« Les boulangers » par Jean Vignaud

Les poètes sociaux (1909)

Nous avons découvert ce splendide poème dans Les poètes sociaux ; anthologie de poésies sociales, par Georges NORMANDY et M.-C. POINSOT (1909). Il est signé Jean VIGNAUD, sur lequel nous n’avons guère trouvé d’informations. Sans doute est-ce le même Jean VIGNAUD, né en 1875 et mort en 1962, qui fut journaliste et écrivain, et qui présida de 1936 à 1944 la Société des Gens de Lettres.

L’atmosphère qui se dégage de ce poème est mystérieuse : au milieu de la nuit, alors que la vie des autres hommes s’est arrêtée, il en est qui s’activent quasi religieusement (ils « ressemblent à des prêtres ») pour préparer le pain (« l’auguste nourriture ») qui reconstituera les forces des hommes au petit matin, comme une « chair qui refera jeune toute la terre ».

Le contraste est profond entre le ciel étoilé et les rêves des dormeurs, et l’obscurité du fournil souterrain illuminé comme par un feu sacré, où s’activent des hommes demi-nus. C’est un cycle qui est ainsi décrit, celui de l’alternance du jour et de la nuit, du travail et du repos, et de la lente rénovation des corps qui s’opère durant la nuit par le travail sacré des boulangers, qui sont « des frères »…

LES BOULANGERS

Les toits sont endormis. Nul bruit. La ville immense
Tait ses mille rouets et cache ses fuseaux :
Les étoiles ont l’air de fleurs d’or sur les eaux,
La terre est un berceau qu’un dieu caché balance.

Pour reprendre demain leurs tâches quotidiennes.
Et partir quand s’allume au levant le soleil,
Les hommes inquiets réclament le sommeil,
Avec l’espoir, l’oubli des tristesses anciennes.

Pendant que nos désirs errent à l’aventure,
Blancs oiseaux exilés vers des ciels inconnus,
Des frères, au travail, le torse et les bras nus,
Préparent de nos corps l’auguste nourriture.

« Des frères, au travail, le torse et les bras nus… » Gravure, fin XIXe s.

Leurs mains aux doigts nerveux pétrissent les farines,
Toute l’âme légère et féconde des blés,
Et les grains qui s’étaient dans l’espace envolés,
Tombent en purs manteaux sur les larges poitrines.

Les humbles boulangers ressemblent à des prêtres
Officiant, de leurs étoles revêtus,
Qui mêlent au levain leurs solides vertus
Pour rénover les corps et les âmes des êtres.

Lorsque de l’aube enfin la candide lumière
Sèche le sol foulé sous les pas de la nuit,
Les hommes des brasiers défournent le pain cuit,
Dont la chair refera jeune toute la terre. »

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