Le port des couleurs

Le port des couleurs est codifié pour toutes les sociétés compagnonniques.

Dans la noblesse du compagnonnage, les charpentiers, les couvreurs, les plâtriers, les tanneurs et les tailleurs de pierre du Devoir placent les couleurs le plus haut possible, c’est-à-dire au chapeau.

Le port en sautoir se rencontre chez les tailleurs de pierre étrangers et le port à la boutonnière dans une grande majorité des compagnonnages du Devoir.

Le port à la boutonnière est généralement codifié de façon très simple, le principe étant, je suis reconnu comme un ancien compagnonnage, je porte donc mes couleurs à la première boutonnière du haut de l’habit, le compagnonnage que je parraine portera, lui, ses couleurs à la seconde boutonnière, et si ce compagnonnage que j’ai parrainé, parraine à son tour un autre compagnonnage, ce dernier portera ses couleurs à la troisième boutonnière.

À partir de 1842, les compagnons boulangers peuvent se procurer les couleurs gaufrées dites de Sainte-Baume par le biais des compagnons tisseurs-ferrandiniers du Devoir, j’écris « dites », car ce sont des reproductions fabriquées par ce compagnonnage.

En 1847, les compagnons boulangers, à la demande des corps d’état du Devoir dont ils espèrent une reconnaissance, mais qui les mettent à l’épreuve, acceptent de ne plus porter leurs couleurs.

Mais gare aux réfractaires ! Cette année-là, la Cayenne de Nîmes exclut six mois Charles Borgne, Languedoc le Triomphant, pour s’être promené pendant plusieurs jours dans la ville d’Alias avec tous les insignes du compagnonnage et chanté des chansons contre les corps d’état en leur présence chez notre Mère, malgré la promesse faites par les compagnons boulangers en assemble générale des corps d’état en janvier 1847.

Un autre endroit où il ne fait pas bon se « promener » avec ses couleurs est la maison close, en effet, un article du règlement mis en application en 1892 (mais très certainement antérieur de plusieurs décennies) nous indique que :  » Tout compagnon reconnu avoir été dans des maisons de tolérance, prostitution, avec canne, couleurs et insignes aux oreilles, sera exclu un an hors de chambre et payera 10 francs d’amende. « 

Au milieu du XIXe siècle, une règle concernant le port des couleurs existe également pour les défunts. En cas de mort par blessures, ils sont revêtus dans leur cercueil d’une couleur rouge (le sang) : Si la mort est consécutive à des coups, ils sont revêtus d’une couleur bleue (celle des hématomes), et si c’est à la suite d’une maladie, ils sont vêtus d’une couleur jaune (la peau malade).

Les compagnons boulangers portent aussi leurs couleurs de façon particulière pour des activités spécifiques : Les couleurs attachées au bras gauche, lors des invitations aux assemblées générales, toutes les couleurs en écharpe pour le remerciement, et de façon surprenante, au chapeau pour le rouleur lors de réceptions de Mères attestées dans différents règlements et catéchismes en 1866 et 1870.

(Le port au chapeau était une particularité des charpentiers, couvreurs, plâtriers, tailleurs de pierre, tanneurs-corroyeurs du Devoir (et cordiers aux enterrements).

Les couleurs ornementales

Si les couleurs ont pour fonction principale d’être portées d’une manière ou d’une autre par les compagnons, elles ont un second rôle, celui de sacraliser compagnonniquement les objets avec lesquelles elles sont en contact. Cest le cas pour :

  • Les couleurs venant orner la pyramide de brioches à bénir le jour de la Saint-Honoré ;
  • Les quatre couleurs attachées à la couronne de laurier lors de la réception d’une Mère (1866) ;
  • Les couleurs accrochées au mur de la salle à manger chez la Mère les jours de fête ;
  • Les couleurs déposées sur le cercueil d’un défunt.

Les couleurs de Saint-Maximin

Ces couleurs que je qualifie de Saint-Maximin par opposition aux couleurs de Sainte-Baume où n’apparaît pas de symbole compagnonnique ont été créées vers 1865. En effet, dans un courrier de la direction générale du Tour de France des compagnons boulangers du Devoir à Paris, en date du 5 octobre 1867, adressé à l’ensemble des compagnons boulangers, nous relevons ceci :

« Nous portons également à votre connaissance que quand vous désirerez des couleurs officielles de Sainte-Baume, au lieu de vous adresser au frère Limousin Bon Courage (Entraygues), chaque frère pourra les prendre soit en voyage, ou les Cayennes s’adresser directement.

Les couleurs grandes, dessin nouveau ou ancien, coûtent 6 francs l’une ; et les petites 3 francs l’une ; longueur 1 mètre 80 avec les cachets au bout; le montant doit être envoyé franco en un mandat sur la poste, et l’on reçoit franco également par la même voie.

Lettre de Pierre Audebaud datée du 12 novembre 1897, accompagnant un lot de couleurs commandées.

 

Voici l’adresse : À monsieur Audebaud, fabricant de meubles, dit Saintonge la Fidélité, compagnon tourneur, Père des compagnons à Saint-Maximin. »

Le dessin ancien est celui des couleurs, que nous avons présenté dans le paragraphe précédent, le dessin nouveau étant celui des couleurs de Saint-Maximin.

Ces couleurs seront utilisées par les compagnons boulangers du Devoir jusqu’en 1947.

Le dernier compagnon à recevoir ces couleurs sera Pierre Belloc, Bordelais l’Inviolable, reçu à la Saint-Honoré en 1947 à Tours.

Nous constatons une évolution dans le contenu du gaufrage, tout en gardant une continuité dans la tradition. Les couleurs dites de la Sainte-Baume possédaient six différentes gravures, celle de Saint-Maximin cinq autres.

Ont été supprimés :

Les deux corbeilles de fruits et de fleurs, dont la signification et le symbolisme ne sont pas très faciles à comprendre au premier regard des hommes de notre époque ; ainsi que le vase faisant directement référence au Christ par les lettres IHS.

Sont conservées :

La représentation de Marie-Madeleine devant le Christ en jardinier, accompagnée de l’inscription « Noli me tangere », ainsi que celle de Marie-Madeleine dans la grotte, en prière devant un crâne, un livre et une croix.

Trois nouvelles gravures apparaissent :

Un chien marchant au milieu d’un feuillage d’acacia, sous lequel une main apparaît, encadrée de deux vertus, Amitié et Fidélité.

Le chien, symbole du compagnon du Devoir et de fidélité, est à la recherche du corps de son Maître, ici Hiram, qui, selon l’une des nombreuses légendes, est l’architecte du temple de Salomon.

Il fut agressé et assassiné par trois compagnons, postés individuellement à chaque porte du temple.

À la dernière est porté le coup fatal. Les assassins voulaient connaître le « mot de Maître ».

Hiram fut rapidement enseveli par ses meurtriers, et ils plantèrent une branche d’acacia sur le lieu.

Sur ordre de Salomon, les compagnons partirent à la recherche de leur Maître qui avait disparu, représenté ici par le chien, trouvèrent de la terre fraîchement remuée, prirent cette branche d’acacia et tirèrent dessus, et quelle ne fut pas leur surprise de voir qu’elle n’était point enracinée.

Ils creusèrent et trouvèrent le corps de leur Maître.

L’acacia est le symbole de l’immortalité et de la résurrection.

Il est à noter que le véritable acacia est le mimosa, et non le robinier commun, mimosa qui rappelle fortement et étrangement le bouquet d’immortelles jaunes que les compagnons boulangers portent à la boutonnière lors de certaines cérémonies.

Souvent les compagnons du Devoir ont emprunté ce passage de la découverte du corps d’Hiram, en le remplaçant par celui de Maître Jacques.

Identique aux couleurs de la Sainte-Baume, l’arbre mort aux jeunes pousses a disparu.

L’église de la Madeleine à Paris, encadrée de Sciences et Arts et Union et Concorde, et fleurie de très petites roses.

Nous retrouvons le symbolisme de la rose, mais beaucoup plus discret.

La chapelle du Saint Pilon apparaît en profondeur et en hauteur.

À la base, la banderole Souvenir de Provence, Ste Baume, St Maximin rappelle la tradition du voyage en Provence.

Une équerre et un compas superposés, le compas sur l’équerre, et en son centre un œil rayonnant, entouré d’une couronne de chêne et d’olivier, à laquelle sont suspendues deux cannes enrubannées et croisées, première apparition des attributs compagnonniques.

 

L’œil rayonnant représente « Le grand architecte » ou plus simplement encore la conscience (En référence au passage de la Bible sur Abel et Cain.)

L’olivier est le symbole de la paix, le chêne celui de la force et la couronne de la victoire.

Le compas sert à mesurer les proportions, enseigne que le monde n’est pas un quelconque chaos, mais un univers harmonieux.

Il existe entre les dimensions de toutes les choses de la nature, arbres, fleurs, animaux de la terre ou de la mer, roches et minéraux, des proportions qui satisfont l’œil, le cœur et l’esprit, peut-être simplement parce que, étant nous-mêmes aussi l’œuvre de la nature, nous sommes en résonance et en harmonie avec l’œuvre entière.

Le compas invite le compagnon à respecter en toutes choses les justes proportions, que ce soit dans le domaine de l’art ou dans celui des mœurs.

Une grande majorité, voire l’ensemble des compagnons du XXI siècle naissant, prétend que les deux éléments du principal symbole du Compagnonnage, l’équerre et le compas, se présentent toujours entrelacés et superposés.

Ce serait donc un symbole maçonnique.

C’est absolument faux.

Nous trouvons ces outils superposés chez les tailleurs de pierre du XVIII° siècle.

C’est aussi le cas pour ce qui nous concerne.

En effet, de 1820 à 1840 on observe l’équerre superposée au compas dans le blason des compagnons boulangers.

 

Présentons succinctement les différentes positions utilisées en Franc-maçonnerie :

– L’équerre sur le compas :

Grade d’apprenti, symbolise la supériorité de la matière sur l’esprit ;

L’équerre et le compas entrelacés :

Grade de compagnon, l’harmonie entre l’esprit et la matière, état indispensable pour réaliser le « chef-d’œuvre » ;

Le compas sur l’équerre, grade de maître, l’esprit domine la matière, et libéré de ses contraintes, peut se consacrer pleinement à son élévation.

L’on peut remarquer que le symbolisme du grade de compagnon correspond à l’état de compagnon du Tour de France.

C’est sûrement la raison pour laquelle la position entrelacée se généralisa, cela sans qu’aucune décision officielle ne soit prise à cet effet.

En 1995, les compagnons boulangers et pâtissiers de la Cayenne de Tours, décident de faire fabriquer de nouveaux rouleaux à gaufrer les couleurs de Saint-Maximin, afin de pallier le manque de couleurs de fonction, premier en ville, second en ville, et rouleur.

Un petit changement est opéré concernant le croisement de l’équerre et du compas.

En effet, alors que sur les couleurs d’origine le compas chevauche l’équerre, désormais l’équerre et le compas sont entrecroisés.

 

Un fait amusant en voulant faire disparaître un symbole suspecté d’être maçonnique, celui-ci fut remplacé par un autre ayant la même connotation, car l’équerre et le compas entrelacés sont reconnus en franc-maçonnerie comme le symbole du compagnon.

À ce sujet, il est intéressant de savoir que contrairement à une idée répandue aujourd’hui en Franc-maçonnerie, la position différente du compas et de l’équerre aux trois grades d’apprenti, compagnon et maître, s’est imposée assez tardivement, durant la seconde moitié du XIX° siècle.

Les rituels du XIX* siècle ne parlent en effet que d’une équerre et d’un compas disposés sur l’autel, avec la Bible et parfois un glaive et un maillet.

 

Extrait du livre :

« Le Pain des Compagnons » L’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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