Article publié dans Le Censeur, journal de Lyon, politique, industriel et littéraire du 30 novembre 1843, numéro 2793 (BM de Lyon en ligne) et dans Le Courrier de la Drôme et de l’Ardèche à la même date.
Nous lisons dans Le Sémaphore de Marseille:
Un assassinat, auquel on ne peut encore assigner sa véritable cause, a mis en émoi hier, les habitants des rues voisines de celles où il a été accompli avec un sang froid inexplicable. À onze heures du matin, des garçons boulangers faisaient une partie de cartes à l’extrémité d’une longue table placée sur le côté gauche de la vaste salle de l’auberge située rue du Relais et connue sous le nom de l’auberge de la mère des boulangers.
Cette salle assez proprement tenue, rappellerait pourtant, à cause de l’obscurité qui y règne même en plein jour et son ameublement composé de tables de cabaret, de brocs de vin, de verres rangés sûrs de longues étagères, objets sur lesquels la large cheminée du fond jette la rouge lueur de ses fourneaux, cette autre salle qu’Eugène Sue a célébrée sous le nom de Tapis-Franc, si les habitués de la mère des boulangers n’étaient pas d’honnêtes et de laborieux ouvriers.
La partie de cartes commençait à peine, qu’un garçon boulanger, natif d’Orange, appelé François Biscarra, âgé de trente à trente-cinq ans, est entre, a bu un verre d’eau et s’est promené quelque temps dans cette salle, qui est au niveau de la rue du Relais, et dans laquelle on entre par une porte à deux battants et a vastes carreaux de vitre .
François Biscarra s’est ensuite approché de l’un des joueurs, et, après avoir rapidement appuyé sur le cou de ce dernier un pistolet qu’il avait tenu caché sous sa blouse, il a lâché la détente, et toute la charge, composée de plomb numéro un, est entrée sous l’oreille de la victime qui est tombée raide morte.
À peine a-t-il eu consommé son crime, que l’assassin s’est paisiblement acheminé vers la rue, tandis que les personnes que cette soudaine explosion avait plongé dans la stupeur restaient douloureusement interdites devant un cadavre ; mais, le premier moment de saisissement passé, elles coururent vers la porte pour crier A l’assassin! et se mettre en devoir d’arrêter , s’il en était temps encore, le misérable qui venait de commettre le crime.
François Biscarra marchait lentement dans la direction du Cours, quand des agents de police, avertis parles cris de la foule, s’avancèrent et se s’emparèrent de cet homme qui ne leur opposa pas la moindre résistance. Il avait la main qui avait tenu le pistolet labouré par une longue incision d’où le sang s’échappait, car l’arme avait été chargée jusqu’a la gueule, et, bien qu’elle n’ait pas éclaté, la secousse que la détonation lui avait imprimée avait été si violente qu’elle blessa profondément la main de l’assassin.
François Biscarra fut immédiatement conduit chez M le commissaire de police Poleti, dont le bureau était situé rue de l’Arbre *.
C’est là que nous avons pu voir cet assassin, affaissons sur un banc et attendant le moment de subir son premier interrogatoire. Il était vêtu d’une blouse bleue et portait une casquette de peau de loutre, sa figure basanée avait une expression sombre qui, dit-on, lui était familière, car des ouvriers qui le connaissaient nous l’on représenté comme habituellement taciturnes et se plaignant fréquemment de ce que ses camarades jetaient dans son vin et dans son potage des ingrédients qui nuisaient à sa santé et lui causaient des douleurs d’entrailles . Ces plaintes qui n’avaient aucun fondement, prouvaient que cet homme était enclin à la défiance et qu’il nourrissait contre ses camarades des préventions injustes par l’effet de sa malheureuse tournure d’esprit.
Avant de répondre aux questions de M le commissaire de police , François Biscarra à demandé à boire, et il a avalé plusieurs verres de vin. Si nous sommes bien renseignés, François Biscarra n’a pas voulu encore faire connaitre les motifs qui l’ont porté à cet acte de férocité ; au contraire, il aurait dit qu’il n’avait aucun sentiment de haine contre sa victime qui était un jeune garçon boulanger nommé Gaspard Fraudin*, dit Georges, né à Chateau-Renard et âgé seulement de vingt trois ans. Ce dernier dit-on avait des moeurs très douces et était très aimé.
*La rue de l’Arbre a été rebaptisée Vincent Scotto en 1962.
- Gaspard Fraudin ne figure pas dans l’état civil de Chateau-Renard, surement né dans une commune environnante ; par contre cette origine du Loiret nous engage a voir chez Fraudin un ouvrier boulanger voyageant la France, la mère étant le bureau de placement.
- Rien n’indique que ce crime a eu lieu chez la mère des compagnons boulangers, c’est peut être la mère des sociétaires boulangers ou bien encore des indépendants, mais il m’a paru intéressant de publier ce fait qui reflète les violences de l’époque dans ces cafés, auberges, cabarets.
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité C.P.R.F.A.D.