Voici un article de presse extrait du Petit Journal ( mercredi 9 septembre 1868) nous faisant découvrir qu’a une époque, le recyclage n’était pas un besoin, mais une nécessité. Petite revue de la Halle Les marchands d’Arlequin
Il y a aux Halles de Paris, dit M. Maxime Ducamp, une catégorie d’industriels spéciaux que le language administratif désigne sous le titre de marchand de viandes cuites. Ce qu’ils vendent se nommait jadis des rogations; mais l’argot a prévalu, et cela s’appelle aujourd’hui les arlequins.
Leurs marchandises sont composées de toutes sortes de denrées .
Ces gens la recueillent les dessertes des tables riches, des ministères, des ambassades, des palais, des restaurants et des hôtels.
Chaque matin eux-mêmes ont leurs agents, trainant une petite voiture fermée et garnie de soupiraux facilitant la circulation d’air, vont faire leur tournée dans les cuisines avec lesquelles ils ont un contrat. Tous les restes des repas de la veille sont jetés pêle-mêle dans la voiture et ainsi amènes aux Halles jusque dans la resserre.
Là, chaque marchand fait le triage de ses amas sans nom ou les hors-d’oeuvre sont mêles aux rôtis, les légumes aux entremets.
Tout ce qui est encore reconnaissable est mis de coté avec soin, nettoyé, paré (c’est le mot) et placé sur une assiette. On se cache pour accomplir ce travail d’épuration et le client n’y assiste pas, en vertu de cet axiome, encore plus vrai là qu’ailleurs, qu’il ne faut jamais voir faire la cuisine.
Lorsque tout est terminé, qu’on a tant bien que mal assimilé les contraires, on fait l’étalage habilement, mettant les meilleurs morceaux en évidence, tentant la gourmandise des passants par une timbale milanaise à peine éventrée, par une pyramide de brocolis.
Tout se vend et il n’y a guère d’exemple qu’un marchand de viandes cuites n’a fini sa journée vers midi ou une heure.
Beaucoup de malheureux, d’ouvriers employés aux Halles, préfèrent ce singulier genre d’alimentation à la nourriture plus substantielle, mais trop chère, qu’ils trouvent dans les cabarets et les gargotes. Pour deux ou trois sous, ils ont là de quoi manger.
Maraîchers noiséens aux Halles de Paris, vers 1900
Chose étrange, les marchands ont une clientèle attitrée, et ils l’attribuent uniquement aux cuisines savantes d’où ils tirent ces débris de nourriture. Des gens riches, mais avares, viennent faire là secrètement leurs provisions; ceux-là, on les reconnaît promptement à leur mine inquiète et fureteuse; on s’en moque, mais, comme ils paient, on les sert sans leur rire au nez. Tout ce qui peut offrir encore une apparence acceptable est donc vendu de cette manière.
Quand un choix indulgent a été fait , il reste encore bien des détritus qu’il est difficile de classer. Ceci est gardé pour les chiens de luxe. Les bichons chéris, les levrettes favorites, ont là leurs fournisseurs de prédilection, et chaque jour bien des bonnes femmes font le voyage des halles pour procurer aux animaux qu’elles adorent une patte succulente et peu couteuse… Les os, réservés avec soin, sont livrés aux confectionneurs de tablettes de bouillon, et, après qu’on en a extrait la gélatine, revendus aux fabricants de noir animal.
Il n’y a pas de sots métiers, dit-on, je le crois sans peine, car l’on situe quelques marchands de viandes cuites qui se sont retirés du commerce après avoir amassé une dizaine de mille livres de rentes en quelques années. C’est là qu’on trouve les marchands de mie et de croute de pain. On utilise tout dans cet immense Paris, et il n’est objet si détérioré, si dédaigné, si minime, dont quelques hommes ne parvient à tirer parti.
Le fond de la marchandise première dont ces industriels ont besoin est fourni surtout par les collèges, les pensionnats. Les enfants gâtent volontiers le pain qu’on leur donne, ils le jettent, le poussent à coup de pied dans les cours ou ils prennent leur récréation.
Tous ces morceaux de pain couverts de poussière, tachés d’encre, qui ont trempé dans les ruisseaux, qui ont durci, oubliés derrière un tas d’ordures, sont recueillis avec soin par les domestiques et revendus aux boulangers en vieux. Ceux-ci divisent leurs marchandises en catégories, selon qu’elle est plus ou moins avariés.
Les fragments encore présentables, préalablement sèches au four et passés à la râpe, deviennent les croutes au pot et servent à faire la soupe, la plupart des croutons, en forme de losanges posés sur les légumes, n’ont point d’autre origine.
La mie et les croutes trop défectueuses sont battues au mortier, pulvérisées et forment la chapelure blanche que les bouchers emploient pour panner les côtelettes, et la chapelure brune dont les charcutiers saupoudrent les jambonneaux. Quant au débris intimes, on les fait noircir au feu, on les pile, et, ainsi réduits en poudre noirâtre, on les mêle avec du miel arrosé de quelques gouttes d’esprit de menthe, de façon à en composer un opiat pour les dents qui, dit-on, n’est pas plus mauvais qu’un autre. (revue des deux-mondes). »
Trente-cinq ans plus tard, le boulangerie en vieux est toujours d’actualité !
La Croix, 6 décembre 1902
Les boulangers en vieux.
Il paraît que, parmi les nombreux petits métiers qui prospèrent à Paris, un des moins connus, mais non des moins fructueux, serait celui des « boulangers en vieux ».
On appelle ainsi, dit un de nos confrères, les marchands qui achètent aux chiffonniers tous les morceaux de pain, taches d’encre et de boue que l’on ramasse dans les réfectoires, dans les recoins de cours et dans les boîtes à ordures. Les morceaux de pain encore présentables, préalablement sèches au four et passes légèrement à la râpe, sont vendues à des restaurants d’ordre inférieur pour devenir des croutes au pot et pour faire de la panade. La mie et les croutes trop défectueuses sont battues au mortier, pulvérisées et forme la chapelure blanche que l’on emploie pour paner les côtelettes ou saupoudrer les jambonneaux.
Il y a aussi les miettes de pain , dont le « boulanger en vieux » sait tirer parti. Il les noircit au feu, puis les pile au mortier et en fait une poudre noirâtre qui, mélangée avec du miel et arrosée de quelques gouttes de menthe, forme une poudre pour les dents.
Ce n’est pas très appétissant.
Laurent Bourcier, Picard la Fidélité C.P.R.F.A.D.