Le sucre au XVIème siècle

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Les préparations de sucre au XVIème siècle

Si tous les «festins de roi» comportaient un dernier service (le quatrième) appelés parfois «les fruits» (1), se dénommera pour finir ; «les desserts» avec l’arrivée de plats plus élaborés et notamment la maîtrise progressive du sucre en décoration et en mélange, c’est-à-dire les confiseries et pâtisseries.

Une première recette de sucre extraite du livre de 1604 écrit par Lancelot De Casteau, Montois et Maître Cuisinier de trois Princes de Liège est la pâte de sucre (2). C’est un simple mélange de sucre «bien tamisé par un fin tamis» et de gomme adragante (3) «bien trempée en eau de rose» (4). Nous aboutissons au pastillage de l’époque avec cette recette de base.

SucreXVI.1SucreXVI.2SucreXVI.3

Confiseur pilant pour casser le sucre ou mélangeant gomme et sucre,

les haches, serpes, racloirs sont utilisés pour débiter le sucre vendu en pain,

l’étamine à filtrer pour clarifier ou blanchir le plus possible le sucre

Documents extraits de l’encyclopédie de Diderot & d’Alembert

Lancelot de Casteau utilise cette recette pour la décliner en «Caneline», réalisée après abaisse de la pâte à sucre où l’on aura préalablement mélangé au mortier, «de la cannelle tamisée bien fine». On prend ensuite «des bâtons de la grosseur d’un doigt» et on roule «la pâte dessus ». Puis «étant ressué tirer-les hors du bâton et mettez-les sécher au four».

Deuxième variante, la pâte d’orange, il faut mélanger «un satin – ±100 gr.- de pelures d’oranges bien séchées au four» à la pâte de sucre. La forme choisie est creuse «grande ou petite» et on la passe au four pour sécher.

Troisième variante, la fongeline, où c’est «quatre grains de musc (5) bien écrasé avec de la poudre de sucre blanc» que l’on mélange avec «la pâte de sucre».

La présentation est en forme de noix et avec une dorure au jaune d’œuf sur laquelle on y «sème un peu de cannelle». Un passage au four un peu plus chaud que les recettes précédentes afin qu’il «puisse un peu lever».

La deuxième recette de base est le sucre à mouler (préparer le sucre destiné à faire des personnages et des fruits) (6)

Il mettait fondre le sucre avec de l’eau de rose (7), «autant que vous voulez avoir», il laissait bouillir ce sucre jusqu’à obtenir «comme un sirop» et pendant son ébullition (8), il prenait le soin d’ajouter «deux blancs d’œufs bien battus» (9) et les jetait dans le sucre bouillant, ceci dit-il permettait que «le sucre soit plus blanc» (10). Puis il passait «le sucre fondu par l’étamine, afin de tirer les blancs d’œufs dehors» Il remet ensuite «le sucre sur le feu», et le laisse bouillir si longtemps qu’à la fin de la cuisson qu’il donne, «en prenant le sucre avec une spatule», et que vous le «jetterez de haut, si vous voyez qu’il tombe en neige, il sera assez cuit.» Il écartait ensuite son sirop du feu et mélangeait dedans avec «une spatule tant qu’il devienne petits grains et petits bouillons»(11) afin de lui permettre de mieux le mouler dans des formes différentes tels des fruits, des figurines, ou encore des fleurs.
Lancelot de Casteau ajoute «pour la couleur de sucre…prenez pour la rouge, de la rosette de Paris (12) pour la verde, prenez du verd de vessie (13), pour la jaune, du safran, pour la brune de la couleur brun ocre».
A cette époque des princes évêques de Liège aimaient avoir à leur table (comme celles d’autres notables) des pièces montées, personnages, fruits ou fleurs, La preuve que la présentation des mets était déjà très recherchée.

Troisième recette de base, ce qu’on appelle de nos jours ; le nougat, pas aux amandes mais aux pignons de pins, la pignolate et aux pistaches, la pistachine (14)

La recette proposée par Lancelot de Casteau est de «prendre une livre de sucre fondu dans l’eau de rose» et faire «cuire longuement qu’il soit à perfection pour pouvoir en faire des formes, puis le retirer du feu» (15), C’est alors qu’il verse dans le sucre cuit «quatre onces de pignons (préalablement hachés grossièrement) et cinq cuillères d’écume de blancs d’œufs». Le tout est déposé sur du fin papier azyme en petites cuillères à deux reprises en les superposant, doré à l’œuf et que l’on peut éventuellement saupoudrer de musc.

Pour la pistachine, le cuisinier wallon décortique les pistaches de leurs gousses et puis le fait «tremper avec eau chaude» pour «qu’elles soient verdes»

NOTES:
(1) Le dictionnaire portatif de cuisine de 1767 écrit dans l’explication des termes de cuisine et d’office au terme dessert ; quatrième service composé de ce que l’on appelle les fruits, soit en nature, en compote ou en confiture, en fromage, glace, etc…. Dans leur livre de cuisine médiévale «Pain, vin et veneison », Constance B.Hieatt et Sharon Butler signalent «que les menus anglais fort rarement mention du dernier service composé de fruits, de noix, de gaufres et autres petites friandises qui faisait cependant toujours partie du repas. Cette omission fréquente provient peut être justement du fait que ce dernier service était trop courant que pour être mentionné dans les menus de grandes occasions »

(2) Page 59 de l’édition originale et p .235 de la translation.

(3) La gomme adragante est tirée d’un arbuste (l’astragalus) poussant en Moyen-Orient; plus précisément, Perse et Kurdistan. A l’époque, elle emprunte la même route commerciale que les épices. De nos jours, il devient difficile d’obtenir ce gélifiant, d’autant que les gélatines d’origine animale sont refusée par un monde de consommation halal qui s’autorise exclusivement ce type de liants d’origine végétale.

(4) Quand le Manuel suisse de boulangerie-pâtisserie de 1949 présente la gomme adragante, il précise que «lors de son emploi, on la ramollit pendant un où deux jours dans l’eau, puis on la passe et la mélange avec du sucre glace, éventuellement avec un peu de fécule et l’on prépare la pâte. La masse à la gomme d’adragante est principalement utilisée pour la préparation de pièces d’étalage. La gomme adragante est aussi employée pour la confection de pastilles et d’imitations de tous genres.»

(5) Il était extrait en grains d’une poche située sous l’abdomen de certains animaux. Le musc est recherché par les marchands d’épices et parfums de l’époque, il ne laisse de nos jours que des traces en parfumerie et est dans ce cas, souvent précisé comme non-comestible. Autre témoin, la présence du mot «musc» dans le langage actuel; du «rat musqué» à l’odeur fort pénétrante présente au moment de l’accouplement, à l’arôme beaucoup plus discrète et florale du cépage de «raisin muscat».

(6) Page 64 de l’édition originale et p. 237 de la translation.

(7) Une mention de sucre à l’eau de rose existe déjà en 1331 à Bruges. En guise de cadeau, le roi de France Philippe VI de Valois, se voit offrir ; deux livres de dragées, une livre de sucre en poudre et 3 livres de sucre parfumé à l’eau de rose. La manière de sublimer la douceur du sucre avec le parfum le plus connu, la rose, semble bien tenir la route depuis longtemps. Après l’ensablement du bras de mer, rendant inopérant le port de Bruges au XVème siècle, c’est à Anvers en 1508, que s’importe la première grosse cargaison de sucre, venant des Canaries. Trouvant difficilement acquéreur, le commerce du sucre après ce premier effet de surprise va se développer au point que l’arrivage viendra aussi de Madère, du Cap-Vert puis des Antilles et que la ville d’Anvers comptera une quinzaine de raffinerie en 1550. Ces dernières n’obtenaient que 50% de sucre raffiné à partir du sucre brut ; Source ; La raffinerie tirlemontoise, 1838-1988, éd. Raffinerie de Tirlemont, 1988.

(8) A quel degré de cuisson faut-il estimer cette première cuisson mentionnée comme suit ; «…jusqu’à obtenir un sirop et pendant son ébullition…». Lorsque l’on estime que cette phase est destinée plutôt à une clarification, l’obtention d’un simple sirop nous a semblé suffisante. Le dictionnaire portatif de cuisine de 1767 écrit à propos du sucre, p.333, «Celui que l’on veut employé doit être du plus beau et du plus blanc, autant qu’on pourra…C’est par cette clarification que l’on commence, ce qui se fait ainsi. Vous avez de l’eau dans une terrine, vous y écrasez de l’œuf avec la coque…vous fouettez tout cela ensemble avec une verge de bouleau, vous le jetez dans votre sucre…sur le feu en remuant toujours, vous l’écumerez avec soin quand il viendra à bouillir. Lorsque le sucre veut monter, versez-y autant de fois un peu d’eau froide pour empêcher le sucre de se répandre et de pouvoir bien l’écumer. Vous y ajoutez encore l’écume d’un blanc d’œuf fouetté tout seul, et quand après avoir écumé il ne reste qu’une petite écume blanchâtre et non noire et sale, vous voyez votre sucre resté tout clair sur l’écumoire en la plongeant sur la surface». Après retrait du feu, passage de la masse au travers «d’une serviette blanche mouillée» et alors votre sucre est «parfaitement clarifié». Opération de clarification que l’on fait «une certaine quantité de fois» dit ce dictionnaire portatif de cuisine de 1767, p. 334.
Le Confiseur Moderne de…1821 parle p.34 & 35 de cette phase de clarification pour obtenir du sucre royal, (dits aussi ; raffiné ou super fin), le plus blanc. On met dans une chaudière les cassonades les plus claires avec de l’eau chaux très faible. «On clarifie ce sirop avec des blancs d’œufs fouettés dans un peu d’eau d’alun». Nous sommes avec cette dernière mention qui se situe un peu plus de deux siècles après, avec de l’emploi de chaux et d’alun mais toujours de blancs d’œufs fouettés.

(9) Battre les blancs ? Lorsqu’on lit Lancelot de Casteau pour la neige sèche (meringue italienne) «battre pendant un quart d’heure afin d’obtenir une grosse écume et battez à nouveau les blancs jusqu’à ce tout soit réduit en écume» p.281 ou la chantilly qu’il intitule aussi, p. 272, crème en neige, suivant le même principe de réduction maximale en écume. Dans ce passage, la mention est «blancs bien battus», on n’arrive probablement pas à la neige ferme des recettes citées plus haut dans cette note et cela ne semble pas nécessaire à l’action de clarification que joue cette introduction de blancs bien battus quand même en mousse plus facile à introduire puis à retirer en terme d’absorbant d’impuretés.

(10) Si l’opération est de blanchir, ce n’est pas probablement comme pour le nougat blanc, où l’ajout de blanc d’œuf en meringue dans du sucre au grand cassé donne cet effet, mais ici on peut y voir plus une opération retirant les impuretés et rendant plus clair le sucre. Plus clair ou plus foncé est souvent traduit en wallon (qu’est Lancelot de Casteau) par blanc et noir qui sont l’expression de tendance, tirant vers le…

(11) Une cuisson qu’il semble aller jusqu’au grand boulé (118°C) niveau de cuisson habituelle pour le sucre massé, et qu’ensuite, il faisait «masser» le sucre en tournant dedans avec la spatule.

(12) D’après le glossaire de Léo Moulin lors de la réédition du livre de Lancelot de Casteau en 1983, celui-ci précise que la rosette de Paris est une sorte de vin utilisé comme colorant

(13) D’après le même auteur vu à la note précédente, voilà comment l’on produisait cette couleur. Prendre de baies de l’arbuste Nerprun (dit d’ailleurs des teinturiers), lorsqu’elles sont bien mûres et les délayées dans de l’eau d’alun puis les conservées dans des vessies de porc ou de bœuf séchées, la solution était suspendue dans la cheminée afin de se concentrer.

(14) Page 62 à 64 de l’édition originale et p. 236 à 237 de la translation.

(15) Le dictionnaire portatif de cuisine de 1767 écrit au mot sucre, p.XIV de l’intro ; «Cette subsistance que nos anciens ne connaissaient pas et dont l’usage est assez moderne…».Plus d’un siècle et demi auparavant, Lancelot de Casteau semble bien les maîtriser même si ces expressions sont difficile à interpréter, les termes qu’il emploi pour les degrés de cuisson sont «petits grains, petits bouillons, pour prendre forme, tombe en neige de la spatule», c’est moins précis que les termes qui seront employés conventionnellement après et décrit de nouveau par le dictionnaire portatif de cuisine de 1767 ; «Quand aux degrés de cuisson dans les différentes manières de l’employer, on les distingue par ces termes ; Sucre à lissé, à perlé, à soufflé, à la plume, à cassé et au caramel». Ces degrés de cuisson sont également détaillé p.335 à 336 de ce même dictionnaire.

Sucre XVI 4

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Sucre XVI 6

Marc’s (DEWALQUE & WALCH)

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