Rémi BOYER

Historien-auteur

Membre de la Société des Gens de Lettres

Le pain tient une place essentielle dans la culture française. Le pain à la française, en ses multiples déclinaisons, est une référence mondiale et un marqueur de l’art culinaire français.

     L’histoire, si peu ordinaire, des compagnons boulangers que nous livre Laurent Bourcier est une contribution exceptionnelle au patrimoine français.

     Véritable bible sur l’histoire des compagnons boulangers et pâtissiers, comme le dit Laurent Bastard dans sa préface, les quatre volumes, réunis en coffret, fruits de plus de vingt ans de travail, seront non seulement une référence pour les compagnons boulangers et pâtissiers, mais pour les compagnons en général et au-delà, car ce travail impressionnant est un exemple rare de recherche historique véritablement aboutie. Deux mille pages, une iconographie riche et pertinente de sept-cent cinquante illustrations noir & blanc, témoignent non seulement de l’histoire agitée de la boulangerie depuis deux siècles mais de notre histoire.

     La naissance des compagnons boulangers demeure énigmatique, entre réalités et fictions. Laurent Bourcier remonte au XVIème siècle afin de démontrer comment la fondation des compagnons boulangers s’inscrit déjà dans une histoire complexe et bénéficie d’un héritage traditionnel du métier. La date de naissance supposée des compagnons boulangers est 1811.

               Plusieurs dates, plusieurs versions sont avancées. Dans l’une d’elle, la fondation s’organiserait autour d’une transmission mystérieuse par des compagnons doleurs et plus particulièrement de Michel Corbineau dit Nivernais Frappe d’abord. Mais d’autres versions proposent d’autres noms pour initier le processus. Des légendes se sont formées et Laurent Bourcier cherche à reconstituer au mieux l’histoire et présente des hypothèses, les plus plausibles possibles. A partir de ce commencement qui garde ses secrets, Laurent Bourcier nous instruit d’une histoire singulière au sein du compagnonnage, non seulement celle d’une institution qui dût convaincre et s’imposer face aux réticences ou résistances d’autres corps compagnonniques mais aussi celle d’hommes et de femmes qui contribuèrent à l’édifice.

      Les quatre volumes présentent une grande rigueur. Chaque sujet abordé est étayé par des documents. Les incertitudes sont cernées analysées et converties en hypothèses constructives. Laurent Bourcier explore jusque dans les détails tout ce qui caractérise les compagnons boulangers, rites, règles, symboles, blasons, itinérances, noms, lieux, relations, formations… Il réussit à faire saisir au lecteur l’évolution des rites sans en dévoiler les mystères. Il nous fait vivre le quotidien difficile et engagé des compagnons et des Mères à travers le temps, par des témoignages multiples ou des anecdotes. Il met en perspective les mouvements de l’histoire, scissions, évolutions techniques, reconnaissances, enjeux politiques, grèves, alliances… et les difficultés à traverser les grandes crises, révolutions ou guerres. Les compagnons ne sont pas apolitiques, ils se veulent souvent acteurs de leur époque et sont aussi parfois balayés par des forces qui les dépassent.

        Laurent Bourcier rappelle que le compagnonnage et la franc-maçonnerie n’ont aucun lien originel même si, étant deux institutions initiatiques, elles connaissent des croisements culturels et des influences mutuelles. Malgré les travaux de recherches, l’illusion d’une origine commune persiste. Ce caractère initiatique, au plus proche du réel, apparaît tout au long de l’ouvrage, non seulement dans les symboles et les rites mais dans le rapport même entretenu avec la matière qui se transforme en pain, le pain qui est la vie, et qui fait de la boulangerie, comme de la pâtisserie, un art véritable. Il existe une poésie de la matière. D’ailleurs, Laurent Bourcier évoque longuement les bardes et poètes des compagnons boulangers du Devoir. Comme pour d’autres corps compagnonniques, les chants et les poèmes rendent comptent des difficultés et des joies du métier, mais sans doute plus encore de la fraternité et du partage.

      Laurent Bourcier se situe dans un processus de recherche historique. Il rend hommage à ceux qui l’ont précédé depuis Libourne le Décidé en 1859 et appelle de futurs compagnons à poursuivre et approfondir son travail. Il reste que celui-ci apparaît bien comme incontournable à la fois par la somme d’informations et de documents qu’il rassemble mais aussi par l’écriture de l’auteur qui sait rendre vivant et intime l’un de plus beaux métiers qui soient. Cette œuvre considérable et passionnante pourrait aussi servir d’exemples à d’autres corps compagnonniques afin de préserver et rendre visible des matières inestimables.

 

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