Chapitre 23. L’utilisation des invendus

Chapitre XXIII. L’utilisation des invendus

En Europe occidentale, le folklore nous donne un bel exemple de sauvetage des restes de pain : lorsque le père rentrait du travail le soir sans avoir mangé toutes ses tartines, il les donnait à ses enfants en disant : « Tenez, voici du pain, c’est le coucou qui me l’a donné ». Petite supercherie qui permettait au pain, souvent bien défraîchi, d’être apprécié par les enfants. En effet, il n’est pas facile au pain rassis de concurrencer le pain frais.

Les restes de pains étaient autrefois tranchés puis recyclés en croûtes.

Les croûtes deviendront ensuite les biscottes, soit étymologiquement, deux fois cuites.

Celles-ci sont souvent coriaces et bien séchées avec le solde de la chaleur du four. C’était avant que les biscottes industrielles aux recettes spéciales et à la friabilité imbattable, ne viennent conquérir le marché (XVI.2 et XVI.3).

Il faut remonter au début du xxe siècle pour voir encore dans les étals de boulangeries de la chapelure maison.

Les croûtons de pain au levain de San Francisco auront encore droit de cité vers 1970.

Le pain à potage et le pain à soupe, ainsi que les croûtes à potages étaient une fabrication spécifique encore au xxviiie siècle et il faudrait sans doute les mentionner à la clientèle pour éviter de perdre le pain rassis[1]. C’est un féculent bon marché en somme.

Les tranches de pain sèches faisaient partie des tests de dépistage du pain au levain effectué par Raymond Calvel pour déterminer si le pain était bien fait au levain ou pas. Puisque la tranche de pain à levure posée dans l’assiette profonde à soupe se délitait ; tandis que la tranche de pain au levain restait bien entière[2].

Récupération destinée aux professionnels, ce qui est diversement dénommé « la soupe » dit parfois « le rajout-bajout » lorsqu’il s’agissait de pains secs ou croûtes dilués et intégrés dans la pâte. Concernant cette pratique, au jeu de « radio pétrin », on risque de s’offusquer avant de juger et de déclarer cette pratique, non seulement de honteuse, mais de frauduleuse et même d’interdite[3]. Je ne parlerais pas d’interdits ou de loi, mais plutôt d’usages.

Même le professeur Calvel qualifiera cette pratique, bien connue outre-Rhin, de « dérive de la boulangerie allemande[4] ». Celle-ci panifiant du pain souvent plus complet, il faut le préciser. Dans ce pays, l’outillage actuel propose encore l’intégration de Restbrod  dans la pâte, en analysant le côté améliorant au niveau texture de ce type d’apport (XIX.4), et même les traductions de  tableaux concernant les règles HACCP du levain indiquent cet usage de pain trempé qui doit être conduit le plus rapidement possible[5].

Ce procédé d’utilisation de reste de pains est un genre d’apport de Brühstück (portion ébouillantée – XI.1). Cela ressemble un peu à ce que le moulin pratiquait en Suisse en proposant des ajouts de farine séchée (appelée  « farine dédoublée ») pour améliorer la conservation et l’hydratation, soit une version nouvelle de « la soupe ».

Il est évident que cette méthode de récupération des invendus exige de ne pas considérer le pain sec comme un déchet, de le sécher dans de bonnes conditions, le développement potentiel de moisissures est à contrôler par exemple.

Cette technique ne passe pas du tout sur pain à mie blanche, cela exige de retirer la croûte, non seulement pour éviter de mettre des traces de noir dans de la mie blanche, mais comme le produit alimentaire vivant la carbonisation n’a rien pour lui au niveau diététique et hygiénique (voir le suivi actuel des organismes sanitaires sur l’acrylamide et la mise en garde sur la consommation de café – XIX.5). Si cela se pratique sur pains blancs, il n’y a que la mie qui devrait être employée. Et dans ce cas il faut y employer beaucoup de temps et d’énergie, ce qui à un coût qui n’est sans doute pas une utilisation professionnelle des restes.

Si l’on dispose d’un salon de consommation ou de vente de sandwichs fourrés, la tranche du croque-monsieur sera faite de pain un peu rassis. La version dessert sera le pain perdu : on retrempe un temps la tranche de pain rassis dans un appareil de lait et d’œufs, puis on la passe à la poêle en la saupoudrant de sucre. J’ai observé une fois dans une boulangerie/salon de thé, la réutilisation des braises du feu de bois, déposés dans le fond d’un demi-bidon cylindrique, sur lequel une grille était posée qui permettait de toaster les tranches.

Comme trempé dans la soupe, le reste ou la tranche de pain rassis fait office de féculent, la chapelure ou le broyat de vieux pain peut servir d’épaississant pour composer une terrine ou un pâté végétal.

Mais la plus connue des récupérations des restes de pains en Grande-Bretagne est celle qui consiste à les tremper dans du lait, additionné d’œufs battus, de sucre, d’épices, de raisins secs trempés dans le rhum : c’est le plumpudding. Il a même traversé la Manche et est devenu gâteau de « petits restes/grands plats ».

Vous ajoutez un éclairage à la bougie lors des soirées d’hiver, proches de la fête de Noël, des pruneaux séchés (le plum de plumpudding), le tout cuit longuement au bain-marie, jusqu’à sept heures, puisqu’il est bien difficile d’extraire l’humidité d’un aliment déjà cuit. Vous utilisez un moule à kouglof ( ou dit aussi bonnet de turc) pour y cuire le mélange.

Vous le servez flambé à l’alcool, avec du houx et du buis en décor autour, et vous ne faites cette récupération qu’une fois l’an, à la Noël. Et là c’est certain, c’est une tuerie. Vous pourrez dire à la Gabin : « T’as de beaux restes, tu sais ! »

Il arrive parfois que l’on retrouve ce gâteau symbolique vendu hors période de fête et dans certaines régions presque comme un flan traditionnel et local.

Sachez aussi que l’on peut utiliser le trop-plein de levain en versant celui-ci dans une poêle pour confectionner comme une crêpe épaisse, style crumpet, et c’est excellent. Le levain perd souvent son acidité quand il est préparé de cette façon.

Il y a aussi la possibilité d’organiser la collecte des invendus en fin de journée par des associations. Ce qui permet de facturer à vil prix, uniquement pour pouvoir faire entrer l’invendu dans la comptabilité.

Enfin, vous pouvez employer les restes vraiment trop secs comme fourrage pour animaux d’élevage. Que vous souhaitiez les donner ou en faire commerce, il faudra assurer un suivi sanitaire, la moindre des raisons étant que l’hygiène l’exigera en cas d’inspection, la principale étant d’éviter des désagréments aux éleveurs comme aux bêtes !

Bibliographie du Chapitre 23 L’utilisation des invendus

  1. P.-J. Malouin, 1767, p. 290-293.
  2. R. Calvel, 1980.
  3. Site : boulangerie.net/forums/viewtopic.php ?f=2&t=12764&hilit
  4. R. Calvel, 1997-1998 b, p. 22-24.
  5. M.Brandt et M.Gänzle, p. 395.

 

596 vues