Centenaire 1811-1911

CENTENAIRE 1811-1911 :

L’année 1911 marque le centenaire de la fondation des compagnons boulangers du Devoir.

TROYES, 21 MAI 1911, BANQUET DE LA SAINT-HONORÉ

Compte-rendu publié dans les pages du journal Le Ralliement des Compagnons du Devoir, le 15 juin 1911.

« À l’occasion du centenaire de leur admission en cette qualité, les compagnons boulangers de la ville de Troyes, ont donné, le 21 mai dernier, leur banquet annuel auquel était convié un certain nombre de membres d’autres corporations, notamment des cordiers, des maréchaux, des vanniers, des charpentiers, des serruriers, etc.

À 2 heures, après l’accomplissement du labeur quotidien, les aspirants et compagnons boulangers se sont réunis à l’Hôtel de la Renaissance, chez Monsieur Gérard-Daillant, le père des boulangers, qui, dans deux de ses salles, avait dressé des tables autour desquelles ont pris place les aspirants et les compagnons.

Ceint de son écharpe rouge, enjolivée d’inscriptions et de broderies d’or, le compagnon Chardin, chevalier de l’Ordre de Jacques et Soubise, reçoit les invités, parmi lesquels une délégation de sept membres des Compagnons réunis de Montereau, conduite par Monsieur Canal, compagnon cordier de cette même ville.

À la table d’honneur, à côté de Madame Gérard, la nouvelle Mère des compagnons boulangers, avaient pris place les compagnons Schmidt, Premier en ville, Jules Bertrand, Second en ville (fonctions équivalant respectivement à celles de président et de vice-président), Chardin, rouleur ou secrétaire, président de la société de secours mutuels et de retraite des compagnons du Devoir, Jean Eugène, compagnon maréchal, trésorier du Ralliement, Monsieur Coppel Devillard, président de la chambre syndicale de la boulangerie, et plusieurs dames de compagnons etc.

Au menu savamment préparé, et tout simplement délicieux, auquel tous les convives firent beaucoup honneur. Il était tard lorsque l’on se mit à table, et Madame Gérard put constater, par l’accueil qui fut fait à chaque plat et en particulier aux vins fins, que chacun était satisfait du traitement du restaurateur. Au champagne, le compagnon Schmidt, Premier en ville, a prononcé le discours suivant qui fut très applaudi :

Mesdames, Messieurs, Chers Compagnons et Aspirants,

Mes premières paroles seront d’abord pour vous remercier de l’empressement que vous avez mis à accepter notre modeste invitation, à venir, vous Mesdames, nous apporter la grâce et le charme de vos attraits qui rehaussent nos fêtes et vous, Messieurs et chers compagnons, nous montrer aussi par votre présence, que votre pensée n’a pas oublié que nous, compagnons boulangers, fêtions aujourd’hui notre centenaire.

C’est en 1811 que les boulangers ont été reçus compagnons par les compagnons doleurs. Pendant longtemps nous avons été en lutte avec les autres corporations qui ne voulaient pas nous reconnaître comme compagnons. Depuis longtemps déjà, des compagnons dévoués, semant les idées d’alliance et de fraternité dans tous les corps d’état, préparaient le terrain de l’entente, et à un moment donné, les premiers groupements finirent par reconnaître que nous pouvions exister comme compagnons.

Depuis quelques années, les idées de Mutualité se sont réalisées. Toutes les corporations fraternisent ensemble et notre fête de ce jour en est le précieux témoin.

Nous sommes donc heureux de constater l’accord qui existe dans nos diverses corporations qui ont l’avantage de grouper patrons et ouvriers. Nous continuons nos traditions de mutualistes, et nous pouvons même revendiquer le titre de premiers mutualistes et de précurseurs du progrès, la fondation de nos sociétés datant de l’an 558, date reconnue exacte au congrès de Lyon, le 18 mai 1807.

C’est donc pour nous une joie sincère de voir que l’Union est durable parmi nos corporations et de voir autour de cette table plusieurs compagnons de métiers différents, venus nous apporter leur entière et affectueuse sympathie.

Je remercie les délégués compagnons de Montereau d’être venus nous apporter les marques les plus sincères de vraie fraternité et de leur amour pour le Devoir, toujours plus unis. Cette marque de profonde estime à notre égard sera précieusement gardée dans nos mémoires et nous rappellera que la vraie fraternité n’est pas un vain mot.

Des circonstances malheureuses nous avaient laissé depuis longtemps une place vide dans nos banquets, notre Mère n’existait plus. Notre Frère Gérard ayant pris une nouvelle compagne, nous avons le bonheur cette année de voir la place réservée occupée par notre nouvelle Mère à qui nous adressons l’assurance de nos sentiments les plus affectueux. Honneur et Gloire à notre nouvelle Mère.

Je termine en remerciant de nouveau les dames, épouses de compagnons, d’avoir assisté à nos fêtes. Si dans la vie elles partagent nos joies comme nos peines, il est juste qu’aux heures de plaisir elles soient des nôtres.

Merci à vous, Messieurs les patrons de la boulangerie, d’êtres venus aussi nous apporter votre bonne cordialité. Nous espérons que nos bonnes relations continueront et vous pourrez toujours compter sur notre entier dévouement.

À vous, chers Compagnons de Montereau, merci de votre présence parmi nous. L’accueil si cordial, si fraternel, que vous nous avez donné à notre dernière visite, montre bien l’intimité sincère qui réunit nos cœurs mutualistes.

Je lève mon verre à la santé et à l’union de tous les compagnons et aspirants, à la santé de nos invités, à la presse à qui nous ne nous adressons jamais en vain. À tous, merci.

J’oubliais de vos présenter les nouveaux reçus :

Chardin Raoul, Champagne l’Ami du Progrès et Naudin Émile, Bourguignon la Fierté du Devoir.

Ils ont promis de toujours soutenir hauts et fermes les principes du compagnonnage. »

La parole est ensuite donnée à Monsieur Coppel-Devillard, qui s’exprime en ces termes :

« Mesdames, Messieurs,

Au nom du syndicat de la boulangerie de l’Aube, je remercie bien vivement les membres du conseil d’administration de votre belle société de leur gracieuse invitation et surtout de l’accueil si chaleureux qu’ils nous réservent, à mes col- lègues, et à moi, chaque fois que nous nous trouvons réunis à l’occasion de la Saint-Honoré.

Aujourd’hui, mes chers amis, vous fêtez non seulement le patron des boulangers, mais aussi la bienvenue de la digne compagne de votre Père dévoué, en ce centenaire de l’existence de votre société. C’est à cette double circonstance sans doute qu’est due la présence de vos charmantes dames, dont l’attrait et la grâce rehaussent l’éclat de ce joyeux banquet. Je vous félicite de cette heureuse innovation et forme des vœux afin que vous n’attendiez pas le deuxième centenaire pour y convier vos aimables compagnes qui sont très bien à leur place ici pour apprendre à mieux se connaître, à s’aimer, et à s’entraider comme vous le faites entre vous en restant toujours fidèles à votre noble devise : « Respect au Devoir, honneur et gloire au travail ».

Si j’aime à venir au milieu de vous, c’est non seulement pour vous témoigner toute ma sympathie, mais aussi pour rendre hommage à ces vertus qui vous honorent et que les anciens lèguent avec un soin jaloux aux jeunes ouvriers.

Chez vous le premier devoir est de songer aux autres, c’est un commerce d’office mutuel où le plus honnête y met davantage en songeant au bonheur de ceux qui vous entourent… Selon la loi orale qui parle à tous les hommes épris de justice, vous ne faites pas de distinction de parti ou de culte parce que vous possédez au plus haut degré ce vif sentiment du bien et du respect. Avec vos patrons, vous entretenez des rapports de cordialité qui produisent les effets les plus heureux parce que vous restez fidèlement soumis à cette discipline paternelle infiniment liée à l’existence même de votre société, et qui ne s’est jamais ralentie depuis sa fondation.

Toujours vous chantez les refrains de vos poètes dont la lyre tantôt en liesse, tantôt en deuil, fait battre nos cœurs à l’unisson et nous rappelle que l’obligation du travail et la nécessité de la mort tiennent le même rang dans la nature. S’il n’en tenait qu’à moi, je souhaiterais que les membres de notre chambre syndicale se réunissent fréquemment avec vous, non seulement dans de belles circonstances comme celle d’aujourd’hui, la panification pourrait en souffrir, mais dans des réunions amicales où nous étudierions ensemble tant de ques- tions dont la solution pourrait servir utilement l’intérêt des uns et des autres. Protégé par les lois sociales, l’ouvrier d’aujourd’hui n’est plus celui d’hier, et j’avoue que les difficultés sont nombreuses pour les patrons qui, malgré leur bon vouloir, sont souvent impuissants à en assurer le respect et l’application.

Vous savez comme moi, mes chers amis, que la boulangerie peut être assimilée à un grand service public qui ne prête à aucune interruption sans porter at- teinte aux légitimes nécessités de la clientèle, et que le jour où l’ouvrier qui fait le roulement ne se rend pas à son poste, le patron est bien embarrassé si ce jour-là on lui répond : « Je ne travaille pas, c’est le repos hebdomadaire ».

Tenant compte de la responsabilité et du devoir qui m’incombaient, j’ai préconisé les trois modes d’application prévues dans la loi, afin de ne pas porter atteinte à la liberté de chacun et aussi parce qu’il est impossible, avec la pénurie d’ouvriers qui existe de mai à octobre de l’observer par le roulement.

J’avoue que le résultat n’a pas été brillant, qu’à l’impossible nul n’est tenu et qu’il est profondément triste de voir, comme en ces temps derniers, d’honorables collègues aller coudoyer des escarpes, des femmes de mauvaise vie devant le tribunal de police, pour s’entendre infliger des condamnations proportionnées à la guigne de celui qui les récolte. Car vous n’ignorez pas que si tous les boulangers qui ne peuvent pas observer la loi pour des causes différentes récoltaient des contraventions, il faudrait démolir toutes les cloisons de l’Hôtel de Ville pour agrandir la salle du tribunal de simple police.

J’ai donc le devoir de vous prier, mes chers amis, de faciliter, autant que vous le pourrez, la tâche de vos patrons et de réprouver avec moi tout ce qui pourrait être tenté pour leur créer des difficultés qui les découragent et les démoralisent.

Dans cet espoir je lève mon verre en l’honneur de votre Mère, dont la tendresse vous sera d’un puissant secours dans les moments difficiles, aux charmantes dames qui m’entourent, dont la grâce n’a d’égale que celle de ces fleurs si belles et si jolies, à notre ami Gérard, dont le dévouement est depuis longtemps au service de la boulangerie, aux représentants de la presse, à vous mes chers amis et à la prospérité de votre belle Société. »

Le discours du compagnon Germain Alexandre Canal, la Bonté le Saintongeais, compagnon cordier du Devoir de Montereau, par oubli, ne fut pas publié le 15 juin 1911, mais le 1er juillet de cette même année.

En voici le contenu :

« Mesdames, Messieurs, chers Aspirants, chers Compagnons,

Au nom des compagnons réunis de Montereau, je vous remercie de l’accueil sincère et cordial que vous nous avez réservé dans notre bonne ville de Troyes. Cet accueil si fraternel ne nous surprend pas, car nous connaissons de longue date l’urbanité et la sincérité des sentiments qui animent les compagnons boulangers du Devoir, et en particulier les compagnons de Troyes.

En venant parmi vous, non seulement nous vous rendons une visite que la plus élémentaire des politesses exigeait, mais nous venons affirmer avec des frères dévoués la vitalité et la grandeur de notre compagnonnage, que nous voulons plus prospère encore.

La fête que vous célébrez aujourd’hui, compagnons boulangers, nous rappelle qu’il y a exactement un siècle, vos ancêtres, qui n’étaient alors que des profanes, furent pour la première fois intimes aux mystères du compagnonnage. Malheureusement, pendant de longues années, les corporations déjà vieillies sous nos lois, firent grise mine aux nouveaux venus.

Nombre des vôtres rougirent de leur sang les marches du temple, tombant sous les coups de ceux qui auraient dû s’enorgueillir d’avoir de nouveaux Frères, et que le fanatisme irraisonné faisait voir en eux des ennemis, ou tout au moins des intrus.

Respectons la mémoire de nos devanciers, quels qu’ils soient, à quelque corporation qu’ils aient appartenu. Leur ignorance, au temps où l’instruction n’était pas répandue, est leur excuse, et jetons un voile sur les heures sombres du passé.

Compagnons de tous les corps d’état et de tous les rites, dans un effort commun, unissons-nous pour faire tomber les derniers vestiges d’un corporatisme étroit et indigne du siècle où nous sommes. Serrons les rangs, que la même bannière fraternelle nous abrite tous, et à l’ombre de ses plis, travaillons ensemble à l’amélioration constante de nos œuvres humanitaires, car si nous portons avec fierté le droit d’aînesse de tous les groupements mutualistes, notre devoir est de le maintenir toujours intact et toujours resplendissant aux yeux des travailleurs.

C’est pour cette œuvre de régénération que beaucoup de nos Frères luttent et que nous devons lutter avec toute l’énergie dont doit être animé tout compagnon du Devoir.

Comme terminaison de ce vœu, permettez-moi de lever mon verre à la santé des dames ici présentes et de vos invités, qui s’intéressent à nos sociétés, de vos aspirants qui forment la phalange compagnonnique de demain, enfin à la vôtre, chers compagnons de la Champagne, à vos cent ans et à votre nouvelle Mère, Madame Gérard. »

À l’issue du banquet le compagnon cordier du Devoir Germain Alexandre Canal offrit à la cayenne des compagnons boulangers de Troyes une canne compagnonnique uniquement en corde, tissée à l’aiguille. (1)

Troyes, 21 mai 1911, fête de la Saint-Honoré et du Centenaire. Au centre, Marie-Céline Gérard, Mère des compagnons boulangers de Troyes ; à sa droite, après l’enfant, médailles sur la poitrine, Émile Chardin, Champagne la Fierté du Devoir.

  1. A l’heure où j’écris ces lignes, cette canne ne fait pas partie des archives de la cayenne de Paris, cayenne qui prit en dépôt les archives de la cayenne de Troyes à sa mise en sommeil après la Seconde Guerre mondiale.

 

DIJON, LE 30 JUILLET 1911

Les compagnons boulangers de la ville de Dijon décident de réactiver leur cayenne après trente années de sommeil. Le 30 juillet 1911 au matin, la 18e cayenne est en pleine ébullition, effervescence complète. La raison : le centenaire de la fondation et la réception nocturne de six aspirants qui viennent clôturer une période de trente années d’inactivité. La réception a lieu dans les locaux de la loge maçonnique de la rue Courtépée. La cérémonie terminée, les compagnons se forment en cortège à pied, revêtus de leurs couleurs et canne en main.

Le rouleur, en tête, ouvre la route aux six « nouveaux nés » : Bressan Aimé des Filles, Nivernais le Courageux, Champagne le Génie du Devoir, Bressan l’Ami des Compagnons, Comtois l’Ami du Progrès, et Nivernais la Tranquillité.

Légende en acronymes : Fête Compagnonnique en l’honneur du Centenaire des Compagnons Boulangers du Devoir et de la Réouverture de la 18e cayenne de Dijon. Réception du 30 juillet 1911. Au centre Anne Bourlau, Mère des compagnons boulangers de Dijon, à ses côtés, à gauche, écharpe de P.E.V. blanche, Louis Dutrion, Bourguignon l’Aimable Courageux et à droite Jean-Baptiste Rollet, Bourguignon la Douceur.

 

Ce cortège passe à travers les rues, sous l’œil étonné des pas- sants et badauds. Il va rejoindre le siège chez Mme Bourlau, Mère des compagnons boulangers du Devoir, au café Menault, place François-Rude. Là les attend un succulent repas, au menu inspiré du légendaire compagnonnique et les liqueurs sont offertes généreuse- ment par l’Union Compagnonnique des Devoirs Unis. Les rapports entre l’Union Compagnonnique et la 18e сayenne sont en effet des plus fraternels.

Louis Barthès, Plein d’Honneur le Languedocien, compagnon cordier du Devoir, les cite en exemple dans les lignes du journal Le Ralliement des Compagnons du Devoir : Vivons avec l’Union Compagnonnique en bons voisins, évitons les froissements et peut-être le jour n’est pas loin où chacun dans son siège fera comme à Dijon, où l’Union Compagnonnique donne son appui, et envoie les jeunes boulangers se faire recevoir chez les Compagnons boulangers du Devoir, sous les directives du compagnon Parenteau…

La salle du banquet est décorée comme à la coutume de cannes sur les murs, enroulées des couleurs symboliques, et de lithographies, sûrement celles des fondateurs éditées par A. Perdiguier. La table est présidée par la Mère Bourlau, ayant près d’elle le Premier en ville, Louis Dutrion, Bourguignon l’Aimable Courageux.

Sont présents : François Menault, délégué au placement, père de la Mère, Pierre Jossot, conseiller général, maire de Crimolois et franc- maçon, Monsieur Sirodot-Carré, conseiller municipal, imprimeur-éditeur, Camille Bourlau, l’époux de la Mère, Jean Duval, rédacteur de l’Écho de la boulangerie, gendre de François Menault, Henri Parenteau, Bourguignon Rose d’Amour, compagnon couvreur des Devoirs Unis, président de l’Union Compagnonnique de Dijon, Monsieur Dorey du syndicat patronal de la boulangerie, Monsieur Mayer, rédacteur du Progrès de la Côte-d’Or, Nicolas Chapuis, Comtois le Paisible, compagnon tonnelier du Devoir de Liberté, agent consulaire des Etats-Unis d’Amérique à Dijon, Noble Cœur le Comtois, compagnon cloutier du Devoir et deux compagnons boulangers, délégués de la cayenne de Paris, Ambroise Tornier, Angoumois l’Enfant Joyeux, secrétaire et responsable du placement et Jean Griffaut, Poitevin Cœur Joyeux, rouleur.

Au dessert, les nouveaux initiés sont présentés à la Mère qui revêt sa couleur de fonction, et serre la main de ces compagnons dont le nom de Tour de France, donné à chacun le matin et prononcé devant elle, doit être le moyen de les reconnaître. Après cette présentation les nouveaux reçus offrent à chaque invité les dragées du baptême.

Puis arrive un retardataire qui n’impose que le respect, Noble Cœur le Comtois, compagnon cloutier du Devoir qui du haut de ses quatre-vingts ans, vient honorer par sa présence les compagnons boulangers du Devoir.

Jean Duval, rédacteur des Échos de la boulangerie lit les excuses des invités absents :

  • Justin Godart, député de Lyon ;
  • Syndicat de la boulangerie de Sens ;
  • Compagnons boulangers du Devoir de Saint-Étienne, de Blois, de Chalon, de Troyes ;
  • Président du syndicat de la boulangerie de Dijon ;
  • Syndicat des boulangers de Villefranche ;
  • Monsieur Rasse, courtier en bois et farine, qui envoie 50 francs pour le bon vin ; ainsi que les excuses d’autres boulangers.

Ce fut ensuite le discours du Premier en ville, dont voici un extrait, après tous les remerciements de rigueur :

Chers Pays, la 18e cayenne des compagnons et aspirants boulangers du Devoir n’oubliera jamais le dévouement que vous avez apporté pour que son réveil puisse être complet. Le succès est assuré, le chiffre des placements augmente de jour en jour. Plus de cent-vingt placements ont été effectués dans ces deux derniers mois, et si quelques patrons n’ont pu être satisfaits comme ils le désiraient, ils voudront bien nous en excuser, la pénurie des ouvriers en est la seule cause, le dévoué délégué au placement le Pays Menault, ne néglige rien à seule fin de vous satisfaire patrons et ouvriers.

Avec votre aide, jeunes compagnons qui venez d’être reçus dans notre grande famille, le placement augmentera encore, car vous propagerez parmi vos camarades les bienfaits de notre société, et par là-même vous faciliterez le recrutement de nouveaux membres qui viendront grossir les rangs de notre antique société au fronton de laquelle brille la belle devise « Honneur et gloire au travail ».

Avant de terminer, je voudrais adresser tout particulièrement tous les remerciements de la 18e cayenne des compagnons boulangers du Devoir à notre Pays Parenteau, président de l’Union Compagnonnique de Dijon, au dévouement et à l’inlassable activité duquel nous devons aujourd’hui en partie d’être si nombreux à cette table, car c’est par lui et quelques boulangers de la cayenne de Troyes que s’est effectué le réveil de notre cayenne en 1909…

À la lecture de ce discours nous constatons l’importance du placement, source de revenus importante pour maintenir l’activité de la cayenne (droit d’inscription). Suit le discours de Jean Duval, rédacteur des Échos de la boulangerie, au cours duquel celui-ci couvre d’éloges les compagnons boulangers du Devoir, et n’oublie surtout pas de citer son beau-père, François Menault.

Il est bien connu qu’il faut toujours soigner ses beaux-parents ! Et cela rappelle également que l’Écho de la boulangerie a déjà, à plusieurs reprises, parlé du Compagnonnage dans ses colonnes et que celles-ci leur seront toujours ouvertes.

Ensuite, vient Antoine Molle, Quercy le Courageux, au nom des compagnons boulangers de Lyon. Puis M. Dorey, au nom du syndicat des boulangers qui remercie les compagnons de l’invitation qui lui a été faite et à laquelle il s’est rendu avec le plus grand plaisir.

Pierre Jossot, conseiller général, se lève et prononce un énergique discours dont voici les principaux passages, extraits du journal Le Ralliement des Compagnons du Devoir. Il est intéressant de les présenter, malgré les erreurs historiques qu’il contient, arrangées pour la cause. Jugeons-en :

« Après avoir rappelé que les Compagnons et les Francs-maçons, dont il s’honore d’être, sont issus de la même origine (1), de la même Mère,

M. Jossot dit que dès le Moyen Âge, si l’on ne veut remonter même plus haut dans l’histoire, les groupements compagnonniques étaient savamment organisés (2). À tel point qu’en 1536, les compagnons tourangeaux surent lutter efficacement contre leurs patrons qui payent et ne travaillent pas.

Les compagnons boulangers sont des frères, dans l’histoire de ceux qui édifièrent aux XIVe et XVe siècles les superbes monuments architecturaux qui subsistent encore (3), et qui se disaient à l’oreille le secret de leur construction.

Mais les ancêtres des compagnons modernes eurent à souffrir de la puissance noire qui déchaîna contre eux maintes fois le bras séculier, la puissance royale. La répression était alors brutale, on le sait.

  1. La Franc-maçonnerie et les compagnonnages n’ont pas d’origines communes. La Franc-maçonnerie est née en Écosse à la fin du XVe siècle (les plus vieilles archives retrouvées sont issues de loges d’Edimbourg en 1598) alors que le compagnonnage était déjà présent en France dès le début du XVIe siècle. Ce genre d’affirmation fait toujours plaisir aux membres peu éclairés des deux sociétés qui se complaisent dans les mystères de l’art royal.
  2. À ce jour, il n’a pas été possible dans l’histoire des compagnonnages de remonter antérieurement à 1540, première citation d’une Mère de compagnons cordonniers à Dijon. Comment notre conseiller général peut donc remonter jusqu’au Moyen Âge et même avant ? Il a dû oublier que le Moyen Âge commence au début du Ve siècle, et qu’avant cette période avait eu lieu l’épopée des invasions barbares (Attila 450).
  3. Là encore, une belle « histoire » sonnant bien aux oreilles des compagnons boulangers présents.

Mais il n’en reste pas moins que les compagnons étaient le seul parti ouvrier avant la révolution de 1789. Au reste, la révolution fut faite en grande partie par eux (1).

Car si les francs-maçons étaient une force spéculative, le compagnonnage constituait lui une force opérative. Vous vous êtes unis en vue d’une amélioration matérielle pour l’avènement d’une société meilleure où la bonté seulement doit régner en maîtresse.

Vous êtes donc une des cellules initiales de la cité future : marchons ensemble Maçons et Compagnons, et faisons chacun de notre côté notre œuvre qui doit aboutir au même but. M. Jossot lève son verre à ceux qui tra- vaillent et qui font travailler, il boit à la fraternité entière des patrons et des ouvriers. »

Menu compagnonnique du Centenaire organisé par la cayenne de Dijon, le 30 juillet 1911.

Le banquet de réception et de centenaire de la 18e cayenne s’acheva suivant la tradition par de nombreux chants compagnonniques.

  1. Le Compagnonnage n’a pas, en tant que mouvement, participé à la Révolution française. A titre individuel, il est évident que des compagnons ont dû s’y montrer favorables, ou même certains corps (les Gavots, les tanneurs-corroyeurs), tandis que d’autres y étaient hostiles, comme les compagnons passants tailleurs de pierre. La tendance fut plutôt au retrait, comme cela s’est toujours fait en période de crise nationale, en attendant la suite des évènements. Notre conseiller doit aussi oublier que si la Franc-maçonnerie était vue de son temps comme la principale actrice de la Révolution française, nombre de ses membres avaient pourtant guillotiné leurs propres frères, toutes tendances politiques confondues…

 

BLOIS, LE 13 AOÛT 1911

Rare photographie des compagnons boulangers du Devoir lors de leur centenaire à Blois, cliché pris devant la Halle aux grains, aujourd’hui Palais des congrès.

 

Invitation à la Fête du Centenaire organisée par la cayenne de Blois, les 13 et 14 août 1911 (recto, verso)

Nous avons pu retracer le déroulement du centenaire de la cayenne de Blois grâce aux différents journaux de l’époque : Le Républicain, La Démocratie, Le Ralliement des Compagnons du Devoir :

« Les compagnons boulangers ne redoutent pas la chaleur, habitués qu’ils sont à la température des fours. Aussi, en dépit de la température torride qui nous accable, n’eurent-ils aucune hésitation à fixer à midi l’heure du cortège qui devait se rendre chez les autorités, à la mairie d’abord, puis à la préfecture.

Le cortège se forma rue de la Vieille Poste, une petite ruelle étroite, très fréquentée sans doute il y a quelques deux cents ou trois cents ans, mais triste et déserte aujourd’hui, et toute remplie de maisons dont les fenêtres à meneaux disent assez l’antique origine.

C’est là, le rendez-vous des compagnons, là que réside leur Mère, et vraiment elle ne pouvait choisir de cadre plus approprié. En la circonstance ce fut des plus pittoresques : en tête le compagnon rouleur, escorté d’un représentant du compagnonnage des charpentiers du Devoir de Liberté et d’un représentant des couvreurs du Devoir.

La fanfare de rigueur venait ensuite, puis la Mère en landau, ayant à côté d’elle le Premier en ville. Derrière, une voiture conte- nant deux chefs-d’œuvre : l’un ayant pour auteur un jeune couvreur Blésois, Édouard Cottereau, dit Blésois La Belle Conduite, du même nom compagnon- nique que son père, l’autre, œuvre des charpentiers portant cette inscription :

À Monsieur Pinault

Architecte de la ville de Blois

Par la Société des Compagnons passants charpentiers. Fait à Paris le 24 octobre 1826

Ce dernier chef-d’oeuvre est depuis longtemps la propriété d’un vénérable prêtre à Blois, lui-même ancien ouvrier menuisier, Monsieur l’abbé Taranne, qui, pour la circonstance, a prêté cette pièce aux compagnons de la ville.

Une centaine de compagnons viennent ensuite. La plupart en chapeau haut de forme et redingote noire. Tous ont en main la haute canne traditionnelle enrubannée qu’ils font aller et venir avec une sorte de cadence.

Tous ont des rubans de couleurs variées selon les rites et différemment portés : les compagnons boulangers les ont à la boutonnière, larges rubans en flots descendant jusqu’à terre, les compagnons du Devoir de Liberté les portent en bandoulière, les bons drilles les ont au chapeau.

Les apprentis n’ont ni canne, ni rubans, mais un simple bouquet d’immortelles. Tous sont fiers de cette parade solennelle et rare. Il y en a de très convaincus, d’autres le sont moins. L’un d’eux explique qu’il y a des rites qu’il regrette dans les épreuves de l’initiation, le chemin de croix et la couronne d’épines, par exemple, d’autant que cette dernière vous pique de façon désagréable, déclare-t-il.

Les compagnons furent reçus à la Mairie par Monsieur Beignet, conseiller municipal remplaçant le maire empêché. Un vin d’honneur fut servi.

Monsieur Péarron, président de la société des compagnons de Blois, prononça les paroles suivantes :

« Monsieur, au nom de la société des compagnons et aspirants boulangers du Devoir de la ville de Blois, de la société des compagnons charpentiers, de la société de la caisse de retraite du Ralliement des compagnons du Devoir, de la société des Devoirs réunis, et des délégations des différents corps d’état ici présents, je suis heureux de vous remercier de l’honneur que vous me faites en nous recevant à l’Hôtel de Ville.

Nous sommes assurés de toujours trouver auprès de vous un cordial accueil, et nous connaissons aussi l’intérêt que vous portez à notre société et en général à toutes les œuvres de bienfaisance et de mutualité.

Comme vous le savez, et depuis longtemps, le but de notre société est de pratiquer la mutualité en procurant à nos membres le travail, les secours en cas de maladie, à ceux qui voyagent, et qui ne peuvent s’embaucher, en leur donnant les fonds nécessaires pour aller dans une autre ville où le travail ne fait pas défaut.

Chez nous pas d’excitation contre le patronat, nous savons que nous avons besoin les uns des autres, et par l’entente, nous arrivons plus facilement à résoudre certaines questions de travail.

Nous sommes fiers de la tâche que nous avons entreprise, car nous voulons faire de nos membres de bons et honnêtes ouvriers et des citoyens français qui soient aptes par leurs travaux à rendre votre chère patrie grande et prospère.

Nous avons voulu aujourd’hui, en célébrant le centenaire de la fondation de notre société dans la ville de Blois, témoigner toutes nos reconnaissances aux autorités municipales.

Je suis heureux de saluer et de remercier encore une fois, au nom des sociétés et délégations ici présentes, et en mon nom personnel, la municipalité de la ville de Blois et de vous prier d’agréer, Monsieur Beignet, vous qui la représentez, l’expression de notre cordiale sympathie. »

Monsieur Beignet, conseiller municipal, lui répondit en ces termes:

« Messieurs, Vous avez manifesté le désir d’être reçus à l’Hôtel de Ville. Monsieur le Maire, à qui j’ai fait part de votre demande, m’a chargé de le représenter à cette réception. J’en suis très heureux, cette mission est d’autant plus agréable que je vais me trouver parmi des amis et des collègues.

Au nom de la ville de Blois, je souhaite la bienvenue dans notre cité, aux nombreux groupes compagnonniques à quelques corporations qu’ils appartiennent.

Votre visite en notre ville a pour but de venir manifester en l’honneur du centenaire de la fondation des compagnons boulangers du Devoir.

Je ne saurais vous parler du compagnonnage dont je respecte les traditions. Ce que je ne puis passer sous silence, ce sont vos sociétés de secours mutuels et si je me souviens bien des paroles de Monsieur Jolly, notre représentant au conseil supérieur de la mutualité, lors de sa venue à Blois au congrès, c’est de ces belles sociétés compagnonniques qu’est née et s’est développée l’idée de mutualité.

Oui, Messieurs, votre exemple de solidarité et de fraternité sociale a été suivi et le germe de mutualité que vous jetiez, il y a cent ans, a porté ses fruits. Non seulement vous avez prêché l’exemple de fraternité mais vous donnez aussi l’exemple du travail et dans un instant, quand se déroulera par les rues de notre ville votre important cortège, accompagné ça et là des chefs-d’œuvre de nos meilleurs ouvriers, lorsque vous irez tous en silence, calmes, fiers de rendre visite aux représentants du gouvernement, je voudrais que chacun puisse lire dans les plis de vos belles couleurs votre noble devise : Honneur et Gloire au travail, Respect au Devoir.

Médaille souvenir du Centenaire par la cayenne de Blois ; coll. J.C. Thierry.

Messieurs, au nom de la ville de Blois, au nom du conseil municipal que j’ai l’honneur de représenter ici, je vous remercie d’être venus nous apporter vos hommages, c’est un acte de haute civilité dont nous garderons un excellent souvenir.

En revanche Messieurs, permettez-moi de vous offrir ce vin d’honneur, de boire à vos santés, à la belle fête du centenaire que vous avez organisée, à vos présidents de groupes représentés ici, à vous tous sans distinction et de terminer en reprenant ces nobles paroles : « Respect au Devoir, Honneur et Gloire au Travail ».

Ces deux discours furent très applaudis. On choque les verres, le cortège se reforme et se dirige vers la préfecture au son entraînant des pas redoublés, que joue l’harmonie précédée de ses tambours et clairons.

À la préfecture, une cordiale réception est faite aux compagnons et quelques instants plus tard ils se réunissent en un banquet remarquablement servi par les soins de Madame Ferrand, à l’Hôtel de la Croix de Malte.

Environ 120 compagnons et aspirants assistaient à ce banquet. L’élément féminin y était représenté par une vingtaine de gracieuses dames. Le compagnon Péarron, Premier-en-ville, présidait, assisté de Madame Hallier, Mère des compagnons boulangers de Blois.

Étaient également présents Messieurs Henri Petit et Beignet, président et trésorier du syndicat départemental de la boulangerie du Loir-et-Cher, ainsi que les délégués des sociétés compagnonniques de Paris, Tours, Orléans, Angers, Nantes, Nevers, etc.

Au champagne, le compagnon Péarron remercie tous les compagnons d’être venus si nombreux resserrer les liens étroits de solidarité qui unissent les compagnons. Il remercie également Messieurs Henri Petit, Beignet et Boucher, délégués du syndicat départemental du Loir-et-Cher, d’être venus apporter à la société des compagnons, l’expression de la sympathie des boulangers du Loir-et-Cher.

Le compagnon Péarron termine en levant son verre à tous les camarades présents ou absents et à la prospérité du compagnonnage dans le Loir-et-Cher.

Monsieur Henri Petit prononce ensuite l’allocution suivante qui fut vivement applaudie par toute l’assistance.

« Mesdames, Messieurs, je suis très heureux d’apporter ici, au nom et comme président du syndicat départemental de la boulangerie du Loir-et-Cher, l’assurance de notre cordiale sympathie à votre belle société et à ses membres si dévoués. Vous pouvez à juste titre être fiers du succès de cette belle fête.

Elles sont rares dans notre beau pays, les sociétés qui peuvent fêter leur centenaire. On se lasse en France si facilement de toutes choses, même des meilleures, qu’il faut pour arriver à ce résultat qu’il existe dans ces sociétés, parmi tous ses membres, un lien étroit, un sentiment puissant qui les unissent dans une même pensée, les guident vers un même but.

Ce but, Messieurs, ce lien qui vous unit, vous le condensez dans la devise qui s’étale orgueilleusement dans les plis de votre drapeau : « Respect au Devoir, Honneur et Gloire au Travail ». Ce qu’il y a de remarquable dans votre belle société, c’est la solidarité qui existe entre tous ses membres.

Que le compagnon, aujourd’hui ouvrier, devienne patron, il n’en reste pas moins l’égal, l’ami du compagnon ouvrier, et c’est là pour tous un spectacle vraiment impressionnant que cette union du patron et de l’ouvrier restant tous deux attachés, jusqu’au bout malgré tout, à leur drapeau et à leur devise.

On peut sourire de vos traditions, de vos coutumes qui paraissent, pour les profanes, sortir d’une autre époque, d’un autre âge. Mais ce qu’on ne peut contester, c’est que le compagnonnage fut l’introduction en notre pays de cette œuvre si belle, si noble qui, aujourd’hui, a pris une si large place dans notre vie sociale, la mutualité.

En effet qu’ils fussent disciples d’Hiram, du Père Soubise ou de Maître Jacques, les compagnons de partout étaient des mutua- listes, et c’est grâce à eux, comme je le disais tout à l’heure, que la mutualité fit son apparition sur notre territoire. Sans doute primitivement le mutualisme était loin d’atteindre la somme de perfection qu’il possède aujourd’hui.

Mais vous avez également évolué, et au rudimentaire mutualisme d’antan, vous avez ajouté les modifications que les transformations sociales exigeaient et, aujourd’hui, votre société, sous diverses modalités, encourage, soutient le camarade, le pays, non seulement pendant son Tour de France, mais encore pendant toute sa vie de travail et de labeur.

Et quand la fatigue se faisant sentir, le vieux compagnon courbé par les ans ne peut plus travailler, votre société lui assure une confortable retraite, lui permettant d’attendre avec calme et dignité l’heure du dernier voyage, la dernière étape de son Tour de France.

Mais Messieurs, je ne voudrais pas abuser plus longtemps de vos instants, et je vous demanderais la permission de terminer ici en levant mon verre en l’honneur des Sociétés de Compagnonnage, de tous leurs membres, et à l’espoir de les voir grandir et prospérer pour le plus grand bien de la classe patronale et ouvrière, unies dans un même sentiment de fraternité et de solidarité.

Vous me permettrez également de lever mon verre en l’honneur des charmantes et gracieuses dames qui m’entourent. Votre présence, Mesdames, a transformé ce banquet en un parterre fleuri où vous êtes le plus gracieux ornement et les plus belles fleurs. »

Puis la parole est aux chanteurs qui s’en donnent à cœur joie, pour le plus grand plaisir de tous les compagnons, ceux-ci ne ménageant pas leurs applaudissements aux camarades célébrant par leurs chants les beautés du compagnonnage et du Tour de France.

Un bal termine cette belle journée. Le lendemain une excursion pour Chambord réunissait tous les compagnons. La journée se passa le mieux possible et le soir nos compagnons se séparèrent heureux de ces deux journées de délassement en se donnant rendez-vous le 24 septembre à Tours pour l’inauguration du Musée Compagnonnique et de la société protectrice d’apprentis d’Indre-et-Loire.

NÎMES, LE 27 AOÛT 1911

Extrait du journal Le Ralliement des Compagnons du Devoir :

« Le centenaire des compagnons boulangers à Nîmes.

Les compagnons boulangers du Devoir ont tenu à célébrer dignement le centenaire de leur fondation et pour cela avaient invité tous les compagnons des environs, y compris ceux de la ville de Montpellier qui avaient eu l’heureuse idée d’amener avec eux la Mère des compagnons bottiers et la Mère des compagnons menuisiers.

Dès le matin à la première heure, les délégations sont attendues à la gare. À leur arrivée l’on se forme en cortège pour aller rendre visite aux autorités, ensuite un apéritif d’honneur est offert à tous les compagnons.

Le cortège se reforme et c’est en bon ordre que nous arrivons au restaurant de la Fontaine où un menu soigné nous fait, pour un instant, oublier les tourments et les vicissitudes de la vie, car la plus franche gaîté et la bonne harmonie y règnent en souveraines.

Au champagne, le président Valette (1) souhaite la bienvenue à tous les délégués et remercie les deux gracieuses Mères de Montpellier de leur aimable concours.

Le pays Crouzet (2), compagnon maréchal, toujours sur la brèche, toujours prêt à prêter son concours, sut, par une allocution vibrante et bien sentie, charmer l’auditoire.

Ensuite, le pays Saladin (3), Premier en ville des compagnons boulangers, parle de notre beau Devoir et des réformes à y apporter :

« Il ne faut plus penser au passé, autres temps, autres mœurs. Le compagnonnage doit suivre la voie du progrès et ne pas rester en arrière car si notre société est la plus vieille de toutes les mutualités, elle a l’avantage de ne pas se localiser, et le jeune homme qui voyage trouve chez la Mère dès son arrivée des amis, des Frères, qui lui procurent du travail ou lui donnent un secours de route pour aller plus loin.

En plus de la question matérielle, le compagnonnage aide la jeunesse au point de vue moral. Le jeune homme qui fait son Tour de France, s’il veut faire un bon compagnon, il doit être un bon ouvrier, avoir une bonne tenue, une bonne conduite.

Chez nous, on ne lui inspire que de bonnes idées de paix, de concorde, de fraternité, laissant de côté ceux qui prêchent la haine des classes et les fomenteurs de désordres. Suivons notre ligne droite sans détours, modernisons nos sociétés et démontrons aux yeux de tous que le mot compagnon est synonyme d’honnête homme.»

  1. Valette Eugène Louis, Gévaudan l’Ami des Frères, reçu à Troyes à la Saint-Honoré 1906, Président du Ralliement des compagnons du Devoir de Nîmes en 1911. Mobilisé au 8e régiment d’infanterie coloniale. Mort pour la France le 4 février 1915.
  2. Crouzet Augustin, Languedoc le Victorieux, compagnon maréchal-ferrant du Devoir, reçu à Marseille le 24 juin 1901. Président des compagnons maréchaux du Devoir de Béziers (1903). Fondateur de la Section du Ralliement des compagnons du Devoir de Béziers en 1904 ; secrétaire en 1909.
  3. Saladin Léonce, Languedoc la Belle Prestance, reçu à Noel 1881. Premier en ville des compagnons boulangers du Devoir de Nîmes en 1893-1897. Président du Rallie- ment des compagnons du Devoir de Nîmes en 1912.

Ensuite la coterie Habert9, compagnon passant couvreur, propriétaire négociant en huile d’olive, à Fontvieille (Bouches-du-Rhône), dans une allocution bien sentie, remercie les organisateurs de cette belle fête d’avoir bien voulu faire revivre dans la cité nîmoise, renommée pour ses arènes et ses monuments historiques, le prestige de notre institution.

Il félicite les compagnons militants qui, voulant dépouiller le compagnonnage de sa gangue, veulent le montrer aux yeux de tous tel qu’il est : une société modèle, et qui, à Nantes, Bordeaux, Paris, Lyon, Tours, etc. travaille de toutes ses forces et de son énergie au bien et à la mutualité.

Le 24 septembre, dit-il, sera marqué cette année d’une façon remarquable. Les compagnons du Tour de France se réuniront à Tours en une manifestation grandiose dont toute la France parlera, car toutes les corporations qui piéti- naient sur place se joignent à celles qui, plus avancées, ont fait les réformes nécessaires, et sortent de leur torpeur, pleines d’idées de progrès, de justice et de vérité.

Partout ils créent des sociétés protectrices d’apprentis. Faisons tous retentir le cor du rappel pour la bonne entente et faciliter le recrutement de nos jeunes adeptes qui, voyant le but de nos sociétés, ne tarderont pas à s’y faire inscrire.

Le compagnon Habert termine en portant un toast au Tour de France et à la prospérité de la ville de Nîmes.

Ensuite le pays Forézien Franc-Cœur, compagnon maréchal-ferrant du Devoir, nous fit une causerie sur le compagnonnage en général qui plut beaucoup, et fut applaudi des dames présentes au banquet.

La série des chansons fut commencée par la Mère de Montpellier qui, gentiment, nous dit Conseil d’un père à son fils.

Les pays Bro, Habert, Crouzet, Brô, Saint-Étienne, tous nos poètes furent fêtés et la soirée se termina par un beau bal où la jeunesse s’en donna à cœur joie jusqu’au lendemain matin, et chacun se retira heureux de cette belle journée fraternelle emportant dans son cœur une provision d’énergie et de courage pour travailler, protéger les jeunes gens et améliorer au mieux du possible notre institution. »

La commission :

  1. Habert Félix Jean, Marseillais l’Enfant du Génie, compagnon couvreur du Devoir, reçu à Tours à l’Ascension 1884. Accidenté du travail, il était devenu fabricant d’huile d’olive. Dans le journal Le Ralliement n° 462 du 1er trimestre 1933, p. 10, Alexandre Delhomme écrivait ces lignes : « Il est né à Fontvieille (Bouches-du-Rhône) en 1867, mais a été élevé à Monts (Indre-et-Loire). Son père était C. sabotier, Tourangeau la Franchise, et membre fondateur du Ralliement de Tours. Pour l’Ascension, en 1884, il se faisait recevoir Compagnon Passant Couvreur du Devoir, sous le nom de Provençal l’Enfant du Génie, et son Tour de France terminé, il se créa, comme beaucoup d’autres, un foyer. Malheureusement, quelque temps après, il tombait d’un toit et se brisait les deux poignets. Son vieux patron, le C. Richard, de Ste-Bazeille, n’était pas assuré, et Habert ne voulut pas lui faire de peine ni lui créer d’ennuis. Il resta donc, sans pension, avec son infirmité et ne pouvant plus se servir de ses deux mains pour travailler, il dut abandonner le métier de couvreur. Il vint se fixer à Fontvieille, en Provence, son pays de naissance, pour exploiter des oliviers et faire le commerce d’huiles comestibles et de savons. Mais la malchance le poursuivant, en 1923, un morceau de bois lui crevait un oeil, qu’on dut lui enlever et le remplacer par un oeil d’émail. Aujourd’hui il ne peut plus visiter sa clientèle et ce serait un bel acte de solidarité compagnonnique que de penser à lui, qui, sans fortune, ne vit qu’avec le petit bénéfice réalisé sur la vente de ses produits, pas plus chers qu’ailleurs. Ses huiles de table, entre autres, pur fruit d’olives, sont de qualité supérieure et avantageuses ; rien de comparable avec les huiles d’arachide. Faites un essai, chers Compagnons, et n’hésitez pas à faire venir de chez Habert, pour vos besoins futurs, un petit estagnon de 5 ou 10 kilos, aux prix d’autre part. Ca ne se perd pas et vous pourrez, le cas échéant, en céder à vos amis et connaissances. Vous serez très satisfaits, j’en suis assuré, et vous aurez accompli, une fois de plus, une bonne action. »

 

BORDEAUX, LE 1ER NOVEMBRE 1911, JOUR DE LA TOUSSAINT

Compte-rendu de la fête du centenaire organisée par la cayenne de Bordeaux, publié dans les pages du journal Le Ralliement des Compagnons du Devoir du 15 novembre 1911 (N° 590) :

Les compagnons boulangers portent à la connaissance du Tour de France qu’ils ont célébré le centenaire de leur fondation pour la Toussaint, par la réception de deux aspirants qui ont été jugés dignes d’appartenir à la grande famille compagnonnique.

Ce sont :

    1. Morlaas Martí, né le 19 juillet 1877 à Salis-du-Béarn (Basses- Pyrénées) surnommé Béarnais le Juste.
    2. Barbe Pierre, né le 22 mai 1878, à Cauterets (Hautes-Pyrénées), surnommé Bigourdan Laurier d’Amour.

Tout s’est bien passé : les nouveaux reçus ont promis fidélité au Devoir et de se faire connaître sur le Tour de France.

Le jour de la Toussaint, les compagnons et aspirants se réunissaient chez la Mère, rue Boulan, 22, à midi, pour partir en cortège, cannes et couleurs, pour se rendre à l’établissement des Deux Platanes, boulevard Jean-Jacques Bosc, où les attendait un somptueux repas dans une salle convenablement garnie par les soins de Monsieur Labarthe, restaurateur.

Les mets succulents sont attaqués avec entrain. Au milieu du repas, le Premier en ville prend la parole et souhaite la bien- venue aux compagnons et aspirants en les remerciant d’être venus en aussi grand nombre rompre le pain de l’amitié.

Il s’exprime en ces termes:

« Mesdames, Messieurs, et vous chers compagnons et aspirants,

Nous célébrons aujourd’hui le centenaire de la fondation de notre société car c’est à Nevers qu’un compagnon doleur du Devoir, surnommé Bavarois Beau Désir, pour récompenser l’humanité de deux boulangers les fit compagnons sous les noms de Mombard l’Inviolable, et Nivernais Frappe d’Abord, les fit partir pour Blois où il voulait établir la fondation de notre beau Devoir.

Pour la Toussaint 1811, les compagnons boulangers du Devoir faisaient officiellement la première réception. Depuis ce jour les compagnons firent leur Tour de France et établissaient leur 25e cayenne compagnonnique.

Que de déboires, que d’amertumes nous eûmes à subir. On nous contesta longtemps notre valeur et nos droits. Ce n’est qu’à force de patience, par les travaux de nos devanciers, que nous sommes parvenus à nous créer une place au sein de la grande famille compagnonnique.

Aujourd’hui, les corporations, par notre fidélité aux principes du Devoir en portant haut et ferme le sublime drapeau, par les écrits dont plusieurs compagnons se sont distingués, la science et le progrès ont bien couronné leurs œuvres bienfaisantes, leurs poésies ont bien tracé le sentier que les compagnons devaient suivre pour les conduire à la grande alliance où nous avons une place.

C’est Libourne le Décidé, le grand méconnu, Limousin Bon Courage, Rochelais l’Enfant Chéri et tant d’autres qui ont contribué les premiers à ce précieux avenir. C’est à nous, compagnons, de persévérer et de continuer l’œuvre de nos ancêtres.

C’est ce que je désire de tout mon cœur en suivant le progrès des institutions nouvelles car il y va de l’honneur et de la prospérité de nos sociétés, car il est bien regrettable de voir un compagnon de retour au sein de sa famille abandonner sa corporation pour se lancer dans une autre société soit de secours mutuels ou autres.

Ne serait-il pas préférable que ce compagnon apporte ses conseils pour réformer les vieilles institutions et créer nous aussi, la mutualité plus grande, qui nous procurerait plus d’adhésions et moins de désertions parmi nous, et d’arriver à la centralisation des fonds dans une caisse générale ? C’est ce qu’a compris un grand nombre de corporations au congrès de Tours.

Ainsi, compagnons et aspirants à l’œuvre ! Et l’avenir s’ouvre pour notre Devoir.

En terminant je lève mon verre à notre beau Devoir, à la gloire du compagnonnage et je salue ici ses fondateurs. »

La parole est ensuite au Frère Noge, dit Bordelais la Fierté du Devoir, qui s’exprime en ces termes : (à l’intention des deux nouveaux compagnons boulangers)

« Mes Frères,

La vertu toujours propice aux cœurs naturellement bons vous ouvre aujourd’hui son temple pour vous mettre à l’abri des malheurs qui conduisent l’homme à sa perte sans qu’il s’écarte des principes de la nature fondée sur les lois de la raison.

Le zèle que vous avez fait paraître pour sortir des ténèbres, les qualités qui vous sont personnelles et votre persévérance à désirer la lumière sont pour nous des témoignages certains que vous vous rendrez dignes de la faveur que l’on vous a accordée en ce jour.

Il faut, mes Frères, suivre exactement les devoirs que l’on va vous prescrire, il faut dompter vos passions pour rendre à la vertu les hommages qui lui sont dus. Il s’agit d’être fidèle et constant dans l’amitié que vous devez à vos Frères, c’est-à-dire les secourir dans le besoin, ne jamais leur refuser vos conseils. Les lois civiles et religieuses émanant de ces principes, en les observant, vous aurez la satisfaction d’être bienfaisants et de vous conformer aux lois du compagnonnage.

Le compagnonnage, mes Frères, est une institution fondée par le plus sage des rois qui connaissait la perversité des hommes, qui a cherché le moyen de distinguer le vrai du faux par des marques significatives. Si le profane vulgaire at- tribue aux compagnons des principes à faire rougir la nature, bien loin de nous en offenser, il faut au contraire le plaindre de son aveuglement et le forcer au silence par la voix d’un cœur pur et innocent.

Qui dit compagnon, mes Frères, dit un homme parfaitement digne de l’estime universelle, suivant le chemin de votre propre bonheur qui vous conduira selon nos maximes au rang des âmes justes, et à un avenir où tout honnête homme ne doit s’égarer.

Vous êtes entrés dans un état qui vous paraît pénible dans son commencement, mais il faut s’armer du courage qui soutient dans l’adversité et qui vous empêchera de fléchir sous le poids d’une épreuve dont la fin vous sera généreuse.

Pratiquez et profitez des sages leçons que le compagnonnage va vous donner et que l’amour de vos Frères soit un de vos plus grands soins, que la discrétion soit votre partage et que vos sentiments répondent au bien-être qui vous attend. C’est ce que je vous recommande au nom de tous les compagnons qui habitent la terre et, en mon nom particulier, je vous souhaite bonheur et félicité.

Les discours terminés, le banquet continue à la satisfaction de tous les habitants. Quand nous arrivons au dessert, le Premier-en-ville souhaite la bienvenue aux compagnons des corps d’état qui ont répondu à notre invitation et leur présente notre Mère.

Plusieurs compagnons ont prononcé quelques petites allocutions sur les sujets intéressant le compagnonnage, puis les chanteurs s’en sont donnés à cœur joie en interprétant nos meilleurs auteurs, et ce n’est que fort tard que l’on se sépare réjouis et enchantés d’une si belle journée.

Pour la société et par ordre, les compagnons en place : Angoumois la Bonne Volonté P.E.V.

Bordelais la Fermeté S.E.V. Bayonnais la Pensée R.

Observations

Nous observons dans tous les discours des différents compagnons et personnalités le fort accent qui est mis sur la mutualité, mais aussi tout particulièrement sur les rapports cordiaux que doivent entretenir patrons et ouvriers. Ces propos sont la conséquence directe des grandes grèves de la boulangerie qui eurent lieu au tout début du XXe siècle, et le développement des mouvements syndicaux.

Les cayennes de Paris et Tours, s’étant jointes au centenaire de la cayenne de Blois, n’organisèrent pas de festivités particulières : la cayenne de Paris ayant suffisamment d’activité avec l’organisation du congrès du 1er au 5 mai et la cayenne de Tours, pour sa part, sera assez mobilisée également par sa participation à la fête du 24 septembre 1911, jour de l’inauguration du Musée Compagnonnique et de la société protectrice des apprentis d’Indre-et-Loire.

Autre particularité des fêtes du centenaire de la fondation : c’est la dernière fois qu’elles se dérouleront au plan régional, sous la responsabilité des cayennes respectives.

En effet le 125e anniversaire sera célébré uniquement à Blois lors du congrès de 1936, le 175e anniversaire sera lui aussi célébré à Blois lors du congrès de 1986. Le 150e anniversaire, quant à lui, aurait dû être fêté en 1961, mais n’eut pas lieu, étant donné qu’un an plus tôt, en 1960, les compagnons boulangers avaient fêté le centenaire de leur « reconnaissance » à Paris.

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D. Extrait du livre LE PAIN DES COMPAGNONS

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