« Contrairement aux espoirs qu’elle avait pu susciter, la Libération n’a pas marqué une rupture fondamentale sur le plan de la vie quotidienne : les mesures de contraintes et de restrictions économiques allaient subsister pendant plusieurs années encore. En gage de bonne volonté, le gouvernement avait certes quelque peu relevé le taux des rations au moment de la Libération, mais ces gestes ne furent pas durables en raison de la conjoncture et, très vite, le rationnement, dont on pensait fêter la disparition prochaine, dut être renforcé.
Pour de nombreux produits alimentaires, les rations officielles apparaissaient même inférieures en 1945 par rapport à la période de l’Occupation. Dans ces conditions, le marché noir et les trafics divers continuèrent eux aussi de prospérer après la Libération. Les trafics de faux tickets furent notamment particulièrement actifs au cours de l’année 1945. Des imprimeries clandestines éditaient plusieurs milliers de faux tickets que des trafiquants écoulaient ensuite sur les marchés des grandes villes. L’un des faussaires les plus célèbres, André Loiseau, dit Dédé la Boulange, spécialisé dans les bons de farine, fabriqua ainsi avec quelques complices près d’un million de faux tickets dans une chambre d’hôtel.
1948 : « – Dédé la Boulange joue sa tête devant les assises pour une affaire de faux tickets de rationnement, dans le box des accusés L’imprimeur Eugene Petit, André Loiseau, le chef de la bande, Emile Pageon, George Guerin et Henri Haneuse. »
Pour tenter de calmer une opinion particulièrement critique à l’égard du maintien du rationnement, les pouvoirs publics décidèrent parfois de manière trop précoce un retour à la liberté pour certains produits. Ce fut le cas notamment lorsque le ministre du Ravitaillement Christian Pineau annonça en août 1945, en pleine campagne électorale, la suppression de la carte de pain à partir du 1er novembre 1945. L’opinion accueillit cette mesure avec une grande satisfaction mais l’opération fut un fiasco total. L’expérience du retour à la liberté pour le pain dura moins de deux mois et la carte de pain fut rétablie le 28 décembre 1945. Il fallut même baisser la ration de pain à 300 grammes, soit à un niveau inférieur par rapport à la période précédent l’expérience de mise en vente libre. Cette « fausse manoeuvre » fut mal comprise par l’opinion, persuadée que « le gouvernement ne tenait pas ses promesses » et déclencha d’importantes protestations dans toute la France. »
Fabrice Grenard (INA Jalons version découverte)