LES MOULINS DE MONTMARTRE
De tous les petits coteaux avoisinant l’emplacement de l’antique Lutèce, la butte Montmartre, située comme on le sait, sur la rive droite de la Seine, est la plus élevée. Son altitude atteint 128 mètres, tandis que la colline de Belleville ne dépasse pas, nous expliquent les géologues, une hauteur de 120 mètres.
Consacrée au dieu Mercure, sinon à Mars, la butte Montmartre aurait été couronnée, à l’époque gallo-romaine, de villas et probablement d’un temple. Selon la tradition, lieu où furent mis à mort saint Denis, évêque de Paris, dont seuls quelques mots de Grégoire de Tours révèlent l’existence, et, avec lui Rustique et Eleuthère, ses compagnons, mais en réalité peut-être seulement théâtre du supplice de quelques chrétiens moins illustres, la colline devint sacrée aux fidèles et fut désormais appelée par eux le Mont des Martyrs (Mons Martyrum).
Montmartre était autrefois couronné de nombreux moulins à vent:
– 9 agitaient leurs ailes à l’ouest : Le Moulin des Prés (villa Léandre), le Moulin de la Fontaine-Saint-Denis, le Moulin Vieux, le Moulin Neuf et la Grande-Tour (rue Lepic), le petit Moulin de la Poivrière, le Blute-Fin, le Radet et celui des Brouillards.
– 4 autres jalonnaient le tracé de l’actuelle rue Norvin : La Vieille, la Petite Tour et le moulin du Palais, le Radet était là avant son transfert.
– 2 encore à l’Est : La Turlure et le moulin de la Lancette.
Les moulins ne servaient pas uniquement à moudre le blé, ils servaient aussi à presser les vendanges ou concasser les matériaux nécessaires aux manufactures. Ils étaient aussi un but de promenade dominicale pour les parisiens.
De nos jours, de cette multitude de moulins subsistent deux rescapés : le Blute-Fin et le Radet qui avec les jardins et la ferme s’appelait, Moulin de la Galette.
– Le Radet a été construit en 1717. Dans les années 1760 il est entièrement reconstruit. En 1834, il est transformé en guinguette les dimanches et jours fériés et prend alors le nom de « Moulin de la Galette », victime du progrès (il n’était pas équipé d’ailes Berton) et de la concurrence.
Cette enseigne sera transférée vers son proche voisin Le Blute-Fin. Une association « Les Amis du Vieux Montmartre » le sauve de la destruction en 1915.
En 1924, son propriétaire le déplace à l’angle des rues Girardon et Lepic, et il est restauré en 1978, mais ne tourne pas.
En octobre 2001, Mr Marcel Charron, charpentier-amoulangeur, est chargé de la rénovation des ailes, il accomplira son travail en 4 jours.
– Le moulin de la galette est en réalité constitué de deux moulins : le « Blute-fin » et le « Radet ».
Le nom de « moulin de la galette » est mentionné pour la première fois en 1622 sous le nom de « moulin du palais ». La famille Debray acquiert les deux moulins en 1809 et y produit de la farine.
Le moulin Radet au coin de la rue Lepic.
– Le Blute-Fin construit en 1622, a souvent été retapé. Il se trouve actuellement au sein d’une propriété privée.
En le visitant, on a l’agréable surprise de constater qu’il n’est pas en trop mauvais état et que les pièces importantes du mécanisme, dont les meules existent toujours. Nicolas-Charles Debray, propriétaire du moulin Blute-Fin, y ajouta une guinguette et un bal et baptisa le tout « Moulin de la Galette » en 1870.
Le nom de « Blute-fin » vient du verbe « bluter » qui signifie tamiser la farine pour la séparer du son.
Le moulin Blute-Fin surplombant la Rue Lepic.
La Galette était ce petit pain de seigle que les meuniers Debray débitaient, accompagné d’un verre de lait, aux amateurs de pittoresque.
Miracle Montmartrois, ces habiles commerçants transformèrent vers 1830 le lait en vin et leur moulin en cabaret.
Qui n’a escaladé la célèbre Butte pour aller « gambiller » au Moulin ?
En 1810, Montmartre compte 16 bals autorisés, pouvant annoncer leur ouverture, et quantité d’autres bals ou guinguettes. Ils ouvrent les dimanches, lundis et jours fériés. La polka est toujours dansée mais le quadrille, le chahut puis le cancan et plus tard le french-cancan vont prendre de l’importance.
Montmartre et Paris sont alors deux communes séparées par le mur des Fermiers généraux. Montmartre compte 636 habitants en 1806, et la clientèle vient surtout de Paris. La Butte est un coin de campagne plaisant et ombragé, avec des vignes et de nombreuses sources.
Une salle construite, après avoir servi de Music-hall, puis de salle d’émissions publiques, de radio et de télévision, est fermée en 1966, elle devint studio de l’ORTF et disparut avec elle.
La photographie la plus ancienne de ces moulins, datée de 1839 par Hippolyte Bayard.
Moulin Radet et du Blute-fin en 1840
« La colline qui vers le pôle,
Borne nos fertiles marais,
Occupe les enfants d’Eole
A broyer les dons de Cérès »
Le poète Le Brun.
La création de la rue Lepic permet d’accéder plus facilement au haut de la Butte en évitant d’emprunter les chemins boueux très mal entretenus. La population augmente passant en 1861 à 57 000 habitants, en grande partie chassés de la ville suite aux travaux du baron Haussmann.
1841 par Hippolyte Bayard
La Révolution passée, il ne restait plus sur la butte qu’une dizaine de moulins. Avec la Restauration, d’autres disparurent. On n’en comptait guère plus que trois en 1857. « Qu’ils sont jolis, les trois moulins. Que l’on voit de ma fenêtre… » chantait le peintre et écrivain Auguste de Châtillon, domicilié rue des Tilleuls.
Ces moulins sont aussi des points de vue imprenables sur Paris, durant la campagne de 1870, le 30 novembre, Mr Bazin, dont les appareils électriques avaient été installés dans le moulin, éclaira de la butte, le pont de Bezons, situé à une distance de plus de 8 kilomètres.
Fragment d’histoire par Roger-Armand Weigert dans le Larousse mensuel d’octobre 1933 :
» Fièrement campé au sommet d’une éminence, tapissé de frais lilas, le Blute-fin ne saurait évoquer que de riantes et paisibles images. Pourtant une sombre et héroïque tragédie s’y déroula. C’était le 30 mars 1814, le jour de la capitulation de Paris. La défense de la colline de Montmartre, qui constituait au nord une des clefs de la capitale, avait été insuffisamment préparée. Seuls étaient réunis, afin de garder cet important point stratégique, deux cents gardes nationaux et un bataillon de sapeurs-pompiers. Pour toute artillerie, ils disposaient de sept canons et de trois pièces de réserve. Au cours de la matinée, le frère de l’Empereur, le roi Joseph, dont le quartier général se trouvait au Château-Rouge, passa les gardes nationaux en revue ; exhortant ces canonniers improvisés à la résistance, il les assura que Napoléon se trouvait à la porte de la Villette et se préparait à marcher à leur secours. En réalité, l’Empereur luttait péniblement contre les Alliés en Champagne, et ce furent les Prussiens qui parurent, puis des cosaques. Dans la soirée, vers quatre heures, l’infanterie russe commença à gravir, au pas de charge, les hauteurs de Montmartre. Parmi les plus acharnés défenseurs de la butte se trouvaient les quatre frères Debray.
Durant la résistance opposée aux assaillants, trois tombent et sont laissés pour morts. Leur aîné, Pierre-CharlesDebray, accompagné de son fils, est impatient de les venger. Malgré l’ordre : « Cessez le feu », voyant s’avancer une nouvelle colonne ennemie, il lâche contre elle deux bordées de mitraille. Les cosaques exaspérés, enlevèrent la batterie à l’assaut. « Qui a ordonné le feu ? Questionne impérativement un officier. — Personne ne répond. — Si le coupable ne se dénonce pas, les prisonniers seront fusillés. » Debray, poursuit de vive voix son arrière-petit-fils qui a bien voulu nous faire cet émouvant récit, sort du groupe formé par ses compagnons, va se poster devant le Russe et, devançant son geste, le tue. Massacré sur-le-champ, son corps fut barbarement rompu et les sanglants débris attachés aux ailes du moulin. La nuit suivante, surmontant son atroce douleur, sa femme, pieusement, vint recueillir les restes du brave, dans un sac à farine et s’employa à lui donner une sépulture honorable. Il fut enseveli dans le petit cimetière contigu à l’église Saint-Pierre.
Sa tombe, surmontée d’un minuscule moulin de bronze, dont le socle est fait d’un boulet, porte l’inscription suivante : « Ci-gît Pierre-Charles Debray, meunier-propriétaire à Montmartre, décédé le 30 mars 1814, tué par l’ennemi sur la butte de son moulin. » Une plaque commémorative, apposée en 1914 sur le Blute-fin, par les soins de la Société du Vieux-Montmartre, associe au souvenir de Pierre-Charles Debray « tous les défenseurs de la butte qui… sacrifièrent leur vie en combattant les envahisseurs ». Quant au fils de Pierre-Charles, pourchassé à l’intérieur du moulin, il fut cloué d’un coup de lance à l’arbre de couche. Par miracle, il survécut à son horrible blessure. L’estomac lésé, durant les trente ans qui lui restaient à vivre, il ne pourra s’alimenter qu’en buvant du lait.
Cet excellent homme n’avait qu’une passion, la danse. Son travail quotidien achevé, il se plaisait à réunir jeunes gens et jeunes filles du village de Montmartre et à les initier bénévolement à la science complexe « des jetés-battus et des entrechats », qui, pour lui, étaient sans mystère. Jamais professeur n’eut d’élèves plus attentifs et plus avides de s’instruire et un beau jour, le moulin tournant presque à vide, le petit père Debray, dit Georges Caïn, « de meunier se fit traiteur ».
Sous la protection des grandes ailes, qui ne tournaient plus que pour concasser des graines destinées à la parfumerie, les grisettes et leurs compagnons, vinrent gaillardement sauter aux sons aigres des crincrins et manger avec mille délices, toute chaude à sa sortie du four, la bonne galette croustillante et habillée d’or roux. C’est ainsi que le bal devint, selon René Ponsart,
Cet endroit où, j’en réponds,
Il se fripe plus de jupons
Qu’il ne se blute de farine.
Durant la guerre, le moulin de la Galette fut changé en atelier de camouflage pour l’armée américaine. L’armistice signé, il fit sa réouverture le 17 mai 1919 et l’on devait prendre bientôt la charmante habitude d’y convier les midinettes à la Sainte-Catherine. La construction d’une seconde salle, après 1925, absorba ce qui demeurait du jardin. Quant au moulin dit le Radet, lequel, selon ce qu’il est raconté, serait venu de la butte Saint-Roch, sous le règne de Louis XIII, après avoir primitivement figuré à l’angle actuel de la rue de l’Abreuvoir et de la rue Girardon, jadis chemin des Brouillards, il fut amené, en glissant sur des rails de bois, à l’angle de la rue Girardon et de la rue Lepic. Il occupe ce dernier emplacement depuis 1836 et, à l’heure actuelle, domine les récents agrandissements sur lesquels on l’a remonté. »
Laurent Bonneau Normand la Fidélité C.B.R.F.A.D.
merci pour ce lien , ce travail , ce partage , merci pour les photos qui invitent au voyage !
dominique
Extraordinaire article et encore plus extraordinaires photographies!!!!
Merci Normand la fidelite! Par trois fois merci!!
C’est un veritable regal!!! 🙂
PLFCPRFAD