Pain de munition

Le Pain de munition, « Nerf de la guerre » des Armées Françaises en guerre (1588-1814).

Une tranche de pain de munition Allemand.

Histoire antique. La distribution de pain aux soldats remonte à l’Antiquité égyptienne. À l’époque romaine, le panis castrensis est d’abord fabriqué par le soldat lui-même, à partir des céréales qu’on lui donne ; par la suite, il reçoit le pain déjà cuit, mais en petites quantités. Pline l’ancien affirmait que ce pain restait comestible plusieurs siècles.

Le pain de munition est le pain que mangent les soldats, selon les usages et règlements de leur armée. Longtemps base de l’alimentation des populations, la qualité et la quantité du pain disponible étaient, surtout en cas de conflit, un facteur contribuant à la réussite des missions, au succès des batailles. Dur, fade et peu digeste, il est moqué des soldats qui le consomment.

« Le pain de munition était le pain distribué aux soldats, « munition » étant synonyme de provision dans le vocabulaire militaire ancien. Le pain étant une « munition de bouche », chaque soldat en recevait une ration journalière pour sa subsistance. Elle était accompagnée de rations de viande et de légumes secs, de distributions de vin. Aussi bien en temps de paix que de guerre, le pain de munition constituait la base de l’alimentation du soldat sous l’Ancien régime, la Révolution et le Premier Empire ».

Le « Règlement pour la voiture et conduite du pain de munition » fait à Blois le 9 novembre 1588 est la première ordonnance royale sur le sujet. Elle apportait, en France, une première réponse à l’émergence d’armées permanentes de plus en plus nombreuses et de plus en plus mobiles qui caractérisent la révolution militaire que connut l’Europe durant les XVIe et XVIIe siècles. La période étudiée s’achève avec plusieurs décisions prises par Napoléon Ier sur la fabrication de fours et de moulins pour l’armée. Il fallait en effet subvenir aux besoins de grandes armées, ce qui restreignit longtemps le cadre de la guerre aux quelques régions peuplées d’Europe du Nord-Ouest, faute de réponses efficaces.

Le ravitaillement des troupes, dont le pain de munition est une composante indispensable, était plus généralement un facteur déterminant de la stratégie. En effet, le pain de munition fit l’objet de toute l’attention des dirigeants confrontés aux contraintes du ravitaillement des armées. L’enjeu n’était pas seulement celui de la quantité, mais également l’obtention d’une qualité du pain fabriqué qui impliqua des recherches à caractère principalement scientifique et technique, développées en particulier dans un long XVIIIe siècle, spécialement après la guerre de Sept ans. Le contexte est celui de la réforme éclairée des circuits de fabrication du pain, de la meunerie à la boulangerie, impliquant une pluralité d’acteurs, savants, techniciens, administrateurs comme l’a montré Steven L. Kaplan, en somme une « politisation de la technologie » qui s’accompagne d’une « collégialité renforcée des pratiques administratives et d’une approche utilitariste de la science ».

Ces études, dont l’analyse ouvre un nouveau volet de ces politiques réformatrices, permirent de faire évoluer la fabrication et la composition du pain distribué aux armées en campagne. En revenant sur les étapes qui ont permis de faire coïncider les impératifs techniques de la production d’un pain de munition de qualité avec les contraintes et objectifs stratégiques, nous voudrions montrer combien cette question fut au cœur des transformations de la guerre et de ses conceptions au XVIIIe siècle.

La fourniture de pain aux troupes – La ration de pain

Depuis 1574, date du premier traité sur les vivres et les fourrages, la fourniture de pain aux soldats (comme celle de la viande et de l’avoine) était assurée par le « munitionnaire général » ou « entrepreneur général des vivres ». Le munitionnaire général (en principe un par armée), fournissait la subsistance qu’il faisait distribuer aux troupes par des commis appelés vivriers. Les munitionnaires étaient des marchands ou des financiers qui passaient des marchés avec le roi pour le ravitaillement d’une armée. Ils se chargeaient de la fourniture et de l’acheminement des denrées. Avec les réformes de Le Tellier, la surveillance des approvisionnements fut confiée aux commissaires des guerres. Titulaires d’offices jusqu’à la Révolution puis véritables magistrats militaires, ils étaient également chargés de distribuer vivres, fourrage, chauffage, habillement et équipement, et de vérifier les dépenses.

En 1629, l’ordonnance de Louis XIII précise que « la valeur du pain de munition sera rabattue aux soldats à raison d’un sol par écu ». La retenue sur solde resta à un sol par ration pendant tout le XVIIe siècle. En 1707, elle était de deux sols par jour, ceci jusqu’à la Révolution. En 1790, l’assemblée nationale décréta que, « indépendamment de la solde », il serait fourni « à chaque soldat présent aux drapeaux ou détaché pour le service », une ration de pain de munition, « laquelle ration fera partie de la solde. (Source Techniques, histoires et sciences humaines).

Actes Royaux. Ordonnance du Roy pour faire fournir le pain de munition aux troupes et réduire la ration à 24 onces. 1731

Ordonnance du Roy pour faire continuer la fourniture du pain de munition aux troupes qui seront dans les places d’Alsace, du pays Messin, Flandre, Artois et Picardie et à Besançon. 1736.

Ordonnance du Roy, pour fixer pendant l’année 1743, la retenue du pain de munition à vingt-quatre deniers la ration, dans les places des frontières de Flandre & d’Allemagne. Du 20 décembre 1743-1744

Ordonnance du Roi pour faire continuer la fourniture du pain de munition aux troupes de Sa Majesté qui seront dans l’étendue de son Royaume et île de Corse, et pour fixer à 24 deniers par ration la retenue du pain de munition qui leur sera fourni. 1776. (Source BNF).

Ordonnance du Roi pour fixer, à commencer du 1er janvier 1779, la composition du Pain de munition dont la fourniture doit être faite à ses troupes. 1778.

La fourniture de pain en campagne au centre des préoccupations des états-majors

Quand le pain manquait et qu’il n’était pas compensé par d’autres aliments, les soldats se livraient au pillage des terres traversées. Là encore les témoignages des généraux abondent.

En Catalogne, en 1648, les troupes commandées par le maréchal de Schomberg restèrent deux jours sans pain. Tout le monde criait miséricorde. Schomberg appréhendant des violences défendit « sous peine de la vie, de piller en aucun endroit, ce qui retint la plupart ». Lors de la campagne de 1792 à l’armée du Nord, « le besoin avait porté la maraude à son comble » raconte le général Dumouriez, « les soldats allaient par bande piller les villages ». Comme le prince de Montbarrey dans son récit de la guerre de succession d’Autriche, les chefs ont conscience que « la partie des subsistances, si essentielle à la guerre, […] y est souvent décisive ». Aux XVIIe XVIIIe siècles, le ravitaillement en pain fut toujours assuré aux soldats par les munitionnaires ou des entrepreneurs spécifiques, en dépit de situations ponctuelles de pénurie.

Cependant, la fourniture de pain aux troupes pouvait être compromise par les malversations des fournisseurs. Le marquis de Feuquières, lieutenant général des armées de Louis XIV, dénonce dans ses mémoires sur la guerre les « friponneries » des entrepreneurs de vivres, « dont le malheur tombe toujours sur le soldat, qui se trouve privé d’une subsistance qui le soutient ». Le maréchal de Saxe parle, lui, de « voleries » des « pourvoyeurs des vivres » qui ne « cuisent le pain qu’à moitié, et y mêlent toutes sortes de choses malsaines qui, avec la quantité d’eau qu’il contient, augmentent le poids et le volume du double ». « Quelle race maudite que celle des commissaires de guerre ! » écrit encore le général Vandamme à Moreau pendant la campagne des Flandres en 1794, « il faudrait en guillotiner les trois quarts pour que l’autre quart fasse son devoir. Je n’ose plus me présenter devant nos bataillons ; les soldats ne font, à juste raison, que de me demander du pain mangeable ; celui qu’on leur donne, depuis quinze jours, est un poison ; il est entièrement moisi ».

C’est à la fois pour lutter contre les fraudes et éviter la sédition des troupes que se mit en place un contrôle de qualité du pain de munition en 1795. En cas de contestation de la qualité du pain, il était prévu que le commissaire des guerres et un membre du conseil d’administration du régiment se transporteraient au magasin des vivres pour faire procéder à l’expertise du pain incriminé, par deux boulangers, l’un nommé par le conseil d’administration du régiment, l’autre par le préposé aux vivres. « Si la plainte est fondée, il sera fourni d’autre pain |…] ; mais si le pain de munition est reconnu bon et conforme à la qualité prescrite par la loi, la troupe ne sera point admise à le refuser ».

Le pain de munition dans le contexte scientifique et technique des Lumières

Ainsi, au XVIIIe siècle, des solutions « techniques » furent envisagées pour améliorer le ravitaillement en pain de munition des troupes en campagne, afin d’assurer la quantité, la qualité et la régularité des approvisionnements. La question préoccupait les états-majors, les généraux et l’administration militaire. En ce siècle des Lumières, elle préoccupait aussi les scientifiques, d’ailleurs souvent sollicités par les militaires.

En 1775, Louis XVI venait d’accéder au trône. Il recommanda au ministre de la Guerre, le maréchal de Muy, pour l’étude du pain de munition que l’on prétendait être nuisible à la santé du soldat, un membre de l’Académie des sciences qu’il connaissait et appréciait : Balthazar Georges Sage.

En 1796, le ministre de la Guerre, « désirant porter la fabrication du pain des troupes au degré de perfection dont elle est susceptible », sollicita l’Institut qui chargea Parmentier, d’Arcet et Cousin de présenter un rapport qui répondait à deux questions : « 1° le son conservé dans le pain, peut-il être nuisible à la santé des troupes ? 2° S’il est reconnu qu’on peut l’y admettre, dans quelle proportion peut-on l’y laisser ? ». Le rapport présentait « le moyen de rendre le pain des troupes plus salutaire, sans une augmentation considérable de dépense pour l’État ». Antoine Parmentier, connu comme promoteur de la pomme de terre, était un spécialiste de la question. Pharmacien militaire dans l’armée du Hanovre pendant la guerre de Sept ans, apothicaire à l’Hôtel des Invalides, il publia en 1778 Le Parfait boulanger, ou Traité complet sur la fabrication et le commerce du pain et, avec Cadet de Vaux, ancien pharmacien des Invalides, il améliora la qualité du pain distribué dans les hôpitaux, les prisons et les armées en imaginant une nouvelle méthode de panification.

Majoritairement, les auteurs s’accordaient pour dire que lorsqu’il était bien fait, le pain de munition était un bon aliment, bien adapté au soldat. Le pain de munition, « principale nourriture du soldat », paraît « contenir toutes les qualités propres à nourrir et à écarter pour un temps suffisant le sentiment d’un nouveau besoin » affirme Fodéré, docteur en médecine, en 1813. « Mais il est important, ajoute-t-il, que sa fabrication soit exactement surveillée ».

Dans son mémoire, Vauban, après avoir dénoncé les malfaçons du pain de munition, donnait six recommandations pour sa fabrication, parmi lesquelles figurait le contrôle de la pureté des farines et des principes élémentaires d’hygiène. Il faut, disait-il, « que le pain soit proprement boulangé. » Les travaux de Sage tendaient aussi à prouver que le pain de munition était sain : « Il est quelquefois sujet à moisir dans l’intérieur, mais il ne passe jamais à la putréfaction, et lorsqu’on a séparé le moisi, le pain n’est pas malsain. » Si le pain moisissait, c’est parce qu’il était mal cuit ou qu’il était trop vieux. Il était alors nuisible à la santé de l’homme. Furent alors envisagées des recommandations pour apporter des perfectionnements.

C’est principalement sur la qualité de la matière première, la farine, et sur la production de pain en campagne, que portaient les innovations.

Pour améliorer la qualité du pain, les chercheurs proposèrent des adaptations techniques. Ainsi, « le moulage », c’est-à-dire la fabrication de farine, pour pain de munition, devait être accompli avec « les meules fort rapprochées ou atterrées, à cause qu’on ne retranche point le son dans le pain de munition, et qu’on cherche à le pulvériser autant qu’il est possible ». Dans ce registre, furent également cherchées des solutions pour le matériel de fabrication du pain en campagne : les moulins et les fours.

« La guerre se fait ordinairement dans des pays habités ; et là où il y a des hommes il y a des grains pour les nourrir. C’est donc dans le moyen d’employer les grains dont les greniers sont remplis, que se trouve la solution de la question », écrit le maréchal Marmont, dans l’Esprit des institutions militaires. Pour lui, le seul moyen efficace d’assurer la subsistance régulière du soldat, c’était « de le charger lui-même d’y pourvoir d’après un mode déterminé ». C’est lorsqu’il commandait l’armée du Portugal, en 1811-1812, que Marmont fut confronté au problème. Il demanda à un armurier du 50e régiment de fabriquer un moulin portatif. Le moulin qu’il mit au point produisait trente livres de belle farine par heure.

Ces moulins qui accompagnaient les déplacements des soldats permirent de nourrir régulièrement son armée pendant six mois. Fut ainsi résolue la nécessité de ne pouvoir produire le pain que dans les lieux habités. L’éloignement ou l’insuffisance des moulins et des fours en certaines contrées reculées ne constituaient plus des obstacles. Marmont précisa plus tard les conditions que ces moulins devaient remplir, notamment d’être assez légers pour être portés par un soldat, pouvoir être mus par un seul homme et suffire aux besoins d’une compagnie. Après avoir obtenu la mouture, les soldats fabriquaient des fours « par une simple excavation ». Il fallait alors quatre heures pour réaliser un four et deux heures pour cuire le pain.

Pendant la campagne de Russie, Napoléon fit établir des manutentions de fours, construits en briques par des unités spécialisées de l’armée. Ségur raconte que « chaque jour il allait visiter les fours, goûter le pain, et s’assurer de la régularité de toutes les distributions ». À Vilna, il ordonna la construction de 36 fours. Le général du génie Haxo fit aussi construire un four de campagne en fer, four portatif qui donna du pain à ses sapeurs pendant toute la campagne. Le four était déplacé sur une voiture hippomobile.

Napoléon fit aussi envoyer à Moscou, par le ministre de la Guerre, des moulins portatifs, d’un poids de 18 livres, capables de moudre 30 ou 40 livres de farine par heure. Il en fut expédié de Paris 40 le 6 septembre 1812, 160 le 16 septembre et 290 le 5 octobre. Napoléon souhaitait que fût retenu l’un de ces moulins, à Vilna, « comme modèle » pour, à terme, en faire équiper chaque compagnie de l’armée. Cependant, quand les moulins arrivèrent à Smolensk, en même temps que l’armée revenait de Moscou, « déjà il n’y avait plus de bras pour les mouvoir, ni de soldats pour s’en servir ».

Si les revers subis en Russie en 1812 ne permirent pas à Napoléon de mettre à exécution son projet d’équipement de l’armée en moulins portatifs, et bien que le problème des vivres se posât avec acuité lors de cette campagne, mais aussi lors de celles de Pologne en 1807 et d’Espagne, la Grande armée bénéficia cependant des progrès induits par les recherches du XVIIIe siècle, notamment grâce au blutage des farines et à la réorganisation du service de la boulangerie en campagne.

Rapport inédit de Parmentier sur le pain des troupes, annoté par M. Poggiale. 1856 (page 30)

Cependant, depuis que l’art de moudre les grains et de bluter leurs farines s’est perfectionné, rarement les parties constituantes du froment sont employées ensemble. Les farines blanches sont employées à faire le pain mollet, demi-mollet, et de pâte ferme, selon la proportion d’eau et l’espèce de levain employé. Il porte le nom de pain bis-blanc ou de ménage quand on le compose de farine blanche et bise, de pain bis quand on y ajoute le remoulage, enfin, de pain de munition quand il résulte de tous les produits du grain. Ce dernier pain est le plus grossier, le plus compacte et le moins nourrissant de toutes les espèces de pain que nous venons de désigner. Il n’y a absolument que le soldat, quelquefois les indigents des campagnes, qui le consomment. Car, quoique le cultivateur se nourrisse généralement de pain bis, il a soin d’en extraire toujours une portion plus ou moins considérable de son pour la subsistance des bestiaux.

Le Guide du boulanger, indiquant les moyens à prendre pour bien fabriquer le pain de munition, et les économies que le boulanger peut apporter dans son travail, par S. Vaury. 1834. (pages 139, 140).

Note sur la présence du cuivre dans les céréales, la farine, le pain, pain de munitions. Galippe, Victor (1848).

Du Pain, des différents modes et systèmes employés pour sa fabrication, par le major Gratry. 1872

En Allemagne

 

Assiette décorative allemande de la Première Guerre mondiale, portant l’inscription « Besser ‚K‘ Brot als kaa Brot! » : Mieux vaut du pain de munition (Kommissbrot, ou Kriegsbrot, pain de guerre, abrégé en K Brot) que pas de pain du tout !.

En Angleterre

Le pain de munition fait 10 onces de moins qu’en France mais, par compensation, la ration de viande est plus élevée.

 

Références : Hugues Marquis, « Le pain de munition, « nerf de la guerre » des armées françaises en guerre (1588-1814) ».

Source Techniques, histoires et sciences humaines.

Sources documents BNF.

Notes wiki

Biographie : Pierre Larousse, Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle, 1874.

 

CPA 28 – Par Jean-Claude THIERRY

 

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