Hommage aux Maîtres du Pain

« Ce texte, je le dédie à mon père et à ma mère, qui m’ont appris à respecter le pain qu’ils fabriquaient avec la farine du blé qu’ils produisaient… Cet hommage s’adresse à ceux qui ont peu de moyens mécaniques, mais beaucoup de savoir faire. Ceux-là, je les appellerai les maîtres du pain.

Car le maitre du pain, lui, il sait, qu’au départ, c’est une petite graine, que l’agriculteur met dans la terre, cette petite graine, le blé, les pluies de l’automne vont la faire germer, l’hiver la protègera de son manteau neigeux, le printemps la fera pousser et se multiplier, le soleil de l’été la fera murir, lui donnera cette couleur d’or.

Durant sa courte vie, le blé aura su protéger dans la chaleur de ses bras, la couvée de la caille et de la perdrix qu’il aura nourrie, il aura vu la hase mettre bas, guidé les premiers sauts de ses levrauts et quelques fois par les nuits sans lune, il aura su résister l’assaut ravageur de la harde de sangliers. Tout cela, le maître du pain le sait.

C’est à grands coups de faucille que le moissonneur le détachera de ses racines, il l’emportera serré en gerbes jusqu’à l’aire, pour y être foulé, décortiqué, c’est le tarare qui le débarrassera de la poussière et le séparera des mauvaises graines.

Ensuite, après s’être baigné dans l’eau de la fontaine, près de la chapelle, s’être fait sécher au soleil, étendu sur de grands draps de toile de jute, c’est sans hésiter qu’il ira se jeter sous les pierres du meunier pour y être broyé, jusqu’à ce que jaillisse de son corps la matière, la farine. Tout cela, voyez-vous, le maître du pain le sait.

Aussi quand le meunier la livrera dans sa robe blanche… Je dirais comme une mariée, c’est sur le pas de la porte du fournil. Que le maitre du pain l’accueillera. Il la prendra dans ses bras, la transportera jusqu’au pétrin, il la posera, il la découvrira, la caressera du regard, il plongera ses deux mains dedans, il la portera à ses marines pour sentir son odeur. Puis, il la laissera filer entre ses doigts.

Pour apprécier sa souplesse, sa finesse. Ensuite, il l’étalera au fond du pétrin. Et mettra de l’eau, du sel, du levain préparé la veille. Et il mélangera le tout pour obtenir une pâte qu’il brassera avec tant de force, tant d’énergie que ça lui donnera l’envie de gonfler et de dominer naissance à une multitude de petits pains que l’on appellera fougasse, boule, coulomp, michette.

Et tout ce petit monde s’en ira s’aligner en rangs serres dans le four chauffé à blanc par le bois de nos forêts, où il s’imprégnera de ses senteurs, et ses senteurs mélangées, à la transpiration de la pâte.

Ils nous donneront un parfum qui inondera le fournil, s’échappera par l’entrebâillement de la porte, envahira le village, grimpera jusqu’à la fenêtre de notre chambre, restée ouverte dans la chaleur de l’été, nous donnera l’envie de sauter du lit, de courir jusqu’ la boulangerie pour y acheter le pain tiède et croustillant.

Et si d’aventure nos pas nous mènent sous la fenêtre de la chambre du boulanger, essayons de ne pas faire de bruit pour ne pas troubler son repos, pour qu’il puisse encore et encore nous régaler. »

Antoine Guibert, le maçon qui se révélait poète à Entrevaux. Il fait partie des figures de la cité médiévale. À 76 ans, il travaille encore aujourd’hui à l’embellissement de sa maison plantée au beau milieu d’un champ d’oliviers, en bordure de la route qui relie Entrevaux à Annot.

Envoyer un commentaire concernant : "Hommage aux Maîtres du Pain"