Le chien du Louvre 1/2

EN 1830, LE CHIEN DU LOUVRE ÉTAIT-IL LE CHIEN D’UN BOULANGER ?

Première partie : Médor, le chien fidèle de la Révolution de 1830 :

Lors des trois jours de la Révolution de 1830, qu’on a appelé les « Trois glorieuses », les 27, 28 et 29 juin, un épisode a été popularisé par de nombreuses estampes, celui du « chien du Louvre ».
Le 29 juillet, les insurgés attaquent le Louvre, qui était le siège du pouvoir royal, le roi Charles X résidant aux Tuileries attenantes au palais.
Les gardes suisses tirent et plusieurs hommes tombent. Ils furent ensuite enterrés sur place, dans une fosse commune, à l’angle de la Colonnade du Louvre et de la rue de Rivoli.

Jean Pierre Marie JAZET (1788-1871) fut l’un des nombreux artistes qui immortalisèrent ces journées tragiques. On lui doit au moins quatre grandes estampes traitées selon la technique de l’eau-forte (aquatinte) : La Défense de la porte Saint-Denis, La Rue de Rohan, l’Attaque de l’Hôtel de Ville et l’Inhumation des martyrs de la Liberté.

Rue de Rohan, l’une des estampes de J.P.M. JAZET sur les journées de juillet 1830.

Inhumation des martyrs de la liberté, estampe de J.P.M. JAZET.

Attardons-nous sur cette seconde image. Le texte placé sous le titre nous apprend que « Le 30 juillet au matin, les Citoyens tués la veille à l’attaque du Louvre, sont descendus dans une fosse creusée au pied de la Colonnade. L’Abbé Paravey prononce sur eux les prières des morts. Le silence qui règne parmi les Spectateurs n’est troublé que par les hurlements plaintifs d’un Chien dont le Maître vient d’être enseveli. »

Des corps gisent au sol, percés de balles. Les baïonnettes sont levées autour du crucifix et du drapeau tricolore. Le prêtre officie ; deux femmes agenouillées pleurent, maris ou parents, des enfants sont auprès d’elles. À l’arrière-plan, on distingue les bâtiments du Louvre.

Et puis, il y a un détail qui a retenu notre attention. Dans le coin gauche de l’estampe, en bas, on distingue une partie de ce qui ressemble à une sorte de caisse. Sur un côté on lit : « BOULANGERIE MÉCANIQUE / Rue de Bercy St. Antoine ». Il s’agit sans doute d’une petite voiture à bras où le boulanger déposait les pains à porter à sa clientèle.

« BOULANGERIE MÉCANIQUE. Rue de Bercy St. Antoine »

Pourquoi l’artiste a-t-il fait figurer ce détail ? Il est probable qu’un ouvrier boulanger, un porteur de pain, conduisait sa voiture, dont on distingue, semble-t-il, un brancard, lorsqu’il est tombé sous les balles des gardes suisses. Les comptes rendus de la journée du 29 juin ont dû rapporter le fait.
A moins que ce ne soit une allusion aux boulangeries mécaniques, accusées de réduire l’emploi des ouvriers et de provoquer leur chômage. Les premiers pétrins mécaniques étaient en effet apparus dès 1810 (les « lambertines », du nom de son inventeur, Lembert) mais ont commencé à se répandre (timidement) dans la capitale, au cours des années 1830. La boulangerie mécanique mentionnée sur la gravure est précisément celle de la société Monin, Duguet et compagnie, rue de Bercy, qui déposa un brevet pour son pétrin mécanique en 1827. Cinq ans plus tard, elle comptait dix pétrins mécaniques mus par la vapeur. Cette grande boulangerie aurait-elle été pillée durant l’émeute du 29 juin, pain et révolution étant souvent associés ?

Un autre détail est à remarquer. Près de l’un des hommes descendus dans la fosse se trouve une pelle de boulanger. L’une des victimes devait donc être un des ouvriers de la boulangerie Duguet, tué lors de la livraison du pain.

Une pelle de boulanger est placée au centre, devant l’homme descendu dans la fosse.

Et l’on remarque aussi le chien, au premier plan, au centre… Museau levé, il hurle à la mort.

Le chien, détail de l’estampe Inhumation des martyrs de la liberté.

Ce chien a une histoire et il reçut un nom. Il s’agissait, rapportent les auteurs de l’époque, d’un barbet blanc à oreilles marron et taches marron sur le dos. Lorsque son maître, mortellement blessé, fut inhumé, il resta sur la fosse recouverte. Il poussait des hurlements plaintifs, il grattait le sol et en retirait des morceaux de la chemise de son maître, qu’il ré-enterrait ensuite. On dit aussi que lorsqu’on lui donnait une brioche pour se nourrir, il l’enfouissait sur la tombe comme pour la donner à son maître.

« Le chien du Louvre. Il survit à son maître… mais c’est pour le pleurer. », lithographie de Mademoiselle HUBERT (Musée Carnavalet, Paris).

Longtemps, il demeura sur les lieux, errant autour de la palissade et se couchant sur la tombe. Comme il avait aussi été blessé, il devint malade et pitoyable, puis finit par se laisser approcher par une femme qui le soigna.
Les gardes nationaux l’apprivoisèrent et lui construisirent une cabane et y placèrent l’inscription suivante : « Depuis le jour qu’il a perdu son maître, / Pour lui, la vie est un pesant fardeau ; / Par son instinct, il croit le voir paraître ; / Ah ! pauvre ami, ce n’est plus qu’un tombeau. »
Emblème vivant de la Fidélité dans la douleur, le « chien du Louvre » était devenu une célébrité. Les Parisiens venaient le voir et lui donnèrent le nom de Médor. De multiples gravures furent diffusées pour faire connaître ce chien fidèle entre tous. On chantait même la Romance du chien fidèle, sur l’air : De l’orphelin des trois jours !


Médor ou le Chien du Louvre au Tombeau de son Maître ; gravure XIXe siècle (extraite de l’article « Médor, le chien du Louvre » sur le site lesyeuxdargus.wordpress.com).

Capturé, il revenait toujours sur la tombe de son maître. Puis, on l’y trouva mort. D’autres versions disent qu’il disparut un beau jour et qu’on ne sut ce qu’il devint.

Médor ou le chien du Louvre, gravure de BOULAY (Musée Carnavalet, Paris).

Le poète Casimir DELAVIGNE (1793-1843) a composé en son honneur une ballade :


Casimir DELAVIGNE

LE CHIEN DU LOUVRE

Ballade

« Passant, que ton front se découvre !
Là, plus d’un brave est endormi.
Des fleurs pour le martyr du Louvre !
Un peu de pain pour son ami !

C’était le jour de la bataille,
Il s’élança sous la mitraille ;
Son chien suivit.
Le plomb tous deux vint les atteindre ;
Est-ce le maître qu’il faut plaindre ?
Le chien survit.

Morne, vers le brave il se penche,
L’appelle, et de sa tête blanche
Le caressant,
Sur le corps de son frère d’armes
Laisse couler ses grosses larmes
Avec son sang.

Des morts voici le char qui roule ;
Le chien, respecté par la foule,
A pris son rang,
L’œil abattu, l’oreille basse,
En tête du convoi qui passe,
Comme un parent.

Au bord de la fosse avec peine,
Blessé de Juillet, il se traîne
Tout en boîtant ;
Et la gloire y jette son maître,
Sans le nommer, sans le connaître ;
Ils étaient tant !…

Gardien du tertre funéraire,
Nul plaisir ne peut le distraire
De son ennui.
En fuyant la main qui l’attire,
Avec instance il semble dire :
« Ce n’est pas lui ! »

Quand sur ces touffes d’immortelles
Brillent d’humides étincelles,
Au point du jour,
Son œil se ranime, il se dresse,
Pour que son maître le caresse
A son retour.

Au vent des nuits quand la couronne
Sur la croix du tombeau frissonne,
Perdant l’espoir,
Il veut que son maître l’entende ;
Il gronde, il pleure et lui demande
L’adieu du soir.

S’il neige avec violence
De ses flocons couvre en silence
Le lit de mort,
Il pousse un cri lugubre et tendre,
Et s’y couche pour le défendre
Des vents du nord.

Avant de fermer la paupière,
Il fait pour soulever la pierre
Un vain effort ;
Puis il se dit comme la veille :
Il m’appellera, s’il s’éveille.
Puis il s’endort.

La nuit il rêve barricade :
Son maître est sous la fusillade,
Couvert de sang.
Il l’entend qui siffle dans l’ombre,
Se lève et saute après son ombre,
En gémissant.

C’est là qu’il attend d’heure en heure,
Qu’il aime, qu’il souffre, qu’il pleure,
Et qu’il mourra.
Quel fut son nom ? C’est un mystère ;
Jamais la voix qui lui fut chère
Ne le dira.

Passant, que ton front se découvre !
Là, plus d’un brave est endormi.
Des fleurs pour le martyr du Louvre !
Un peu de pain pour son ami ! »

« Médor, le chien fidèle », lithographie de Victor Hippolyte DELAPORTE (Musée Carnavalet).

Commentaires concernant : "Le chien du Louvre 1/2" (1)

  1. BASTARD Laurent a écrit:

    Je me dois d’apporter une petite rectification à cet article. Sur la gravure de JAZET, près du chien, ce que j’avais pris pour une pelle de boulanger doit plutôt être, compte tenu de sa forme, une pelle de terrassier, celle qui a permis de creuser la fosse où l’on descend le corps. On la retrouve à côté du chien sur la gravure en couleur, « Médor ou le chien du Louvre », au texte en français et allemand. Cette rectification ne remet pas en cause la teneur de l’article, car il y a bien une voiture de boulanger à gauche de l’estampe.

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