farine de seigle intégrale, puisqu’on préfère pratiquer cet ébouillantage aux portions les plus difficiles à dégrader, genre grain concassé en gros éclats dénommé Groβ Schrot, soit gros éclats de grain, et réserver le concassage fin ou la mouture farineuse pour l’unir par la suite à la masse lors de la confection finale des pâtes de seigle (X.7.).

Ces grains concassés donnent des pains assez compacts dans lesquels l’alvéolage est pratiquement inexistant et je crois qu’il faut bien tenir compte de cet aspect final (Fig.1).
11_085_granulosite et hauteur de mie.jpg
Dans ce cas de figure, le but est d’unir la pâte composée de grains concassés en éclats, et on ne vise pas une mie aérée, on recherche plutôt la mie la plus agglomérée possible.

Pour arriver à bien assembler ce concassage de grains, on sollicitera fortement le recours aux pré-pâtes.

Notamment la Brühstück, mais aussi le levain qui est un autre procédé d’imprégnation de la farine par l’eau.

Au niveau du pourcentage de farine ou grains concassés dans la « Brühstück », on sera suivant les besoins et les types de pains recherchés, de minimum 5 jusqu’à 20 %. Le dosage de la partie ébouillantée est à évaluer dans ce que votre produit final aura conservé comme humidité grâce au volume d’apport, la taille du pain et la cuisson que vous choisirez d’opérer. Trop d’humidité présente après cuisson n’est pas positif non plus pour le tranchage, et l’aspect non-cuit qu’il risque d’en résulter. Par contre la conservation donnant une mie plus moelleuse peut apporter des avantages. À vous de juger.

Pour l’hydratation des Brühstücken, soit portions ébouillantées, vu l’empois qui en résulte, il faut compter une hydratation d’au moins 200 %, lorsqu’on verse de l’eau pratiquement bouillante sur les grains ou la farine de seigle. Cela peut être plus que ces deux litres pour un kilo de matières, mais si votre méthode de fermentation est au levain et en plus au levain liquide, n’oubliez pas de laisser un minimum d’eau pour l’élaboration de la pâte finale.

Pour mieux comprendre le procédé des pré-pâtes ébouillantées, il faut peut-être se mettre à bien transcrire dans son bagage de professionnel de la boulange, ce petit « mot à remorque » allemand : Quellungvorgang, c’est-à-dire processus de gonflement. C’est l’amidon (composé de chaînes de molécules de glucose accolées l’une à l’autre) qui gonfle, voire éclate, en présence de deux conditions réunies, l’eau et la chaleur (Fig 1 de XXII.1). En effet, « pour être facilement digestible par l’homme, l’amidon doit être gélatinisé, ce qui correspond à la destruction de sa structure granulaire par la chaleur en excès d’eau[1] ».

Pour avoir une présence d’eau, pas de problème en cuisine, où l’on cuit la céréale dans l’eau bouillante et sur un feu continu.

En panification, il faut par contre utiliser la matière éponge et gommeuse des pentosanes (hémicelluloses) qui vont capter l’eau dans la pâte (IX.6) et la rejeter lors des premiers moments de la cuisson (lors de la nécessaire montée en température) afin de permettre à l’amidon de l’absorber grâce à la chaleur du four. Antoine Bolland, notre boulanger-architecte du début du xixe siècle, relève déjà ce déficit en eau, « dans la panification, l’amidon…n’absorbe pas d’eau, il en est seulement mouillé[2] ».

En cuisson, pour atteindre les 65 °C de la pré-pâte et la phase stabilisant la mie qu’est la gélification (XXI.10), cet empesage de la pâte à la cuisson ne dure qu’à peine 4 à 6 minutes pour une baguette de 300 gr. et grand maximum 15 minutes pour 1 pain de 1,5 kg.

Pour comparer avec la cuisine, en partant de l’eau froide, on compte au Japon un peu moins d’une demi-heure pour cuire le riz blanc pré-trempé. Le temps du bain précédant la cuisson sera triplé s’il s’agit de riz complet. La cuisson étant parfois suivie d’un court temps de repos/absorption de la vapeur de 5 à 10 minutes. Et cela dans minimum une fois et demi le volume d’eau -150 % -, ce qui ne sera pas le cas de la pâte à pain qui ne fait qu’environ 65 % d’hydratation.

Voilà chiffré le handicap cuisson d’une pâte dans un four par rapport à la cuisson de céréales dans un bain d’eau bouillante.

En résumé, dans l’instant où chaleur et eau se réunissent en panification, la durée est plus courte et surtout l’eau presque comptée.

Pourquoi ne précuire qu’une partie alors que l’on parle de déficit d’eau et de temps ?

Parce que lors du passage au four, il sera difficile d’extraire l’eau de l’amidon déjà gélifié et que cela risque de donner des aspects non cuits au pain.

11_086_saccharification et gelification.jpg
Du coup, on voit rarement des proportions monter à plus de 25 % dans les recettes allemandes traditionnelles, sauf pour le pain Krieg und Kartofellbrot soit : pain de guerre à la pomme de terre des tranchées de l’armée allemande de 1914-18 (X.15.), mais cela était plus dû à la situation de pénurie de céréales de l’intendance allemande remplaçant celles-ci par de la purée de pomme de terre faisant plus de 50 % de part ébouillantée à la fin de cette guerre[3]. « À la guerre, comme à la guerre », dit-on de manière fataliste, tant pis si le pain est plus plumpudding que tartine.

Prenons la méthode russe pour évaluer un autre point, celui du degré de température à atteindre.

La Zavarka ne se traduit pas par un mot équivalent en français, nous dit l’ami Laurent qui vit en Russie. Pour lui, il faut l’interpréter entre le sens des mots infuser et ébouillanter. Zavarit est aussi un verbe en russe. C’est incorporer de l’eau très chaude à une matière sèche, afin de provoquer une transformation. Ce qui est intéressant également, c’est que la crème pâtissière se traduit  par Zavarnoi creme (qui pourrait se traduire textuellement par crème ébouillantée), et la pâte à choux se traduit  par Zavarnoi tiesta, soit pâte ébouillantée, mais la traduction ébouillantée n’est pas exact, car le liquide n’est pas versé bouillant, il est porté à petite ébullition et versé ensuite sur la matière sèche, poursuit l’ami Laurent.

Pour les Brühstüsken germanique, le but de l’ébouillantage est d’arriver à une température de gélification de la céréale.

Pour ce faire, la température de la portion d’eau et la température de la portion de farine employées dans ces pré-pâtes ébouillantées doit atteindre le degré nécessaire à la gélification. On aimerait vous donner une température précise d’eau de coulage, mais c’est le mariage de ces deux masses (farine et eau) qui doit arriver à 63 °C pour le seigle. À vous d’y arriver et de prendre vos cotes de température. Et comme les conditions ne seront pas les mêmes en hiver et en été, on se voit obligé de s’adapter. Ajustement qui devra en plus se réaliser avec les différentes températures de gélification des grains ou farines choisies, comme le montre cette fig.2.

En effet la gélification la plus étudiée, celle du seigle, a été fixée à partir de 1970, par les chercheurs allemands W. Seibel et E. Drews. Ils ont entamé ces années-là de vastes études sur une meilleure évaluation du «seigle panifiable». En 1973, ils proposèrent de ne plus partir de la farine de seigle, mais d’un grain de seigle concassé fin précisément défini qui, dans le degré de finesse, correspondrait à la condition exigée pour l’exécution de l’examen du «temps de chute» ou indice Hagberg (IX.5).

Les chercheurs se concentrèrent alors sur la température de gélification au maximum de la courbe de l’appareil dénommé amylographe, puisqu’il semblait y avoir une corrélation exacte entre ce facteur et l’élasticité de la mie. En 1973, ils proposèrent comme valeur limite une température de gélification d’au moins 63 °C au maximum de la courbe et au moins 200 Å (Angstrœm) à l’amylogramme du grain (IX.6.). Le seigle qui présente ces qualités est le «seigle panifiable[4]». Une précaution dans cette traduction du critère de panification est de bien comprendre que l’interprétation du panifiable en Allemagne (élasticité de la mie) n’est pas la même qu’en France (alvéolage).

On peut penser qu’il ne faut pas s’encombrer trop de tous ces chiffres, il vaut mieux atteindre au moins le degré de gélification, si l’on veut apporter des qualités de mie de pain de seigle surtout, plus ferme, plus moelleuse grâce à une plus grande teneur en humidité et finalement de meilleure conservation, et donc viser un peu plus haut en température sera une garantie dans ce cas de recherche de valorisation de la substance mucilagineuse de la farine.

Nous avons également vu (IX.11), avec une approche assez primaire du test pentosanes, qu’il faut éviter l’activation enzymatique se réalisant juste en dessous des températures de gélification, cette dernière phase étant l’indice d’inactivation des derniers phénomènes vivants de la pâte (XXI.10)

On revient sur la pratique du Zavarka qui fait l’objet de quelques observations depuis sa mise en pratique se situant dans les années 1950. En Russie, on trouve depuis lors des variantes dans ce procédé et la recherche d’un goût sucré change la donne d’une simple recherche de gélification. On recherche ce goût sucré notamment pour le pain Borodinski, un pain emblématique de ce pays.

Voici, en suivant l’écrit historique de Christine Kazantsev, ce qu’est ce pain. Une des plus grandes batailles de la guerre franco-russe de 1812 est celle de Borodino qui a donné le nom à ce pain. Le général Alexandre Touchkov péri à cette bataille de Borodino et sa veuve en fit une recette pour la commémoration[5]. Cette recette a eu un succès formidable, le pain est très vite devenu bien aimé. Actuellement, on fait ce pain, sous différentes formes, et il est classique dans n’importe quelle boulangerie russe, connu comme un pain doux. Il est consommé par la majorité des familles en accompagnement de plats salés – viandes, légumes, soupes. Il est excellent avec des fromages, surtout avec des fromages forts de goût[6].

La base de sa recette est la farine de seigle complète souvent fermentée au levain, additionnée de sucre en mélasse foncée et agrémentée de graines aromatiques.

Dans le choix de ces graines, c’est souvent la coriandre anisée et légèrement citronnée, qui est citée. Mais les graines de cumin des prés, carvi, fenouil font également partie de certaines recettes. La tranche toastée de ce pain de seigle qui est plus doux au goût et aromatisé est presque du pain d’épices, garni simplement de beurre à l’ail, il fait le régal de restaurant de gastronomie russe.

La bataille de Borodino est appelée différemment en France, c’est la bataille de la Moskowa.

À cette bataille de 1812, les deux armées qui s’opposèrent se sont déclarées vainqueurs, bien que les Russes opérèrent une petite «retraite stratégique». Les russes en insistant sur le lieu de la bataille (Borodino, à 150 km de Moscou) voulaient ainsi laisser entendre que la capitale n’était pas atteinte. Et les Français en l’appelant « bataille de la Moskowa » voulaient préciser que plus rien n’arrêtait la grande armée dans sa marche sur Moscou, et qu’ils étaient aux portes de la grande ville.

À Moscou, un des ponts sur la rivière Moskowa s’appelle le pont Borodinski et une variété de tomate porte aussi ce nom. Deux autres hommages à cette bataille qui enterra bien de vies humaines.

Le Zavarka est repris aujourd’hui dans le Gost  (Gosudarstvennyy, standard ou normes de panification russe) et il comporte plusieurs méthodes reprises dans un article de la revue « Fidèle au bon pain » rédigé par une équipe mixte russo-française de la firme levurière Lesaffre[7].

Les cinq procédés de Zavarka énoncés ont en commun une température de l’eau d’environ 95 °C et une hydratation de 200 %, voire 300 % pour le seigle intégral.

  • Le Zavarka simple ou original doit atteindre les 63 à 65 °C une fois mélangé, c’est même un peu plus chaud pour le seigle complet.
  • Le Zavarka « saccharifié » recherche un goût sucré du à une longue dégradation enzymatique de l’amidon en sucres simples vécue pour ce type de pain Borodinski. Il existe dans ce procédé saccharifiant des variantes importantes que nous allons exposer plus loin.
  • Le Zavarka fermenté, c’est-à-dire servant d’apport de matière pour la pré-pâte, soit levurée et fermentée 3 à 6 h. (le sbozhennaya), soit fermentée dans les mêmes durées en pré-pâte par des ferments mixtes, bactéries lactiques puis levure, soit fermentée avec des bactéries lactiques thermophiles et homofermentaires strictes (le zakvachennaya ), que Al Ostrowski décrivait déjà en 1930 en précisant que la pré-pâte fermentait 20 à 24 h. autour de 50 °C, afin d’obtenir un pH de 3,6 à 3,8.
  • Le Zavarka salé pour lequel on incorpore tout le sel de la recette dans la pré-pâte ébouillantée.
  • Le Zavarka amer, qui doit son âcreté à l’utilisation de houblon infusé que nous reverrons plus loin (XI.4).

Comme promis, revenons sur le procédé Zavarka dit « saccharifié ».

Il s’agit d’une recherche autre que la simple pré-gélification de l’amidon, on veut saccharifier le plus possible celui-ci. C’est-à-dire dégrader en morceaux la chaine de molécules de glucose accolées l’une à l’autre.

L’illustration (fig 4 de VII.5 et fig.3 dans VIII.8) essaye d’expliquer par une schématisation que l’amidon va se faire dégrader en plus petites portions, en maltopentaose (cinq molécules de glucose accolées), en maltotétraose (quatre molécules de glucose), en maltotriose (trois molécules de glucose), en maltose (deux molécules de glucose) et en molécules de glucose simple. Ce qui va permettre de donner des sucres disponibles aux microorganismes et surtout un goût plus sucré, plus malté que l’amidon. C’est de ce goût plus doux que découle cette opération dite « saccharifiante ». On pourrait tout aussi bien dénommer cette pratique de « maltosante ».

Dans la fig.3 dans VIII vu précédemment, ne figure que l’action des enzymes natifs de la farine, l’αlpha-amylase et la βéta-amylase. Comme la panification de l’URSS était pratiquée de manière industrielle, l’action « saccharifiante » était régulièrement réalisée par des enzymes exogènes  ajoutés (XVI.11.1), amyloglucosidase, notamment.

Par raccourci industriel, il n’est pas rare que le goût caractéristique du pain Borodinski saccharifié soit obtenu par simple ajout de mélasse plutôt que par la dégradation naturelle de l’amidon, qui prend toujours trop de temps aux yeux des rationalisateurs.

Abordons maintenant l’amélioration de la texture moelleuse et élastique de la mie de pains blancs grâce aux procédés de l’Asie de l’Est, le Yugone japonais et le Tangzhong chinois.

Le Yugone japonais est de création récente puisque le pain a une tradition qui ne remonte qu’à l’aide alimentaire de l’après-guerre du Pacifique en 1945. Les procédés Youdané, Yugoné ou Youkone, préparations pâteuses ou sponge à chaud, datent eux des années 1990, nous disent les enquêteurs de la S.A.Lesaffre[8].

Un boulanger industriel japonais lança le Shokupan (pain de mie) Honjikomi qui connut un franc succès. Il n’en fallut pas plus pour que depuis 1993, une dizaine de brevets soit enregistré par d’autres entreprises boulangères et que des machines spécifiques pour ce procédé aient été conçues. Qu’est ce qui faisait son succès ? Sa texture moelleuse avec une saveur légèrement sucrée et sa fraicheur plus durable.

Le procédé est aussi une pré-pâte de 20 à 50 % de la farine totale avec une eau de coulage du Yugone à ± 85 °C pour obtenir une pâte de 50 à 55 °C.

Encore là, comme pour le zavarka saccharifié vu plus haut, on remarque que l’on essaye d’employer une pré-pâte à la limite des températures d’inactivation des enzymes de la farine, pratiquement juste avant la gélification (fig.1dans VIII).

Il faut accentuer l’activité des amylases, sans altérer les enzymes qui sont composées de protéines insolubles assez sensibles à la chaleur, c’est la raison de ce plafond des 55 °C. Si l’on dépasse, on ne maitrise pas bien le procédé et le problème qui se produit est dénommé « alpha » par les boulangers japonais (probablement de l’alpha-amylase), qu’il faut préserver pour la saccharification. Si la température de l’eau de coulage du Yugoune atteint les 100 °C, cela devient de la colle. Expression que j’ai entendu appliquer pour le procédé d’ébouillantage en Provence. Cela donne une pâte à élasticité plus faible, un pétrissage plus long et à la cuisson, une prise de couleur plus marquée.

Cette pré-pâte de Yugone sera placée au froid (parfois 15 h. à 6 °C) pour être ensuite introduite dans la pâte finale.

Remarquons, avec l’apport de Yugone, un impact sur le volume provoquant un léger tassement. Il sera moindre sur seigle que sur froment. C’est probablement dû à la différence de teneurs en pentosanes moins présentes sur froment et dans les farines claires (IX.6)

Le Tangzhong chinois semble identique à ces procédés japonais. Et comme une preuve que la température à atteindre ne semble pas si anodine que cela, elle est même reprise en 2010, comme titre de livre en chinois d’Yvonne Chen, « 65 °C, Docteur pain ».

La méthode a été vulgarisée en anglais par Christine Ho, une australienne d’origine chinoise dans son blog puis dans son livre[9] sur la méthode appelée « Tangzhong » en chinois, soit espèce de soupe épaisse.

C’est aussi un procédé pour pain blanc et souvent même, genre briochés. Il est utilisé différemment de par sa méthode puisqu’il s’agit de monter progressivement en température comme une sauce béchamel une partie de la farine jusqu’au 65 °C. D’ailleurs si vous voulez des renseignements sur cette méthode dans la langue de Shakespeare, tapez plutôt Water Roux sur votre moteur de recherche. On retrouve aussi la mention the porridge method[10] ou crème anglaise dans les traductions de cette méthode de pré-pâte précuite.

Pour le tangzhong, c’est vers les 15 % de la farine qui seront utilisés ainsi et du fait du procédé de montée progressive en température assez bien sacharifiant, il est plus hydraté encore, jusqu’à 500 % (soit 0,5 kg pour 2,5 litres).

XI.2. L’imprégnation de l’eau dans la farine sans la pré-cuisson et sans la fermentation

On pourrait presque dire que la recherche d’imprégnation de l’eau dans la farine est intensive sous la forme d’addition d’eau chauffée de 85 à 95 °C et que maintenant on aborde une méthode plus douce, ne faisant pas intervenir la chaleur.

C’est toujours en pré-pâte que cela se pratique. Et là aussi ces procédés de panification sont assez récents, quoique beaucoup de coutumes culinaires ont été oubliées dans le tourbillon de la modernité[11]. Cette pré-pâte non ensemencée de ferment n’a même pas un siècle d’existence dans l’histoire de la panification, presque comme pour nous faire remarquer que lors de l’abandon de la longue fermentation au levain, pour la courte fermentation à la levure, une défection de durée suffisamment prolongée de pénétration de l’eau dans la farine a dû être compensée par des apports de pré-pâtes « hydratantes ».

«Il faut faire avant ce qui est difficile de faire après», écrira en 1980 le professeur Calvel, dans un éditorial qui était intitulé « Vite et bien[12] ». C’est dire l’adaptabilité que le professeur de l’école de Meunerie – Ensmic – recherchait dans un monde où la vitesse d’exécution associée à la rentabilité prenait le pas sur un désir de qualités gustatives et nutritives.

Il faudra en effet la mise en place de la panification en « direct » à la levure, sans levain, et ainsi pour la première fois sans pré-pâte, pour que l’on s’aperçoive qu’il faut laisser le temps à la farine de s’imprégner de l’eau de la pâte. Malgré une recherche fouillée, on ne trouve aucune trace de pré-pâte sans ferments dans les deux premiers traités professionnels de Malouin et Parmentier au xviiie siècle.

L’exemple suivant se passe à la charnière entre le xixe et le xxe siècle. Une notice des Grands Moulins de Paris sur le travail en « direct » à la levure signale que « malgré l’absence de la pré-pâte qu’est le levain, il est préférable de faire deux frases » lors du pétrissage (XVIII.1.2). « Mettre la farine en une seule fois donne toujours un moins bon résultat ». Plus loin dans cette notice datant des années 1910, A. Brosson écrit « Arrêter ensuite et laissez reposer 4 à 5 minutes. Après ce repos, lui donner encore quelques tours, on s’apercevra que la pâte devient élastique et plus fine après chaque repos. Ajouter ensuite le reste de la farine et terminer le pétrissage par des alternatives de travail et de repos, mais beaucoup plus de repos que de travail. Ne pas faire durer l’ensemble du pétrissage [travail et repos] plus de 40 à 45 minutes[13] ».

À peu près à la même époque, quand on luttait contre le travail de nuit, la différenciation du travail « direct » sur l’ancienne méthode au levain (que l’on a dès lors été classée par défaut comme travail indirect) a donc privé d’une certaine manière la panification d’une longue et patiente « prise en pâte ».

Celle-ci s’établissait autrefois lors des pré-pâtes successives que constituait la maturation du levain par plusieurs rafraîchis. Le pétrissage avec temps de repos se retrouvera probablement dans d’autres vieux témoignages de recettes traditionnelles. Ainsi une pâte originelle pour confectionner la petola de la pizza (soit l’abaisse de pâte sous forme de pan de chemise) est entrecoupée de pétrissage et temps de repos également[14].

Les témoignages précédents sur l’entrée en application du travail « en direct » nécessitant un soutien technique nous précisent qu’il ne faut pas oublier le temps de repos. Dans la réalité des panifications quotidiennes, les bons soins du début de cette méthode ne vont pas durer et l’amputation des temps de repos va presque directement avoir lieu. À mes yeux ce sera une des origines techniques de la méthode de l’autolyse et autres pré-pâtes non-fermentées.

XI.3. L’apparition du procédé d’autolyse.

Ce mot « autolyse » nous vient d’une expression scientifique un peu déroutante choisie par un ami du professeur R.Calvel et qui signifie l’ « auto-dégradation ».

Comme l’observe une traduction américaine du procédé avec le terme resting, soit temps de repos, l’autolyse est utilisé à la fois comme mot et comme verbe[15]. Auto-dégradation qui est programmée par le cycle de vie de chaque plante et inscrite ici, pour autant qu’elle soit maîtrisée, en méthode naturelle de panification. S’il s’agit d’une auto-dégradation. En insistant sur le préfixe auto, maintenant, il faut impérativement laisser la farine issue de la graine vouée à elle-même. Le moins d’intervention sera le mieux. Surtout pas de ferments. Oh ! ce n’est pas interdit par un décret quelconque. L’appellation n’est pas contrôlée, mais il faut se donner une discipline au niveau langage lorsqu’une distinction s’impose et par la méthode et par le résultat. D’autant qu’ici, il s’agit de communiquer entre nous.

L’ingrédient principal est la farine et comme il s’agit de panification, donc de pâte, le deuxième intervenant est l’eau, l’agent enclenchant la dégradation (XIII). Nous parlerons plus loin d’un troisième acteur, le sel, complémentaire ou facultatif dans le procédé.

Si l’autolyse n’était pas une méthode naturelle de panification et si l’initiateur n’avait pas aiguisé un esprit plus généreux qu’accapareur, je crois que l’autolyse serait suivi d’un petit ® avec royalties pour Raymond Calvel. Et il serait tombé dans le domaine commercial pour vingt ans, plutôt que dans le patrimoine commun des boulangers appelé « savoir-faire ». Mais, ouf ! nous sommes en France en 1974 et non aux états-Unis en 2020 lorsque le professeur Calvel fait état de « l’influence de l’autolyse naturelle des pâtes en panification[16] ». Il poursuivait là une expérience que les terribles aléas de la météo avaient enclenché en
11_087_L'autolyse.jpg
1956. Terrible ce début d’année 1956, autour de -20 °C. Les amandiers, les vignes et les oliviers sont « brûlés » par une forte gelée. Les froments d’hiver aussi, ils ont « déchaussés », soit la racine s’est séparée de la plantule (III.3). Dès lors il fallut envisager de ressemer du blé de et au printemps. Un important stock de blé de printemps du Manitoba (III.5) peu productifs sur terres françaises fut employé non pas comme semence (il y en eu en surabondance), mais passa en mouture. « Si la force de farine de gruau extraite de ces blés canadiens était comparable à celle d’avant-guerre, il n’en était pas de même de leur valeur boulangère. Les variétés n’étant sans doute plus les mêmes». Pour neutraliser un excès de force qui entraînait mauvais développement en cintrant les pains, grigne peu exprimée avec un coup de lame qui ne « jetait pas », le professeur de boulangerie à l’école de meunerie de Paris eu l’idée de faire une pré-pâte sans levure, la veille et l’incorporer au pétrissage après un repos de treize à quartorze heures.

L’essai fut positif, « j’eus l’agréable surprise de retrouver les petits “tire-bouchons” et les baguettes de gruau des années 1930 », écrit-il[17].

XI.4. Descriptions des divers procédés d’autolyse.

On peut distinguer les procédés d’autolyse en termes de durée de temps de repos et de proportion de pâte engagée dans le procédé employé. De la petite expérience des professionnels[18] pratiquant la méthode on relèvera deux grands principes  (fig. 3) :

  • -/ Soit c’est toute la pâte qui est mélangée à l’eau sans ferments et avant l’adjonction de ceux-ci et des autres ingrédients. Dans ce cas l’expression employée est autolyse totale[19] ou repos autolyse.
  • -/ Soit, seule une partie de la farine est mélangée sans ferment puis est ajoutée lors du pétrissage de l’ensemble des ingrédients et l’expression employée est autolyse partielle ou apport de pâte autolysée.

Le repos autolyse de l’entièreté de la pâte ne dépassera généralement pas l’heure.

Le pourcentage d’apport de pâte autolysée peut aller jusqu’à 50 % ou ne représentera que 20 % du poids total en farine de la pâte et prendre une durée de 24 à 12 h. Mais dans ce dernier cas, interviennent deux éléments. L’ajout de sel ou pas, vu plus loin, et la température de conservation soit ambiante, soit au froid positif.

Le professeur Calvel a réalisé trente essais avec à chaque fois des témoins sans autolyse comme référentiels (fig.4).

Ils sont analysés au niveau de la flaveur (goût & arôme), du volume et de la tolérance des pâtes et sur d’autres critères.

Pour l’apport du goût et d’arôme, on peut apprécier et garder en tête que l’autolyse ne permet pas le développement des microorganismes fermentant la pâte.

On est au même point que la toute première phase de l’entrée de la vie dans une pâte et la création d’une nouvelle souche de levain naturel (XVII.4.1). Du coup, on n’aboutit pas aux résultats de fermentation alcoolique et lactique. Pas de métabolites (produits à la fin de la fermentation du glucose), tel que gaz carbonique, alcool et acides organiques. Mais de simples coupes dans les chaînes d’amidon ou de protéines, formatrices d’arômes doux du type maltose et autres dextrines et de peptides (union de quelques acides aminés) qui sont des apports de transformations de sucres et protéines ou pour reprendre une expression rencontrée pour identifier par le goût, la germination, pour que le grain, ici réduit en farine, « exprime leur principe sucré[20] ». Ce qui vous fera peut-être comprendre les propos d’un gagnant du prix de la meilleure baguette à Paris, disant que « l’autolyse est la première phase de formation du gout ».

Fig.4. L’autolyse. Récapitulatif des 9 expériences de Raymond Calvel (*)
Formule de l’autolyse Commentaires
Type d’essai Pétrissage (**)  % d’apport de pâte autolysée T° en °C Durées en h.
P.I. et salé

5 essais

0/ 20/ 30 /40 /50 Ambiante 21 °C Toutes à 18 h. Meilleur résultat avec les apports de 40 % et 50 %
P.I., salé + diverses durées

5 essais

0 (témoin) et le reste à 20 % Ambiante 22 °C Exprimé en heures, soit

0/6/12/18/24

Meilleur résultat à 18 h régresse avant et après
P.Convent. avec basse température 0/20/30/40/50 De 36 à 40h. à 4 °C+ 4 h. à 18 °C Exprimé en heures, soit

40/41/42/43/44

Meilleur résultat à 44 h

et avec 50 % d’apport

P.Convent.

T° ambiante

0/20/30/40/50 Ambiante 17 °C 22 h Meilleur résultat à 50 %
P.I. & pour biscotte, 50 % de t.h. 0/20/25/30 25 °C 7 h 30’ Meilleur résultat en volume à

25 %. Régresse avant et après. Augmente la friabilité des biscottes en général

P.I. avec et sans sel 0 %

22,5 avec et sans sel 27,5 avec et sans sel

Ambiante 22 °C 3 h ou 18 h Meilleur résultat sans sel
P.I. avec farine acide 0% avec farine normal/ 0/20/25 avec farine acide Ambiante 22 °C 16h 30’ Meilleur résultat sur farine acide avec les 25 % d’apport
P.A. avec autolyse total avec frase de 4’ 100 % Ambiante 25 °C Exprimé en minutes, soit

15’/30’/45’/60’

Meilleur résultat à 60’
P.A. avec autolyse total avec frase de 4’ avec ou

sans sel

100 % Ambiante 25 °C 15’/45’ avec et sans sel Meilleur résultat sans sel

et à 45’

  • (*) Les pâtes pour l’autolyse sont salées à 2 %, sauf dans deux expériences non salées, signalées comme telles. C’est entre 4 à 5 pâtes qui sont réalisées à chaque essai en incorporant un témoin à 0 % de portions de pâtes autolysées.
  • (**) Les expériences du professeur Calvel datent d’une période où le pétrissage intensif était presque la règle.
  • Ainsi, P.I. = Pétrissage intensif, 1350 brassages de pétrin Artofex ; 3’ lent + 17’ plus rapide.
  • P.A. = Pétrissage amélioré, 1000 brassages, 20’ lent.
  • Pétrissage Convent. = pétrissage conventionnel, 600 brassages en 12’ lent.

Le repos-autolyse ( de toute la pâte ), le moins performant des essais[21], a l’avantage de la simplification et de la rapidité par le fait qu’il nécessite moins de manutention, mais peut être contraignant au niveau du temps d’occupation de matériel. Ce repos autolyse sera repris au début par Christian Rémésy lorsque celui-ci approfondit l’idée d’une fermentation au levain à très faible ensemencement, (XVII.7). C’est comme si on apprêtait la pâte à mieux accueillir le faible ensemencement du levain, en la laissant un peu se dégrader par les enzymes végétaux (de la farine).

Les meilleurs résultats de tous les essais d’autolyse du professeur Calvel en 1974 au niveau volume et tolérance sont ceux où par apport d’autolyse partiel, l’on a introduit 50 % soit à t° ambiante ( 22 °C ) pendant 18 à 22 heures, soit à 4 °C pendant 40 heures.

XI.5. Recherche base technique de l’autolyse

Il y a près de cinquante ans que l’initiateur de la méthode d’autolyse souhaitait « que d’autres en ce domaine (celui de l’absence de données scientifiques sur le sujet) puissent combler cette lacune[22] ». On peut se permettre plutôt de continuer à observer. N’est ce pas un beau bagage professionnel que « beaucoup d’empirisme, une intuition et de la chance[23] ». C’est celui qui a conduit le professeur Calvel depuis cette fin janvier 1956 et ses terribles gelées jusqu’à sa trentaine d’essais de 1974.

La conservation des céréales implique que celles-ci ne contiennent qu’environ 13 % d’humidité. Ce qui est tout près du record du minimum comparé à l’ensemble des autres aliments.

Suite à l’humidification nécessaire précédant la mouture, on trouve environ 15 % d’humidité ou eau dans la farine. Pour arriver à la consistance pâteuse, on va multiplier la présence d’eau par 5,5 en hydratant à environ 60 % la farine. Il y aura même presque autant d’eau que de matière sèche lorsqu’on hydrate plus à 65-70 %.

Or toute cette eau ne peut être absorbée en peu de temps par la farine. La teneur maximum en eau pouvant se lier rapidement à la farine de la pâte serait d’après certaines recherches de 25 %[24].

On hydratera le moins possible les pâtes pour la pastification (30 %) afin que les pâtes alimentaires ( macaroni et compagnie) se conservent bien. Il y aurait dans ce cas de figure, 5 % d’eau « libre » (30 % – 25 % d’eau « liée ») dans les procédés de pastification et 35 % d’eau « libre » (60 % – 25 % d’eau « liée ») en panification et généralement moins de compression pour réaliser l’assemblage, farine/eau. Ces 35 % d’eau « libre » rendront la pâte boulangère plus « mobile ».

D’aucuns considèrent aussi que la dureté de la portion de pâte autolysée est importante. Ferme, voire bâtarde, rarement molle est le résumé des attitudes sur la consistance que nous avons entendue.

« L’eau se regroupe avec l’eau, car qui se ressemble s’assemble, l’eau exclut les molécules qui n’ont pas en commun avec elle d’établir une liaison hydrogène[25]».

Mais dès que le rapport soluté/H2O (soit : matière dissoute/eau) dépasse 1, la solubilisation augmente brutalement[26].

Autre point à considérer les différents types de farine mis en œuvre.

Lors de la formation de l’état pâteux, l’eau s’introduit entre les innombrables granules d’amidons, elle pénètre entre ceux-ci par « capillarité ». Un boulanger parisien ( Philippe Gosselin) ayant obtenu le prix de la meilleure baguette en 1996 emploie une belle expression pour qualifier l’autolyse de deux heures qui précède sa pâte ; «Ainsi l’eau s’accommode bien avec la farine[27] ». Lors de l’emploi de farine plus complète, les enveloppes (le son) se ramollissent en deux heures[28]. Le gluten est capable d’absorber près de deux fois son poids d’eau ; les pentosanes, plus présents dans les farines moins extraites, ont des capacités d’absorption encore plus importante (huit fois). Lorsque Xavier Rouau décrit les pouvoirs absorbants du froment, il signale que 20 à 50 % des pentosanes sont hydrosolubles et forment des solutions extrêmement visqueuses, vingt fois plus que les protéines solubles (VII.6). C’est jusqu’à 20 % de l’eau qui est associé aux pentosanes[29].

Autre point important dans ce chapitre sur les bases techniques de l’autolyse, plus le grain est résistant (hard) à la mouture, plus il sera probablement endommagé et plus il offrira des possibilités d’imprégnation (XII.7 et XII.12 avec fig.22 du chap. XII).

Enfin, les fibres du son qui ne contiennent que 10 % d’humidité, lorsqu’elles feront partie de votre choix de farine, agiront comme agent de rétention d’eau, sans vraiment se dissoudre[30]. Cela dépend de la granulométrie, si le son est broyé fin, il absorbera plus facilement l’eau[31].

On le voit, rien qu’en approchant les composants de base, les interactions farine/eau peuvent être différentes suivant l’identité de votre farine de froment. Que dire alors des autres farines et du temps nécessaire à l’efficience de ces voies d’imprégnation par « capillarité » !

L’autolyse c’est la farine et l’eau dans leur plus simple appareil ou comme le disait le professeur Calvel, une pâte « inerte autolysée[32] » plus « mobile » que l’on ne le croit, même sans ferment.

Une mobilité déjà définie par son appellation : autolyse, soit auto-dégradation. Je préfère toutefois transcrire autolyse par la définition que le professeur Calvel lui donne quatre ans après sa première description ; « auto-évolution des qualités plastiques[33] ». C’était sa visée en 1956, « neutraliser l’excès de force [de la farine], qui interdisait aux petits pains de jeter ».

Encore en 1992, le professeur publiera un article dans la revue Industries des céréales, dont le titre cible clairement « L’amendement de la ténacité et de l’élasticité par l’usage de l’autolyse ».

De manière générale, certaines années les farines peuvent avoir trop peu de force, par exemple lorsque les grains ont commencé à germer sur pied. En doublant une solide expérience d’une bonne observation, l’idée d’augmenter l’activité enzymatique (la lyse) en trempant une partie de la farine de la pâte afin de dégrader notamment les chaînes de protéines insolubles du froment (gluten de haut poids moléculaire) va s’inscrire en termes de procédé. Pour son créateur, le processus de l’autolyse ne peut dépasser les dix-huit heures, « au delà l’apport devient pénalisant », voir occasionner un début d’acidification[34] et dès lors on devrait parler plutôt de début de fermentation spontanée que de portions épaississantes, précise pour sa part le microbiologiste Gottfried Spicher[35].

L’autolyse s’inscrit clairement dans ce processus lent de la germination, puisqu’il n’y a que les enzymes natives du grain qui doivent être actives. Un des aspects les plus distinctifs du procédé est de ne pas adjoindre ou laisser démarrer une fermentation dans la pâte autolysée.

L’autolyse doit profiter de l’absence de la levure ou microorganismes du levain[36], en effet le développement d’une microflore empêche un peu une teneur en eau maximum de la pâte. Il est clair que la phase oxydante qu’engendre une fermentation change la donne au niveau des liaisons hydrogène recherchées par l’eau dans la farine[37].

Après on fait ce que l’on veut au niveau mélange, mais il faut strictement séparer pâte autolysée et pâte fermentée si l’on veut élargir le panel des « auto-amendements de la pâte », encore une bonne expression et définition du professeur Calvel[38].

La plus longue durée que prend la germination (XI.7), garantit un autre processus à l’autolyse par rapport aux fermentations. La transformation qui s’opère est celle qui est issu de l’énergie du végétal uniquement, sans celle avivée fortement par la vie des ferments (levain ou levure).

La lenteur du processus germinatif explique probablement que les meilleurs résultats dans les essais de R.Calvel sont obtenus par les apports de pâte autolysée profitant de plus de temps de maturité et ceux bénéficiant des plus grandes proportions d’apports partiels de pâte autolysée.

Il faudra néanmoins tenir compte, surtout à l’automne et au printemps (date plus sensible de l’épiaison à la maturation – V.9), de l’état de la récolte dans son calcul d’apport de pâte autolysée. Il est généralement dit par les bulletins d’informations des meuniers qu’il faut réduire le pourcentage de pâte autolysée les années où les froments ont eu tendance à germer sur pied, puisque l’activité des amylases et protéases endogènes du blé tendre ne reste limitée en terme d’auto-dégradation qu’en l’absence de blés germés sur pied[39].

Si l’on étudie la place du sel dans le procédé d’autolyse, on remarque que lors de ces huit essais complémentaires suivant sa première observation, le professeur Calvel utilise régulièrement le sel. Il faut dire qu’il utilise une farine à faible taux d’extraction (type 55, soit environ 78 %), donc pauvre en sels minéraux. La raison principale de l’ajout de sel n’est toutefois pas que le déficit décrit ci-avant.

Pour tenir une démonstration toute mathématique de ce déficit minéral de la farine blanche, signalons que la farine type 55 utilisée par le professeur Calvel contient 0,5 % de sels minéraux. Une farine complète type 150 en contient 1,7 à 2,2 % de sels minéraux. L’ajout du sel est généralement de 1,7 à 2 % (XIV.1).

L’absence ou l’apport de sel donnent une souplesse d’utilisation de plus au procédé, réduisant ou augmentant la durée de l’autolyse, cela se réalise bien plus qu’en faisant décroître ou accroître les proportions d’apport de pâtes autolysées, dit le professeur Calvel[40]. La présence du sel a également des effets inhibiteurs sur les protéases, enzymes provoquant la dégradation des protéines, dégradation que l’on veut ici ménagée et maîtrisée. Le professeur Calvel a d’ailleurs bien pressenti cette action régulatrice. Le sel ralentira aussi le phénomène d’osmose, si l’eau est trop salée ( les cristaux de sel se dissolvent plus vite que l’amidon), elle n’entrera pas dans d’autres cellules[41]. « Il y a compétition entre le sel et les autres solutés vis à vis de l’eau[42] ».

Ce phénomène sera vécu aussi par les salaisons, où tout l’art consiste à bien doser le sel pour gérer les échanges enzymatiques traités parfois d’osmotiques.

Par rapport à l’ajout de sel, dans une moindre mesure, l’eau douce (pauvre en sels minéraux) sera préférée à l’eau dure (riche en sels minéraux) pour des raisons assez semblables (XIII.5). Bref, la présence du sel n’est pas sans conséquence. D’autant qu’il s’agit de la première substance « externe » ajouté à la plus simple des pâtes. Libre à chacun d’en mesurer l’importance.

Pour le paramètre température dans le procédé de l’autolyse, il faut prendre en compte l’évolution du travail à l’aide des chambres de fermentation contrôlée.

Celles-ci confirment à souhait l’observation du professeur : l’allongement de la durée. La souplesse d’utilisation ou recherche de maîtrise du procédé d’autolyse pourrait bien migrer de l’emploi du sel ou pas vers l’emploi du froid ou pas, avec ces enceintes de réfrigération au froid positif. Les laboratoires ou ateliers de boulangerie s’étant équipés de plus en plus dans la maitrise du froid ces dernières années.

D’autres normes ne freineront pas ce type d’investissement de chambres froides, on peut penser au surcoût du travail de nuit, à la réduction du temps de travail par exemple ainsi que les normes d’hygiène et à l’étalement journalier de l’offre de produits chauds au comptoir.

fig.5. Avantages de l’autolyse
Méthode naturelle de panification
Améliore la tolérance des pâtes
Améliore le lissage des pâtes
Rectifie la ténacité de la pâte
Améliore légèrement le volume du pain
Améliore la conservation du pain
Améliore la panification des farines acides
Réduit le temps du pétrissage
Améliore le goût du pain
Améliore l’alvéolage de la mie
Permet d’éviter les oxydations
Permet d’intégrer plus d’autres farines
Résumé des notations.

Le froid positif apporte une maturation de la pâte également, les liaisons « hydro » s’y sentent plus à l’aise. L’essai numéro trois du professeur Calvel sur la conservation au froid ne note aucun changement d’hydratation de la pâte, malgré les différences d’apports. À température plus basse, au froid négatif, l’eau gèle et exprime ainsi à sa manière qu’elle se lie plus facilement entre elles grâce au froid.

Certains boulangers font avec succès une autolyse la veille et la laissent au frigo pour la nuit. Il faudra bien sûr veiller à revenir graduellement à température ambiante, à ré-acclimater la pâte[43]. Côté température supérieure à l’ambiante (22 °C pour le professeur Calvel), c’est clair que cela engendre de manière exponentielle une rapidité de dégradation.

De plus si le professeur n’entrevoyait que la dégradation ménagée du gluten pour atteindre un meilleur état de celui-ci, les autres composants de la farine se dégraderont en parallèle.

Ainsi la dégradation de l’amidon entraîne aussi collant et pâte à aspect apurée peu souhaitable. C’est là qu’il nous faut repérer la plus grande limite du procédé.

C’est pour les qualités plastiques de la pâte que le professeur Calvel a introduit le procédé. Vu l’état très hard des blés dans son pays, l’américaine Maggie Glezer[44] voit surtout dans les effets recherchés par l’autolyse, le travail des enzymes protéolytiques. Elle relève la contradiction de vouloir dégrader le gluten, dès lors qu’il faut par ailleurs (à la sélection et à la culture) en développer un maximum.

En fait c’est un rééquilibrage ou amélioration des effets du gluten qui est rechercher.

Le gluten n’a pas une propriété, mais plusieurs.

Lors de sa conclusion en 1974, le professeur Calvel écrivait « les résultats tant au niveau du professionnel que du consommateur que je suis me paraissent du plus grand intérêt ».  « L’autolyse est loin sans doute d’avoir offert toutes les possibilités qu’elle recèle[45] ».

Prenons comme une observation le fait que Gérard Meunier, un ami du professeur Calvel, signale en 1994 qu’il a recours à l’autolyse les années des campagnes 91-92 et 92-93 pour pallier au manque de lissage au pétrissage, dû probablement à l’arrivée de la variété Soissons comportant beaucoup de protéines à haut poids moléculaires[46].

Une autre interprétation technique à intégrer dans les effets de l’autolyse serait à mon sens les qualités que peuvent apporter les pentosanes ou hémicelluloses.

À l’inverse du gluten, les pentosanes sont à l’aise dans ce procédé d’autolyse, « ce sont les constituants les plus hydrophiles de la pâte »[47], ils jouent sur l’amélioration du volume et sur un aspect que le professeur n’a pu observer, l’amélioration de la conservation du pain par la plus grande fixation d’eau occasionnée[48].

Un aspect clairement démontré par Raymond Calvel est l’amélioration d’une farine acide impanifiable, par l’apport de la pâte plus neutre, au niveau pH, qu’est l’autolyse.

Nous le verrons à la partie consacrée à la méthode Quellstück qui suit, celle-ci accompagne le levain dans toutes les recettes. Mais pour la panification, cela est plus vu comme un geste similaire au vigneron mélangeant les cépages, ici les pré-pâtes, que pour permettre un temps pour imbiber les matières. Pour ce dernier cas, levain et autolyse donnent tous les deux le même espace temps d’imprégnation et les utiliser ensemble est considéré par certains[49], non sans raison, comme doublon voire inutile à y recourir simultanément, du moins, si l’on cherche à se simplifier la tâche.

Le « mariage » de la pâte autolysée et de la pâte fermentée au levain (plus acide) semble apporter des bénéfices qu’il serait bon d’approfondir sur le terrain rien qu’en termes d’assemblage de goût, (XIX.6).

C’est par nécessité au début que James Mac Guire[50] dans la boulangerie de son restaurant « Le passe-partout » à Montréal utilisait avec succès le mélange autolyse et levain. Au départ c’est pour des raisons pratiques. Lors de l’entretien des levains après les jours de fermeture, celui-ci effectue ses rafraîchis à l’aide de pâte autolysée. Pas besoin de personnel spécialisé ( puisque l’on peut préparer le tout à l’avance ) et pas d’éclaboussures de farine sur les vêtements de ville, lors de ce court retour au fournil, la veille de la panification sur plusieurs rafraîchis.

Le « mariage » pâte autolysée et pâte fermentée à la levure conduit aussi à d’excellents résultats. Gérard Meunier nous donne la réalisation de deux pâtes qu’il « marie ». Une autolyse qui repose 12 à 15 h et une pâte à la levure qui fermente pendant 5 h. Pour la pâte de baguette, il « marie » 31,25 % de pâte autolysée avec 12,5 % de pâte fermentée. Pour la pâte de campagne, c’est 45 % de pâte autolysée et 50 % de pâte fermentée qui seront mises en œuvre. Pour le pain de mie, ce sera 50 % de pâte autolysée et 50 % de pâte fermentée à la levure qui s’uniront pour faire la pâte[51]. Vous voyez, on peut mélanger avec succès, et grâce à l’autolyse, vous avez une touche de plus à votre clavier de méthodes naturelles de panification.

L’amélioration du pétrissage par l’emploi de l’autolyse est manifeste[52] et d’autant que l’ère du pétrissage intensif en vogue à l’époque de la découverte du procédé dans les années 1950-70 est terminée mais que trente ans plus tard, des blés à gluten plus tenace et de haut poids moléculaires ont pris place sur le marché.

Il reste au professionnel de la pâte de s’interroger, d’expérimenter, de confronter les écrits avec la réalité.

Rien de tel pour être un peu plus « pris par la pâte » et gagné en motivation boulangère.

XI.6. Le procédé allemand du Quellstück

Les pré-pâtes sans levure ou levain se trouvent en Allemagne actuellement.

Mais de nouveau, c’est pour des pâtes de seigle en farine complète (type 170 en F, dit type 1740 en D) et même pour des pâtes spéciales en grains concassés en éclats (le Schrot) employés complets (type 1800 en Allemagne – X.7) . Principalement les fonctions et un peu les procédés en seront différents[53].

La Quellstück se traduit par la portion épaississante ou prenant l’eau. L’expression germanique Quelle est à interpréter dans le sens, « trempé dans l’eau » plutôt que « source d’eau »[54].

Des deux procédés de pré-pâte (Brühstück et Quellstück), la deuxième est définie comme non chauffée et les deux procédés ne se cumulent pratiquement pas dans les recettes, c’est l’un ou l’autre.

Mais les deux sont presque toujours en complément d’un levain. Attention, ici nous sommes en Allemagne, avec des pâtes de grains concassés en éclats et pas avec des pâtes bien alvéolées de farine « fleur » sans teneurs en fibres (XI.1). Le choix entre la Quellstück  (portion épaississante) et la Brühstück (portion ébouillantée) serait un peu dépendant de l’activité enzymatique des matières premières mises en œuvre. Comme la Brühstück a l’amidon partiellement gélifié par l’ébouillantage, celui-ci est plus facilement disponible pour les microorganismes fermentant la pâte[55] et n’est plus utilisable pour l’élaboration de la mie. C’est pourquoi la Quellstück est déclaré un peu plus avantageuse lors de la mise en œuvre de matières premières à plus forte activité enzymatique[56].

On remarque qu’avec la Quellstück, il s’agira de faire prendre l’humidité à ces produits de mouture, c.à.d. des Schrote, mais en Allemagne, cela peut être autant des restes de pains séchés que des matières alimentaires fibreuses qui seront pré-trempées.

Avec un petit inventaire, sur treize recettes[57], on peut remarquer que celles-ci sont préparées en une pré-pâte liquide : 1 litre pour 0,750 à 1 kg de « produits céréaliers ».

Trempée pendant 2 à 24 heures dans de l’eau plutôt fraîche, ne devant pas engendrer une fermentation spontanée lors de sa conservation à température ambiante[58], cette pré-pâte contient de 20 à 40 % des « produits céréaliers » du total de la pâte.

Le sel est rarement introduit dans cette pré-pâte [59].

Une fonction verquollen, soit prendre l’eau [60], bien définie par le mot Quellstück, pour ce procédé qui, rappelons-le, concerne souvent l’intégralité du grain (plus en riches en fibres), plutôt que la farine blanche de froment. Et tant que l’on est dans une phase d’imprégnation d’eau, pourquoi ne pas coupler à cela l’occasion d’y infuser dans celle-ci, soit des épices, soit des plantes aromatiques, ce qui peut personnaliser votre recette (XI.10).

XI.7. L’emploi de graines germées en panification

Il serait peut être bon pour notre lanterne, de bien pénétrer le sujet de ce qui se passe lors de la germination des grains de céréales. Déjà, rien que pour mieux comprendre les processus de l’autolyse et de la Quellstück vus précédemment.

La première phase de la fabrication de la bière, qui utilise souvent une céréale appropriée (généralement une espèce d’orge) et l’analyse de la cuisine aux graines germées vont nous aider à comprendre un peu ce qui se passe.

Le maltage, mot qui vient de l’allemand et veut dire « amollir »[61], consiste à faire absorber de l’eau fraîche (que l’on va renouveler) pendant 72 à 120 heures.

Dans le procédé industriel des malteries, on injecte aussi de l’air si l’on veut arriver au malt vert[62].

Lors de la germination des grains de froment, pas de trempage prolongé dans une cuve comme pour le malt. On veille à maintenir une forte humidité constante et au bout de soixante-douze à cent vingt heures également, le germe pointe. Soixante-douze ou cent vingt heures ! Alors que le pain est quotidien (24 heures) comme on aime à le répéter.

On le voit, la dégradation du processus de germination est bien plus lent que le processus de fermentation. Même de celui d’auto-fermentation naturelle qui s’installe spontanément, mais en quelques jours à température ambiante et suite à plusieurs « nourrissements ». Ce que vous pourrez mieux comparer en lisant plus loin (XVII.4.1) le processus de l’auto-fermentation de la pâte.

Déjà un peu entrevue (VII.9) pour ce qui concerne l’approche critique de l’enrichissement vitaminique et du temps nécessaire pour que celui-ci se réalise, nous remarquons que la méthode «Germix» ne permet pas, dans la durée de son diagramme, de réaliser un enrichissement vitaminique maximale.

C’est en Suisse que la méthode « Germix » a été lancée[63]. Elle sera reprise par les moines trappistes de l’abbaye d’Orval plus connus pour leur bière que pour leur pain. J’ai pu en prendre connaissance fin des années 1970 grâce à frère Pierre, originaire de Vénétie.

Elle consistait en un trempage-germination de grains de blé pendant douze à vingt-quatre heures à une température de 35 °C. Puis de passer dans un hachoir à viande ces graines une fois égouttées. D’ajouter de la levure et un peu de farine complète et sel pour lier en une pâte. Ensuite procéder classiquement, avec levée et cuisson. Bien sur, on peut utiliser le levain en lieu et place de la levure, celui-là étant probablement tombé en désuétude au moment où les patrons boulangers suisses faisaient la promotion du procédé dans leurs manuels. Pascal Labbé, à la suite de son grand-père Raymond Dextreit naturopathe et de son père Max Labbé, auteur d’un livre sur les graines germées, est fan des apports de la germination. Son livre[64] nous en apprend les bases. Il rappelle que la graine est nourrie par le végétal, et comme elle arrive à la fin de la maturation sur la plante mère, elle subit une forte déshydratation qui permet sa conservation.

Sans aller jusqu’à rapporter la légende des pyramides et le pain essénien (X.3.1 et XI.12), les graines peuvent conserver leur pouvoir germinatif sur une période d’une à dix années en perdant environ 10 % de faculté germinative par année. C’est ainsi que pour les graines à faire germer, il vaut mieux ne pas dépasser les deux ans de conservation. N’oublions pas aussi que pour sortir de la dormance, (période d’arrêt du cycle de vie allant de la graine à la plante, se situant juste après la fin de la maturité- X.7), les céréales d’hiver ont besoin du stimuli du froid, et dès lors celles-ci doivent passer au frigo entre six à vingt-quatre heures, une fois trempées.

Le premier élément dont la graine a besoin pour germer, c’est de l’eau. D’abord, ce sera sous la forme d’un bain pour ramollir les enveloppes, qui sinon resteraient trop imperméables. Les fruits à coques (noix, pistaches et pignons de pin) ne seront que trempées, inutile de vouloir les faire germer, à part peut-être l’amande, mais le trempage permet déjà de déclencher l’inactivité des inhibiteurs d’enzymes, facteurs antinutritionnels naturels (XVI.9.1).

Pour les autres graines après la trempette, lorsque les enveloppes s’attendrissent, ce ne sera plus que sous forme d’humidité ambiante, avec brumisateur, que l’eau devra être présente.

Le deuxième élément sera la température, vers les 20 °C, c’est celle où la vie est à l’aise dans une amplitude de 8 °C à 10 °C entre le jour et la nuit. Un excès de chaleur par temps chaud peut faire développer comme un duvet sur les graines à faire germer, indice de stress hydrique. Il suffit, par jour, d’arroser deux fois plutôt qu’une, pour régler ce problème. L’oxygène, l’obscurité, sont aussi des conditions à respecter pour une bonne germination, sauf si vous voulez obtenir de l’herbe de blé pour en faire du jus[65], chère à Ann Wigmore (XI.12).

11_088_germination d'un grain d'orge.jpg
Sachez aussi que faire germer du sorgho n’est pas trop indiqué (production de cyanure), tout comme les graines des tomates, patates et courgettes qui produisent aussi des alcaloïdes plus ou moins toxiques[66].

La consommation des graines germées n’est pas un régime exclusif, il faut le regarder comme un apport de condiment s’absorbant sous forme de cuillère à soupe pour les grosses graines et de cuillère à café pour les petites graines.

Les vitesses de perméabilisations des enveloppes (deux à vingt-quatre heures) et de germination (de deux à six jours) seront différentes suivant les espèces de graines.

Pour les céréales et pseudo-céréales, il faut généralement compter vers les deux à trois jours.

fig.7. Pour une bonne germination des graines de céréales et de pseudo-céréales
Type de graines Durée de trempage Nombre de rinçage Temps de germination
Amarante 8 à 10 heures 2 X par jour 3 jours
Avoine 8 à 10 heures 2 X par jour 3 jours
Blé 12 heures 2 à 3 par jour 2 à 3 X par jour
Épeautre 12 heures 2 à 3 par jour 2 à 3 X par jour
Maïs 12 heures 2 à 3 par jour 2 à 3 X par jour
Millet 12 heures 2 à 3 par jour 2 à 3 X par jour
Orge 12 heures 2 à 3 par jour 2 à 3 X par jour
Quinoa 4 à 6 heures 1 X par jour 2 à 3 X par jour
Riz complet 8 à 10 heures 2 X par jour 3 à 5 X par jour
Sarrasin 4 à 6 heures 1 X par jour 2 à 3 X par jour
Seigle 12 heures 2 à 3 par jour 2 à 3 X par jour
Le livre de Pascal Labbé vous donnera les meilleures manières de pratiquer la germination pour les légumineuses, les oléagineux, les graines d’ombellifères, mucilagineuses, de brassicacées et d’alliacées qui parfois ne nécessitent qu’une vaporisation au lieu du trempage, ou bien ne supportent que des pots en grès.

Ils ont, bien sur, des heures de trempage et jours de germination différents.

D’après Pascal LABBé, 2017.

Pascal Labbé vous proposera des indications pour laisser germer une bonne trentaine de types de graines[67], qui pourraient améliorer le mélange de céréales germées en les épiçant (graines de moutarde, de radis, d’ail) ou en complémentant l’apport en protéines par des graines de légumineuses germées.

Les graines plus petites et à enveloppes plus tendres auront besoin de moins d’heures de trempage et moins de jours de germination en milieu humidifié. Des pots en grès sont préférables et même plus qu’indiqué pour les graines de trèfle, sésame, céleri, moutarde et radis ainsi que les graines de mucilagineuses (lin, chia et cresson) réputées les plus difficiles à faire germer. Max Labbé a conçu un germoir avec prévision du volume et de la durée pris par la prise d’eau et les germes. Ils sont aussi à trois étages pour permettre un apport quotidien lors de trois jours nécessaires à la germination.

On comprend mieux la difficulté de suivre en espace occupé hydriquement et thermiquement stable une production de grande quantité et que la préparation en mode production plus professionnelle s’est parfois arrêtée à une germination d’un jour. C’est au point que Richard Miscovitch, adepte de cette plus-value du blé germé aux États-Unis va jusqu’à préconiser l’achat de farine de graines germées stabilisées[68]. Lors de l’acceptation de telle proposition commerciale, il faut contrôler la longueur du temps de germination pratiquée et voir si la stabilisation par voie thermique se réalise à de douces températures[69], dans l’idéal, sous les 40 °C, comme vu plus loin (XI.12).

Laisser germer plus loin et obtenir de longues pousses de germes n’est pas indiqué pour la recherche nutritionnelle. Il vaut mieux utiliser la vigueur « avant que la plante naissante l’ait épuisée ». J’aime beaucoup cette expression employée par Pascal Labbé, surtout quand il ajoute, « il n’est pas bénéfique d’attendre trop et de laisser la graine et le germe se dissocier[70] ». En effet la petite réserve de nutriments contenue dans la graine est consommée lors des premiers temps de germination et après elle passera dans la pousse du germe. C’est dans ces radicelles que seront contenus les minéraux et les vitamines, d’ou la nécessité de ne pas les couper et même de ne pas employer trop d’eau qui risque de « lessiver les nutriments[71] ». Assez vite après, pour les graines germées, mises en terre, c’est par les racines entourées de mycorhizes que la plantule va se développer et se séparer du germe. Celui-ci a une mission agricole dans le cycle de la plante-blé, qui s’arrête assez vite tout compte fait (fig.8).

11_089_du germe a la plantule.jpg
Il faut préciser que dans l’apport de graines germées en panification, nous ne sommes pas en mode de consommation crue des graines germées. Le danger de l’Escherichia coli entérohémorragique apparu en 2011 près de Hambourg (onze morts) et puis à Bègles dans la banlieue de Bordeaux est par ce fait, absent, puisque la cuisson intervient. Le débat qui suivi cette tragique contamination en Basse-Saxe fut malheureusement plus partisan que passionnant. Ou tantôt on dénigra la production bio au point de parfois regretter les traitements chimiques de graines (V.6). Ou, on dénonça la production industrielle, surtout celle confondant les graines de jardinerie avec les graines destinées directement à l’alimentaire. Si l’on essaye de parler sans détours, de ce problème des graines germées consommées crues, ce n’est à mon avis, ni la production bio ou industrielle qui est en cause, mais le fait que de savoir que notre peur est parfois au dessus de nos moyens. L’accident du à une souche rare de bactérie est difficile à éviter. Je fais probablement preuve de fatalisme pour certains, mais je crois aussi qu’il faut tirer des leçons de cet accident et prévenir la contamination microbienne des graines destinées à la germination puis consommées crues, notamment en remettant en cause la mauvaise utilisation d’engrais naturels ou l’emploi d’eau d’irrigation contaminée.

L’acharnement à vouloir faire germer et consommer ainsi les graines a ses raisons nutritionnelles.

Lorsque l’on réfléchit à vouloir éviter les dangers, il ne faut pas que l’on soit plus apte à éliminer les défauts que d’améliorer la qualité.

Voyons les changements que la germination apporte déjà dans la transformation de l’amidon.

On obtient des blés germés à forte teneur en enzymes, ce que la classification boulangère conventionnelle aura tendance à exclure, pour la qualité dite panifiable (IX.5), mais les glucides en seront plus facilement disponibles. Ce sera aussi le cas pour les protides qui gagneront en digestibilité[72]. Les teneurs en Lysine (un des acides aminés limitant du blé) sont bien améliorées, comme le sont également quelques minéraux recensés plus loin par Michèle Cayla (fig.10)

L’orge et le sorgho germés ont le risque de former des complexes insolubles polyphénols libres/protéines, signale une enquête récente[73]. Si l’on veut que les fibres deviennent plus solubles, il faudra compter sur des jours de germination en plus (jusqu’à 7 jours[74]).

fig.9. Dégradation de la transformation des chaînes d’amidon lors de la germination
Nombre d’heures de germination Évolution de

la teneur en eau

Évolution de

la teneur en dextrines

Évolution de

la teneur en amidon

24 heures (1 jour) + 3 % +156 % – 39, 5 %
144 heures (6 jours) + 7,8 % + 178 % – 73,5 %
288 heures (12 jours) Non coté Non coté – 99 %
La germination fait évoluer la teneur en amidon, (longue chaîne de molécules de glucose liées, de 30 à 100, voir plus) et la « dégradant » en plus petites chaînes ou dextrines (± 2 à 7 molécules de glucose)
D’après Kulvinska, 1925 repris dans Cayla, 1982.

Les plus-values approximatives des teneurs en vitamines, parce que moyennes, sont celles qui sont les plus marquées par le passage des graines en germination.

fig.10. Moyenne de gains nutritionnels lors de la germination
Calculé sur 1 g de matière Teneur de la graine

non germée

Teneur de la graine germée Plus-value
Provitamine A 450 microgrammes 2.250 microgrammes 500 %
Vitamine B1 7 microgrammes 9 microgrammes 129 %
Vitamine B2 1,3 microgrammes 5,4 microgrammes 415 %
Vitamine B3 62 microgrammes 103 microgrammes 166 %
Vitamine B5 7,6 microgrammes 12,6 microgrammes 166 %
Vitamine B6 2,6 microgrammes 4,6 microgrammes 177 %
Vitamine B7 1.460 microgrammes 2.100 microgrammes 144 %
Vitamine B8 0,17 microgrammes 0,36 microgrammes 212 %
Vitamine B9 28 microgrammes 106 microgrammes 379 %
Vitamine C Multipliée par 6 les 1ers jours 600 %
Vitamine E Multipliée par 3 en 3-4 jours 300 %
Lysine Forte augmentation
Phosphore 423 milligrammes 1050 milligrammes 248 %
Magnésium 133 milligrammes 342 milligrammes 257 %
Calcium 45 milligrammes 71 milligrammes 158 %
Sachant que les Vitamines A, B1 et C sont fortement détruites à la cuisson.
Principales sources d’après Cayla, 1982.

Sachant que principalement la vitamine C est détruite par après en cuisson, à environ 80 %, et que la vitamines B1 et la vitamine A vont subir des pertes importantes aussi, en vivant la forte hausse de température lors du passage au four.

J’espère que ce sous-chapitre germination aura engendré une meilleure compréhension de la vie, exprimée par cette pousse du germe et que vous puissiez en « prendre de la graine » pour vos recherches d’améliorations nutritives.

Le procédé « Germix » a été vu en introduction de ce sous-chapitre dédié à la germination, mais d’autres sont aussi tombés en désuétude.

XI.8. Deux anciens procédés avec la pulpe des grains.

Analysons ces anciens procédés afin d’évaluer les avantages et désavantages qu’ils contenaient.

Je les relève dans un livre de P.W. Fouassier qui ambitionnait d’initier scientifiquement les boulangers professionnels avant la guerre 1940-45 et souhaitait clairement guider vers les progrès de la connaissance des gaz et du frigo, y allant d’une initiation à la microbiologie, au principe du rassissement, à la mesure de la température, à la présentation des nouveaux pétrins à la mécanique, etc. Le tout en terminant par ce propos : « L’évolution est inéluctable. Car si nous ne nous américaniserons pas, on nous américanisera. Parce que, pour les peuples comme pour les races, les espèces et les individus, le courant de l’évolution supprime tout ce qui résiste à son emprise puissante[75] ». Voilà qui fait froid dans le dos des amoureux de la diversité !

Les procédés de Vilbuschewitstch et Rabinowitsch[76] viennent probablement de Russie. Ils consistaient en mélange de portions de grains de blé pré-trempés.

Une partie (dont 1/5) baignait dans l’eau, vingt-quatre heures, puis après essorage reposait pendant de nouveau vingt-quatre heures. Les 4/5 restants étant aussi trempés dans l’eau à 18 °C seulement pendant vingt-quatre heures, mais ne subissaient pas de temps de pause et retrempage.

On réunit les deux portions en les salant (2 %) puis les hachant en « vermicelles » et les déposant en autoclave non chauffée, récipient parfaitement hermétique faisant subir une pression. Dans ce type de vase clos, une espèce de fermentation s’amorce et fait monter une pression qui, exprimée en ancienne mesure de force, monte à 3 voir 6 à 7 kilogrammes-forces. La pression fait jaillir la pâte obtenue par un robinet qui éjecte celle-ci à travers des trous de faibles diamètres dans le pétrin.

C’est au point que l’auteur relatant cette phase compare les détonations des projections à un bruit de mitraillette. On régule le débit de cette explosion de pâte avec une bonbonne d’air comprimé placée à l’autre extrémité de l’autoclave. Une fois le tout dans le pétrin, on ajoute levure ou levain, puis on procède à l’ordinaire en terminant par la cuisson[77].

L’originalité du procédé de cette fermentation sous pression suivie de déflagrations est qu’il apporte une matière première considérablement augmentée en volume, un peu comme le vivent les céréales du petit-déjeuner (corn flakes) lorsqu’elles sont extrudées à chaud dans une vis sans fin et se retrouvent expansées par ce fait.

Puis, comme on emploie les grains avec leurs enveloppes dont la couche d’aleurone, ils bénéficient aussi d’un bon taux de présence et de disponibilité de nutriments.

L’apport de prédigestion est estimée dans un tableau où les expressions de l’époque laissent deviner une meilleure dégradation des glucides (matières sucrées + glucides saccharifiables) et protides (matières azotées) et surtout matières solubles totales qui sont presque doublées.

fig.11. Évolution du contenu des grains lors du passage en autoclave

(cuisson en hermétisme, avec eau et sous pression)

éléments composant le grain Avant le passage Après le passage
Matières azotées (protides) 1,63 % 3,00 %
Matières sucrées (glucides complexes) 1,42 % 6,90 %
Glucides saccharifiables (glucides simples) 4,05 % 12,32 %
Éléments minéraux 2,38 % 3,39 %
Matières solubles totales (humidité) 13,49 % 26,99 %
D’après Fouassier, 1939.

Le procédé Pointe est français et de la même époque.

« Nombreux sont les inventeurs de méthode permettant de transformer le grain en pain sans passer par l’intermédiaire de la farine », écrit Fouassier[78].

Pour le procédé Pointe il s’agit d’une macération dans l’eau salée à 1 % et chaude (65 à 70 °C) pendant une vingtaine d’heures. Qui sera suivie d’un broyage en pulpe de la masse en essayant de retirer le son par pression à l’aide d’une fine toile mécanique.

La suite de la panification est ordinaire avec ajout de levure, façonnage et cuisson.

Le choix entre faire germer les grains plutôt que les moudre en farine semble se retrouver dans le brevet d’un équipement et procédé russe qui n’est pas dévoilé. Il s’agit d’un pain dit sans farine ou titré commercialement de Tonus-bread. Il est possible qu’il soit assez proche des procédés vus ci-avant, mais soixante ans après, en 1990. Il s’agit d’un pain qui a tous les avantages du grain bio complet et germé, il sera produit en 1997 à Belogradchik -Bulgarie[79].

XI.9. Le pain avec du mout de bière ou vin

Réaliser du pain avec les ferments de la bière ou du vin, c’est s’éloigner d’un objectif d’auto-fermentation de la farine qui peut représenter la fermentation reine du fait que l’on ne s’appuie que sur les forces de la farine, c’est même une manière d’en évaluer la qualité.

La bière est issue d’une fermentation de grain également, le plus souvent l’orge, mais à part la bière Lambic donnant après assemblage les bières bruxelloises «gueuze» et faro, il ne s’agit pas d’auto-fermentation, mais de brassins ensemencés par des levures.

On verra (XV.1 et XV.2) que le vécu historique des brasseurs et des boulangers est assez proche. On distinguera cependant les levures entre elles. On peut même faire une différence entre les saccharomyces. Ceux de la bière ne sont pas ceux qui changeront le jus de raisin en vin. Poussons plus loin encore en classification, les saccharomyces cerevisae ont de souches différentes si elles viennent de l’auto-fermentation du levain ou de la levure de brasserie (XV.5 et XV.7).

Quand une recherche de pain à la bière existe, elle lie souvent des artisans locaux de la fermentation de grains. Alors si l’aventure vous tente il faut savoir qu’il ne suffit pas de remplacer une partie de l’eau par de la bière, c’est un peu plus complexe que cela.

Une boulangerie artisanale de Maastricht aux Pays-Bas possède dans la vieille ville, le Bisschopmolen[80] (le moulin de l’évêque) et se dit la première boulangerie du pays à n’employer que de l’épeautre local du Kollenberger.

J’ai toujours été étonné que Frank Van Eerd, le propriétaire depuis 2005, ne s’intéressait pas au levain naturel. Et j’ai compris après avoir vu un reportage sur lui, dans Cuisine des terroirs d’Arte TV, qu’il utilisait la lie de la brasserie du village proche (Gulpen) pour animer sa fermentation panaire. Brasseurs et boulangers limbourgeois travaillent dans le même esprit, produire et se fournir local.

11_090_haute et basse fermentation en brasserie.jpg
Dans le cas de choix de bière convenant le mieux et employées comme liquide à la place de l’eau, ce sont des bières pour le moins ambrées, mais plutôt des bières de couleur foncée qui sont souvent employées.

Pourquoi l’emploi de la drêche fraîche et/ou la lie de la bière et pas la bière seule dans l’apport de la pâte ? Parce que l’arôme de cette boisson alcoolisée va disparaître pour une bonne part à la cuisson (XXI.10) et que les levures ne se retrouvent généralement plus dans la bière commercialisée, sauf celles, non filtrées, qui ont un dépôt, la lie.

Obligatoirement, la drêche (le résidu plus sec du moût) devra être fraîche, comme la levure de brasserie autrefois[81]. Cela nécessite une distance minime entre le brasseur et le boulanger pour pouvoir en profiter afin qu’elle ne s’altère pas (XV.2).

L’apport sera de l’ordre de maximum 20 % sur la farine. Ce reliquat de brassage qu’est la drêche issu de la filtration du moût est assez riche en eau (70 %), il apportera de la croustillance de par son état de broyat assez grossier et le côté sucré de la transformation de la céréale maltée.

C’est après le retrait du moût que s’ajoute houblon puis levures.

Pour bénéficier de levures de bière comme cela est relaté (XV.2) jusqu’au début du xxème siècle, il faut récupérer la lie avant le dernier filtrage, souvent vendue sous forme liquide ou non pressée, ou utiliser des bières non filtrées (avec leur dépôt de lie).

Lors de l’industrialisation de la brasserie à partir du milieu du xixe siècle, les brasseurs abandonneront la bière épaisse et nourrissante, en commercialisant des bières plus légères, genre soda. Du coup, ils utiliseront des levures de basses fermentations qui conviendront moins aux boulangers. Ces basses fermentations sont non seulement celles qui laissent un dépôt au fond de la cuve, mais aussi celles qui avoisinent des basses températures (de 4° à 12 °C) pour fermenter et créer cette bière genre Pils qui se gardent mieux. Tandis que la haute fermentation de la bière qui était dominante, avant que les brasseurs ne commercialisent à longues distances, ont des levures actives aux températures voisines de la fermentation de la pâte, vers les 25 °C, et dont le dépôt remonte à la surface et surnage.

Ainsi ce sont les lies de bières de haute fermentation non filtrée qui pourraient le mieux ensemencer votre pâte. Comme dit précédemment, la meilleure étant celle, rare, qui se réalise en fermentation spontanée comme la lambic bruxelloise qui n’a donné lieu à ma connaissance que de vieux essais de pain un peu niché à la capitale belge où le moût de gueuze est présent.

Il est recommandé d’utiliser une pré-fermentation genre liquide (poolish) ou plus pâteuse (sponge) lors de l’ensemencement à la lie de bière ou de bière de haute fermentation non filtrée. Cela vous permet de juger le degré de force de l’ensemencement, ce que conseillait déjà avec ces mots Antoine Parmentier : « la préparation du levain de levure servira d’essai[82]».

Des pré-fermentations britanniques utilisées en panification autrefois (XVII.1.1) sont à lire pour étendre son savoir sur ces pains où brasserie et boulangerie s’allient. L’influence plutôt arômatique du houblon dans certaines panifications est vue un peu plus loin (XI.10).

On verra (xxiII) que l’utilisation des invendus de pain peut conduire comme substrat pour brasser des bières.

L’utilisation de moût de vin a aussi fait l’objet de recherche pour être utilisée en panification. Un brevet a même été déposé, c’est sur un moût de grand cru que M. Gratiot, vigneron de Saint-Émilion près de Libourne et Thierry Meunier[83] ont mis au point leur produit. L’ami Laurent, webmaster de boulangerie.net, a présenté ce pain Grand-Cru dans sa boulangerie-pâtisserie au 75 de la rue d’Auteuil à Paris. Une pré-fermentation au levain liquide de moût de raisin est réalisée, et des grains de raisins du même cru sont incorporés dans la pâte en fin de pétrissage.

XI.10. L’emploi des épices ou aromates en fermentation.

Rares sont les écrits qui mentionnent l’influence des épices dans la fermentation panaire.

Pour le levain, par exemple, voici deux extraits glanés dans des lectures d’articles ou de passage de livre qui décrivent succinctement, comment le levain de panification de certaines boulangeries peut en être conçu.

C’est soit un « subtil dosage de miel, jus de pommes, de vanille, de cannelle et d’anis[84] ». Ou encore on parle d’ajout à la farine et à l’eau pour démarrer son levain-chef « d’un mélange à base de miel, de pomme et de clémentine, de vanille et de poivre[85] ». C’est en 2010 et 2012 qu’ont été recueillis ces témoignages.

On sait aussi que certaines charcuteries comme le saucisson subissent pendant deux à trois mois une dessiccation alliée à une fermentation. Cela se réalise en milieu salé avec ajout d’épices du type poivre, ail ou autres.

Dans les bières qui vivent une fermentation d’une à plusieurs semaines, les épices viennent plutôt en aromatisation, coriandre, poivre, réglisse, cannelle, muscade, etc.

Mais on le voit, ces fermentations, notamment des saucisses, sont souvent freinées (on dit aussi plus avantageusement « affinées ») par le sel, d’où l’expression salaisons. Le processus dure des jours, voire des semaines, pour les épices qui aident à la fermentation de la viande salée.

Ce n’est pas le cas de notre pâte à pain fermentée au « quotidien ».

Pour l’analyse technique, c’est appréciable de bien séparer l’aromatisation de l’action bénéfique que l’épice peut jouer dans la fermentation. Encore que l’on peut considérer qu’une fermentation peut être avec à propos orientée vers un ralentissement de la fermentation par le sel ou d’autres épices à actions plutôt modératrices.

C’est sur l’acte fermentaire plutôt positif, voire même clairement avantageant, où le ferment tire des bénéfices de la présence d’épices que je souhaite m’attarder.

Du coup arbitrairement, ne seront pas repris la cannelle qui a des propriétés antiseptique, étant issu d’une écorce contenant de grande quantité de tanins (inhibiteurs d’enzymes), ni le poivre aux propriétés anti-bactériennes, ou d’autres épices qui réduisent l’action fermentative.

Le « substrat » miel ne saurait être vu comme une épice, mais bien en tant qu’apport de sucres directement fermentescibles, activant la vie des ferments en termes de nourriture (XVI.4.1 et XIX.3.4).

La vanille subit une transformation enzymatique, qui va changer la couleur de la gousse d’orchidée, de verte en noire. Cela se passe en à peine 12 heures, juste après une plongée dans une eau à 65 °C, puis séchées dans des couvertures. Un séchage que complétera l’affinage, qui durera, lui, une dizaine de mois.

Les jus de fruits (pommes, raisins) très souvent renseignés lors de l’élaboration d’un nouveau-chef sont naturellement plus rapides en fermentation du fait de leur teneur en eau allant jusqu’à 90 %, alors que le grain de céréales qui ne fait qu’environ 13 % d’humidité n’a pas la même faculté à entrer en fermentation. Mais si le jus de fruit démarre avec plus d’assurance la fermentation, ce n’est pas sa fermentation spécifiquement fruitée qui continuera, il faudrait pour cela en ajouter à chaque mise en fermentation (XV.7).

A.A. Parmentier décrira en 1778 ce qu’il appelle les « levains artificiels » (les « starters » de l’époque), dont la levure de brasserie faisait partie, tout comme la présure, le vinaigre ou le lait caillé.

Puis il écrit : « Les corps susceptibles de la fermentation n’ont pas besoin de levain pour fermenter, l’hydromel, le cidre, le poiré, le vin, etc. s’obtiennent ordinairement sans aucun secours étranger. Il serait également inutile d’ajouter à la farine autre chose que de l’eau et de l’abandonner ensuite à l’air libre. Mais le principe fermentescible s’y trouve plus enveloppé, qu’il ne l’est dans le suc sucré des végétaux[86] ».

En effet bien avant que l’on sache que les céréales n’ont qu’un peu plus d’un pourcent de sucres directement fermentescibles pour environ sept pourcent aux fruits, Parmentier définit les ajouts comme aides artificiels liant dans son approche les savoirs de la science de l’époque et de l’empirisme professionnel.

C’est en 1910, dans une revue allemande consacrée aux céréales que O. Knischewsky et N.P. Neumann étudient l’action des épices sur la fermentation à la levure[87].

Voici résumé fig.13, deux points d’influence des épices.

Tout d’abord en testant l’influence de divers ajouts, on remarque que pour la levure, la muscade et l’oignon sont un peu moins positivement influents que la farine de froment et dans l’ordre, le gingembre, les écorces de citron, la cardamone, le fenouil, l’anis, favorisent la fermentation.

Le Diamalt, produit commercial qui bénéficie déjà de très fortes promotions appuyées, est recensé par les deux chercheurs, il est à comparer avec l’apport de miel, comme ajout de sucres plus directement fermentescibles (XVI.8).

11_091_epices dans la fermentation a la levure.jpg
Le deuxième point émis dans la fig 13 donne l’action du cumin en fonction de la dose.

Un peu comme une recette personnelle, on concasse quelquefois des graines de cumin des prés dans un peu de farine afin de garder l’huile essentielle qui s’échappait dans le broyat. Je le fais lorsque l’odeur du levain me semble trop alcoolique à mon goût, pour rediriger la fermentation mixte du levain vers plus de fermentation lactique. Comme les autres graines d’ombellifères (anis, coriandre, fenouil, aneth par ex.), le cumin des prés a des propriétés galactogènes et est depuis longtemps un des condiments du pain[88]. Le cumin a été dans la panification de l’est-européen une des graines dont l’usage est le plus fréquent et s’est conservé[89]. Mais suivant les régions du Monde et leurs disponibilités, on appréciera au Moyen-Orient, la nigelle aussi appelée cumin noir, le sésame, le fenugrec dans les Balkans, les feuilles de chou et de sauge cuites ajoutées au pain ou pâte cuite sur les feuilles en Galicie polonaise et en Hongrie, les boutons floraux de câpres en Ukraine occidentale, etc.

L’aneth (dénommée parfois fenouil bâtard ou faux anis) qui aromatise souvent l’aquavit en Scandinavie (soit l’eau de vie). Ses arômes assez puissant se voient aussi mieux capté par le gras du lait que simplement infusée dans l’eau.

Le houblon était ajouté au levain comme on l’ajoutait à la fabrication de la bière[90]. En bas-allemand suisse, on nommait le levain additionné de houblon de hab. À Winterthur en 1497, les boulangers en faisaient pour cuire le pain blanc avec le hab et disaient faire du neuf jusqu’à deux fois la semaine. Ceci pour provoquer et accélérer la fermentation. Cet usage se perdit lors de la commercialisation de la levure de bière.

On remarquera dans l’enquête de 1910[91] que la dose ne doit pas être trop forte au risque de baisser en influence.

C’est vrai aussi pour le sel et le sucre qui dès une dose de 4% voit chez ce dernier son action bénéfique sur la fermentation qui commence à décroître [92]. Ce qui redonne le statut d’épice au sucre de canne, comme autrefois, au temps où il était appelé le «sel indien».

C’est un dosage que certains traiteront d’homéopathique qui est à prendre en considération.

Comme le signalait Fred, devenu formateur à l’Inbp de Rouen, « l’utilisation de ces multiples épices ouvre tellement de portes de mélanges de saveurs que je n’aurais jamais le temps de toutes les ouvrir dans une vie ». Chouette propos et belle dynamique professionnelle, d’autant qu’il faut y aller d’instinct.

Adam Maurizio qui a enseigné à Lviv-Lvov en Ukraine occidentale signale dans l’entre-deux guerres, qu’on aime moins qu’autrefois les substances destinées à donner du goût au pain (dont les épices), et que celles-ci s’accordaient, d’après lui, plutôt avec les pains noirs et gris de seigle[93].

C’est vrai qu’il existe comme une transformation graduelle de la perception du goût et comme on l’a observé (X.18), on est pour l’instant, en tant que consommateurs, dans les versions naturelles, plutôt en train de simplifier que de complexifier.

Quoi qu’il en soit, j’ai pu apprécier d’avoir reçu de mon père, plutôt pâtissier que boulanger, ses paroles : « les épices il faut les laisser se deviner, pas les goûter trop franchement».

Et liée à une fermentation, cela est encore plus complice, plus intime de ce fait.

XI.11. Le grünkern ou grain cueilli vert.

Le grünkern est un point quasi anecdotique ici, parce que pas tellement voué à devenir du pain, puisque traditionnellement il sert à confectionner une soupe épaisse typique.

Le grünkern est en Allemagne le grand épeautre cueilli encore vert puis séché ensuite.

Cette manière de récolter à l’état pâteux un grain non mûr et non sec est rencontré couramment dans le Monde. Il porte le nom de frikeh[94] ou farik en arabe (soit frotté, pour décortiquer) ou encore shawi [95].

En Amérique du Nord, on récoltait aussi le riz sauvage (X.17) à l’état laiteux pour devancer l’appétit véloce des oiseaux[96] et d’autres graminées sauvages devenues aujourd’hui mauvaises herbes étaient nettoyées, séchées et puis triturées au temps ou l’on se nourrissait par cueillette-ramassage et sans culture suivie et soignée[97]. Les épis de seigle étaient parfois coupés prêt de l’épi à l’état dit laiteux pour créer une bouillie qui porte le nom slave de prazmo. En Slovaquie ces épis tendres et verts étaient grillés en plein air et consommé par les enfants qui gardaient les troupeaux[98].

11_092_sechage traditonnel du grunkern.jpg
Ce type de récolte avant maturité semble bien trouver son origine à la nécessité d’anticiper celle-ci aux temps de famine ainsi qu’à une survivance du ramassage ancien pour confectionner des bouillies.

C’est en 1660 que remonte la première mention du grünkern allemand[99].

Il est resté un produit d’une région située à la frontière des Lands de Bavière et du Bade-Würtemberg où on l’appelle aussi le « riz du duché de Bade ». La variété spécifique d’épeautre pour le grünkern est le Baulander[100] puisque cultivé dans le Bauland (région traitée de Sibérie de Bade) et à Boxberg, qui sont les deux lieux privilégiés du grünkern.

Une Aop a été obtenue en mars 2015 et Slow-Food l’a ajouté à son catalogue d’aliments de qualité, « l’ arche du goût[101] ».

La détermination de la qualité que devrait avoir le grünkern est entourée de savoir-faire régional codifié comme on le fait pour une tradition culinaire.

La récolte s’effectue au stade pâteux plutôt que laiteux, ce qui facilite déjà un tout petit peu le séchage qui suit.

Autrefois, on coupait juste sous de l’épi afin de rentrer le grain sans mauvaises herbes, quitte à déchaumer le champ par après. Cet instant de récolte du grain vert se situe à peu près deux à trois semaines avant la récolte, plus ou moins dans la deuxième partie de juillet à l’instant où l’épi, les feuilles et la paille sont encore vert et le grain blanc, encore pâteux[102].

Immédiatement après la récolte, on le sèche, et là, les langues de témoins régionaux se délient.

Il ne faut pas sécher de trop, l’idéal est d’atteindre une belle couleur d’olive verte. Si les grains brunissent, on est allé trop loin[103]. Autrement les protéines se coagulent et l’albumen devient glaçé et dur, dès lors difficile de l’employer en panification, sinon en petites proportions. Pour cette opération du séchage, on parle autant de tourraillage que de fumage et je crois que l’on opte plutôt pour la deuxième expression, puisque la spécificité d’un bon grünkern est de laisser un goût de fumé et une couleur verte fonçée. Le feu distant des grilles où sont déposés les grains pâteux est alimenté de bois de chêne ou hêtre et ce sèchage dure entre trois à quatre heures à température entre 120 °C et 180 °C.

De nouveaux appareils avec injection d’air chaud et circulation des grains ont été conçus dans le milieu des années 1960 vu le « renouveau » de l’épeautre (X.4) qui pointait à ces moments-là et qui touchera aussi le grünkern[104]. Cette opération de séchage permet également de mieux décortiquer l’épeautre de sa balle[105]. Pour enlever la balle (décortiquer), on utilise en mouture haute des meules plates et abrasives assez rugueuses en grès ou les meules dites de Naxos (XII.8). Il est souvent nécessaire de les passer deux fois à la meule-peleuse et de compléter le nettoyage par des sasseurs[106] (XII.13).

Une association d’agriculteurs se donne des critères de qualité pour le grünkern, principalement sur le pourcentage de grains de couleur vert-olive allant de 80, 70 et 60 %[107].

Fig.15. Comparaison entre un blé (ici de Narbonne), récolté à maturité et un blé récolté 18 jours avant maturité
Éléments composant

le blé

Blé à maturité Blé avant maturité
Amidon 68,06 % 61,35 %
Gluten

(pour protéines ?)

12,01 % 6,41 %
Matière sucrée

(pour dextrines ?)

6,32 % 10,94 %
Matière gommo-glutineuse

(pour pentosanes ?)

3,13 % 1,85 %
Son 2,02 % 5,05 %
Humidité 8,44 % 14,40 %
D’après BENOIT et al. 1846.

Sur la différence de qualité du grünkern par rapport au grain non pâteux puis séché, il n’existe pas beaucoup d’indications, mis à part le témoignage du professeur de l’école de meunerie à Munich, Félix Baumgartner qui signale que la valeur de ce « gruau d’épeautre » réside dans sa forte teneur en albumine et en amidon facilement soluble[108]. Il faut savoir aussi que le grünkern s’échauffe vite, la conservation des « graines vertes » est jugée assez difficile, puisque à forte teneur d’humidité et avec des températures chaudes, l’altération arrive rapidement.

J’ai retrouvé dans l’encyclopédie Roret de 1846, des indications dans une vieille analyse comparant les valeurs de blé mûr à celles du blé récolté avant sa maturité (fig.15). Ceci afin d’éviter les pertes de grain qui tombe des gerbes mûres. « Plus on s’éloigne du point de maturité, plus il contient de matières sucrées et moins il est renfermé d’amidon et de gluten. Car c’est la matière sucrée qui, par l’acte de végétation, se convertit en ces deux principes immédiats végétaux[109] ».

XI.12. Le pain à cuisson minimum ou pain essénien

Avec le pain essénien, à l’origine, on va s’inspirer, un peu comme pour l’école Sainte Hildegarde, (X.4.), d’un mode de vie semi-religieux, ascète avec des choix nutritionnels. En remontant encore plus loin que le xiie siècle pour les sources historiques. On trouve quelques traces de la vie des esséniens, un peuple dont on situe l’existence au ier siècle de notre ère, comme étant une communauté religieuse ascètique (dites même parfois sectaire) issue du judaïsme. Ici, il s’agit d’interpréter les manuscrits de la mer Morte trouvés à Qumrân (Israël à la moitié du xxe siècle) et ceux d’autres auteurs pratiquement antiques dont Pline l’ancien[110].

L’ « enseignement » de la vie et de la nourriture des esséniens (incorporée parfois dans la diététique moderne en crudivorisme) est redécouvert dans les années 1950 par Edmond Székely-Bordeaux, Hongrois né en Roumanie en 1909. Cet érudit connaissait 16 langues dont quelques langues mortes notamment l’araméen. Il eut aussi accès aux archives du Vatican et aux « rouleaux de la mer Morte », ce qui lui permit de traduire quantité d’anciens textes et d’écrire l’évangile des esséniens pour soutenir ses idées en diététique. Si l’écrit religieux fut contesté, on retiendra au plan nutritionnel l’insistance du couple Székely sur la nécessité de manger le plus naturel possible. Ils recommandaient 75 % d’aliments crus et vitalisants, dont les graines germées inspirées par les écrits esséniens deux siècles avant J.-C.[111]

D’autres personnes vont aussi à cette époque de l’après-guerre conduire des recherches et faire la promotion de la consommation des céréales germées (XI.7). Il s’agit d’Ann Wigmore-Warapicki à Boston et Viktoras Kulvinkas. Tous les deux sont lituaniens expatriés aux états-Unis, et au milieu des années 1960 démarrera à Boston, l’église Rising Sun Christianity devenue l’Hippocrates Health Institute[112].

Puis, l’une autant à Boston qu’à Porto-Rico, et l’autre au Costa-Rica, ouvriront des centres de remise en forme par l’alimentation naturelle et les soins du corps et de l’âme.

Pour que ce type de nourriture soit « vivante », on écarte toute cuisson puisque la vie s’arrête à 42 °C pour le corps humain, et qu’alors les enzymes se déforment et ne savent plus remplir leurs fonctions vitales (XVI.8).

Dès lors, pour faire du pain essénien il faut tremper les grains de blé pendant douze heures et les faire germer deux à trois jours, puis les hacher comme déjà vu (XI.6).

Certaines recettes mélangent la bouillie de graines germées avec l’huile et le sel. Il faut former de petits pains et les poser sur le treillis du déshydrateur, ou dans le four en s’assurant de ne pas excéder la température de 40 °C. La déshydratation dure entre huit à douze heures en retournant les pains après trois à quatre heures.

Tel quel, c’est un « pain » à mie dense, parfois traité d’Ovni, mais riche en éléments vitalisants.

Les recettes peuvent également varier avec l’apport de diverses graines germées et condiments toujours dans le respect de la santé. On aura aussi une vue assez holistique du thermique en passant de l’énergie solaire au température de vie autour d’une table[113].

Il existe des commercialisations de ce pain, il est alors vendu sous atmosphère contrôlée et est souvent « cuit » à des températures supérieures proche de la stérilisation. Avec une cuisson à 80 °C à cœur, cela détruit une partie des vitamines, mais le pain conserve au final une bonne part des vitamines des groupes B et vitamine E. Dès lors, il ne s’agit pas d’un produit cru, ni si pleinement vivant, et la partie spirituelle des néo-esséniens n’est pas forcément revendiquée[114].

Le concept de « transformation minimale » qui ressurgit dans ce xxie siècle pourrait redonner vigueur au pain essénien[115].

Nous voilà au terme de ce chapitre qui voulait vous faire voyager dans des pistes de transformations parfois peu empruntées et peu décrites.

Je peux vous dire qu’à sa rédaction, j’ai pris du plaisir à approfondir et que cela m’a ouvert de nouveaux horizons.

  1. Bibliographie du Chapitre XI VOIES DE TRANSFORMATIONS DIVERSESXavier Rouau, 1987, p. 74.
  2. Antoine Bolland, p. 175.
  3. Emmanuelle Cronier, extrait d’intervention.
  4. Wilfried Seibel, 1988, p. 17-20.
  5. Hubert Chiron, 2021 b, p.39.
  6. Christine Kazantsev sur son site et Wikipédia russe sur le pain Borodino.
  7. émilie Bryckaert et col., p. 12-21.
  8. Cécile Chevreux et col., 2016, p. 20-25.
  9. Christine Ho, 312 pages.
  10. Joe Ortiz, p. 68.
  11. T. Lauwers, p. 9.
  12. Raymond Calvel, avril 1980.
  13. Roland Guinet, 1979, p. 113.
  14. Rosario Buonassisi, p. 60 et 61.
  15. Maggie Glezer, p. 11 et 12.
  16. R. Calvel, novembre et décembre 1974.
  17. R. Calvel, novembre et décembre 1974.
  18. Philippe Roussel & Hubert Chiron, p. 198 et 199 ; Gérard Meunier, 1994, p. 2 ; J. Mac Guire, p. 33-35.
  19. Raymond Calvel, 2002, p. 56-58.
  20. Pascal Labbé, p. 14.
  21. Gérard Meunier, 1994, p. 10.
  22. Raymond Calvel, 1974, p. 297.
  23. Raymond Calvel, 1974, p. 296.
  24. Jean Buré, 1980, p. 18.
  25. Hervé Thys, p. 27.
  26. Martine Le Meste et Bernard Colas, p. 11.
  27. S. Kaplan, p. 391.
  28. H. Thys, p. 113.
  29. Xavier Rouau 1996, p. 13-19.
  30. J.F. Thibault, p. 205.
  31. J.L. Multon, p. 206.
  32. R. Calvel, 1974, p. 289.
  33. R. Calvel, 1978, p. 139 & 140.
  34. R. Calvel, 1974, p. 291.
  35. G. Spicher et H. Stephan, p. 34-35.
  36. M. Glezer, p. 12.
  37. Jean Buré, 1980, p. 18.
  38. R. Calvel, 1974, p. 297.
  39. Yves Popineau, p. 145.
  40. R. Calvel, 1974, p. 293 et 296.
  41. Hervé Thys, 1993, p. 113.
  42. Martine Le Meste et Bernard Colas, p. 6.
  43. R. Calvel, 1974, p. 291 & 292.
  44. Maggie Glezer, p. 12.
  45. R. Calvel, 1974, p. 296.
  46. Gérard Meunier, 1994, p. 10.
  47. Pierre Feillet et col., 1994, p.270.
  48. J.L. Multon, p. 71-75.
  49. Patrick Castagna,2014.
  50. James Mac Guire, 1995, p. 33.
  51. Gérard Meunier, 1994, p. 10-14.
  52. Frédéric Vautrin, Frédéric Lasne et Sébastien Jollet, p. 18-21.
  53. Dorian Weipert et Jürgen-Michael Brümmer, p. 91,
  54. Franz-Josef Steffen, p. 19 et sv.
  55. James Mac Guire, 2018, p. 15.
  56. Voir J.M. Brümmer & G. Morgenstern, p. 155.
  57. Franz-Josef Steffen, p. 19 et sv. ; J.M. Brümmer & G. Morgenstern p.155.
  58. Gottfried Spicher & Hans Stephan p. 34 & 35.
  59. F.J. Steffen, p. 110, 154, 158, 170, 178, 182, 194, 206, 226, 240, 274 et 288 ; J.M. Brümmer et G. Morgenstern p. 171.
  60. J.M. Brümmer & G. Morgenstern, p. 155.
  61. M. Cayla, p. 32.
  62. I. de Jouffroy d’Abbans, p. 75.
  63. Rudolf Flückiger, et al., p. 163.
  64. Pascal Labbé, p. 8-22.
  65. Alain Bonjean, 10-2022.
  66. Pascal Labbé, p. 24 et 25.
  67. Pascal Labbé, p. 56 à 77.
  68. Richard Miscovitch, p. 25.
  69. Anthony Fardet, p. 28.
  70. Pascal Labbé, p. 56.
  71. Anthony Fardet, p. 27.
  72. Anthony Fardet, p. 26.
  73. Anthony Fardet, p. 26-27.
  74. Anthony Fardet, p. 27.
  75. P.W. Fouassier, p. 171.
  76. Hubert Chiron, 2021 b, p.29 et 30.
  77. P.W. Fouassier, p. 114-116.
  78. P.W. Fouassier, p. 112 et 113.
  79. Information sur http://www.tonusbread.com/
  80. Voir site http://www.bisschopsmolen.nl
  81. A.A. Parmentier, p. 318 à 329.
  82. A.A. Parmentier, p. 331.
  83. T. Meunier, 2019, p. 86 et 87.
  84. D. Saibron, 143 pages.
  85. Françoise Raes interviewant Charly Reboulet, p. 38.
  86. A.A. Parmentier, p. 314.
  87. A. Maurizio, p. 515-527.
  88. A. Maurizio, p. 522.
  89. A. Maurizio, p. 516 et 521.
  90. A. Maurizio, p. 518, 525 et 526.
  91. A. Maurizio, p. 526 et 527.
  92. Ph. Clément, p. 25 et p. 29.
  93. A. Maurizio, p. 516 et 518.
  94. http ://www.fraenkischer-gruenkern.de
  95. M-Cl. Frédéric, p. 194.
  96. A. Maurizio, p. 75.
  97. A. Maurizio, p. 84 et 87.
  98. M. Markus, p. 124.
  99. http ://www.fraenkischer-gruenkern.de
  100. Chri.E. Kling, p. 3
  101. http ://www.fraenkischer-gruenkern.de
  102. Ute Rabe, p. 19.
  103. http ://www.fraenkischer-gruenkern.de
  104. Ute Rabe, p. 22 et 26.
  105. A. Maurizio, p. 76.
  106. F. Baumgartner, p. 383-384.
  107. http ://www.fraenkischer-gruenkern.de
  108. F. Baumgartner, p. 384.
  109. M. Benoit et col., p. 146 et 147.
  110. Alice Royer, publié sur crudivorisme.com
  111. Voir la rubrique Edmond Bordeaux-Székely sur Wikipédia.
  112. Voir les rubriques Ann Wigmore et Viktoras Kulvinkas sur Wikipédia.
  113. Julien Marie Duerinckx, p. 15.
  114. Rachel Revesz, de la société Gaia, janvier 2013.
  115. Anthony Fardet, p. 27-28.

 

893 vues