Une lettre d’André à sa mère envoyée du front, 1915
Ma chère mère,
Le froid est arrivé, terrible, lancinant. Je suis bien content de pouvoir m’envelopper dans cette couverture, tu sais, celle que tu m’as offerte pour Noël. Elle me permet de penser plus fort encore à toi et à mes sœurs. J’espère qu’elles vont bien et que la petite Anne est guérie.
Ici, les cadavres jonchent le sol, on entend les plaintes des blessés, le râle rauque des estropiés. L’odeur est insupportable : un mélange de pourriture, de poudre et de sueur, de boue aussi.
Outre les Boches, nous avons de nouveaux ennemis : les rats. Ils nous envahissent. Ô mère, si tu voyais ça ! Je suis obligé de leur laisser le pain que je ne mange pas. Hier, Marcel Compagne, un de mes camarades d’infanterie, a enveloppé le sien de tissu pour le protéger et a dormi avec. Cela n’a pas dissuadé un rat de la taille de mon avant-bras de le mordre aux mollets pour lui piquer son pain !
Rat volant le morceau de pain d’un soldat allemand dans le sommeil
Il n’y a pas que nous, les hommes, qui souffrons. Les arbres morts lèvent leurs branches chétives vers le ciel d’un noir d’encre. Aucune lumière en effet (sauf celle des lampes de poche), pour ne pas révéler notre position. Parfois, un bruit assourdissant vient briser le silence de la nuit et le souffle d’un obus passe sur nos têtes. Les obus, les batteries, les fusils…On croirait la Faucheuse incarnée dans chacun d’eux.
Un lit-cage inventé par un soldat pour pouvoir dormir à l’abri des rats
Tu es la seule à qui je peux me confier. Demain, je ne reverrai sans doute plus les camarades qui sont à mes côtés au moment où je t’écris.
Vous revoir toutes, toi, Suzanne et Anne est mon seul espoir, la seule pensée qui me fasse aller de l’avant.
Je pense bien à vous trois.
Sur le front, ce 10 février 1915.
Ton fils, André.