Laurent Bonneau, l’apôtre du bon pain
Compagnon resté fidèle au Devoir et fondateur de Boulangerie.net, Laurent Bonneau contribue à la noblesse du pain français en travaillant avec du blé ancien.
Installé depuis une vingtaine d’années rue d’Auteuil, à Paris, Laurent Bonneau exprime tout le plaisir qu’il tire à fabriquer le pain de Cucugnan, avec une farine rigoureusement naturelle.
Quelle est la spécificité de votre pain de Cucugnan, très prisé de vos clients ?
Laurent Bonneau : Évoquer ce pain et la filière Cucugnan qui tire son nom de la commune dans l’Aude où est produit cette farine suppose un bref retour en arrière. Il y a une vingtaine d’années, la profession était en pleine dérive avec l’essor des produits industriels, particulièrement le cru surgelé. Pour nous artisans, c’était inquiétant et démotivant. En 1993, le décret instituant « le pain de tradition française » a certainement sauvé la profession. Depuis, seuls les artisans qui pétrissent, cuisent sur place et n’ont pas recours à la surgélation peuvent revendiquer cette appellation dans leur boulangerie. Ce décret n’a pas tout réglé, notamment les dérives au niveau des farines. Il y a encore dix ans, il était très difficile pour ne pas dire impossible de connaître la composition des farines avec lesquelles nous travaillions, particulièrement au niveau des additifs. Nous avions même des difficultés à travailler les farines bio. J’ai pris connaissance il y a quelques années sur Internet de l’existence d’un cultivateur meunier, Roland Feuillas, qui proposait un blé ancien rigoureusement naturel, tant au niveau de la culture que de la mouture. Je me suis rendu sur place à Cucugnan, près de Perpignan, pour vérifier l’exactitude de ses propos et, convaincu, j’ai décidé de travailler avec cette farine.
En quoi est-elle différente ?
LB : La valeur nutritive de cette farine est six fois supérieure à celle d’une farine classique. Vous ne trouverez pas d’acide ascorbique qui favorise la panification ou un quelconque additif. En revanche, même le germe du blé est moulu ce qui me fait dire qu’on dispose là d’une matière pure. La contrepartie est que cette farine produite de façon locale est rare donc plus chère puisqu’elle atteint 4 euros le kilo. Nous ne sommes qu’une dizaine de boulangers en France à la travailler. Je ne dispose que de 40 kg de cette farine par semaine, mais c’est un véritable plaisir. Les clients ne s’y trompent pas. C’est gratifiant et très rassurant de constater qu’ils sont de plus en plus à privilégier l’authenticité et le bon goût.
On vous dit disciple de Lionel Poilâne, pourquoi ?
LB : On peut le dire. M. Poilâne a été le premier à réintroduire dans les années 70 la fermentation naturelle qu’est le levain. Le secret du bon pain passe par la maîtrise de la fermentation, c’est un peu comme pour le vin. Il y a une nuance de taille entre préparer soi-même son levain, et mettre un paquet de levure dans une pétrie. Le consommateur, là encore, fait la différence sur la saveur et la conservation du pain.
D’où vous est venue l’idée de créer le site Boulangerie.net ?
LB : Avant même l’essor d’Internet, dès 1989, je conversais dans des groupes par les réseaux avec des gens d’origines diverses, ingénieurs, médecins, boulangers, dont beaucoup étaient Australiens, Américains, Belges… J’ai été très surpris de constater leur appétence pour le pain et j’ai créé alors le French Baker’s Club. Avec l’arrivée d’Internet, je me suis aperçu qu’en tapant « boulangerie », il n’y avait que deux noms qui ressortaient, celui d’une boulangerie industrielle et le nôtre. J’ai décidé alors de créer un site pour les artisans et les consommateurs. Devant leur engouement, j’ai déposé le nom boulangerie.net en 1997 et mis en place nos premiers forums et newsletters. Depuis 2003, nous sommes passés sur des outils et langages plus sophistiqués, en open-source et PHP notamment.
Quelle est la vocation de Boulangerie.net ?
LB : Le portail s’adresse à la fois aux artisans et aux consommateurs et traite de tout ce qui a trait à la filière pain. Il est riche de plus d’une vingtaine de forums, propose des espaces affaires et emplois, des photos, des recettes, des dossiers techniques et une librairie professionnelle. Ce sont des artisans boulangers qui l’animent de façon bénévole. Notre vocation est de rester neutre et indépendant tout en préservant notre esprit critique. Il y a un noyau d’artisans qui veille au respect de ces points, notamment Marc Dewalque, un boulanger belge que nous surnommons amicalement le professeur, au regard de toutes ses connaissances.
Quelle est la dimension du site aujourd’hui ?
LB : Nous enregistrons environ 60 inscriptions par jour, comptons 60 000 membres dont 30 000 actifs et entre 7000 et 8000 visiteurs par jour.
Quel conseil donneriez-vous aux jeunes qui se destinent à la profession ?
LB : Compagnon boulanger, l’enseignement qu’on m’a prodigué l’a été avec passion et générosité. Notre profession est confrontée à un déclin depuis une vingtaine d’années, certains apprentis peuvent par exemple passer le CAP sans jamais avoir tourné de croissants car leurs employeurs travaillent en cru surgelé. A contrario, grâce au label « pain de tradition française », on trouve de plus en plus de bons pains dans les boulangeries françaises. Il y a donc aujourd’hui les artisans boulangers et ce que l’on peut nommer les commerçants boulangers. Mon conseil est de privilégier la filière à même de transmettre toute cette passion et cette générosité dont on a fait preuve à mon égard.
Découvrir la boulangerie de Laurent Bonneau : www.bonneau.fr
En savoir plus sur Boulangerie.net : www.boulangerie.net
Publié le 14/12/2013 par Rémi Langlet
http://www.franceregion.fr/laurent-bonneau-l-apotre-du-bon-pain-art256