Le Pain 1/2

Au hasard d’une recherche sur un symbole maçonnique, je suis tombé sur un site nommé l’édifice, et j’ai découvert ce très beau travail sur le pain présenté par deux  Maçons aux Frères de leur loge.  www.ledifice.net

Présenté de façon originale sous forme de dialogue entre Jean et Paul, un peu longue pour être présenté en une seul fois sur notre site, nous nous permettons de la « partager » en deux parties, comme l’on partage le pain entre deux compagnons et de l’illustrer pour le plaisirs des yeux. J’espère que les auteurs nous en voudrons pas.

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité C.P.R.F.A.D.

Préambule, étymologie et historique
 

          – Jean –
Mes Frères, nous tenons à vous faire partager une recherche que nous avons menée tous deux, sur le pain, en tant que nourriture essentielle de l’homme.

Au préalable, nous avons pensé nécessaire d’éclaircir deux aspects portant sur la forme et le fond de cette planche, que nous avons voulue délibérément, un peu différente des productions habituelles.

La forme tout d’abord.

Comme vous avez pu le constater, nous sommes deux pour présenter ce travail. Une planche à deux voix, penserez-vous, chaque intervenant exposant un aspect du sujet, voilà quelque

chose de relativement courant. Mais pour éviter l’écueil des difficultés qui caractérisent ce type de présentation, à savoir l’articulation toujours délicate des deux exposés, nous avons désiré procéder autrement. Plutôt que deux monologues, successifs, issus de pensées différentes, nous avons opté pour un dialogue, qui sera le fruit, abouti ou immature peut-on savoir, de nos communes recherches, connaissances et réflexions sur le thème choisi. Un dialogue sincère, sans partage artificiel des rôles. Une conversation, en somme, entre deux hommes, deux Frères, qui s’aiment et se respectent. Chacun, tout à tour, s’interrogeant, questionnant l’autre, et lui confiant ce qu’il pense savoir, ce qu’il ressent dans son cœur et son esprit, avec sa sensibilité et sa propre personnalité.

Ne soyez pas étonnés de nos échanges, pour embrasser l’immense symbolisme attaché au pain.
 
          – Paul –
Dialogue avons-nous dit ! J’apporte une précision sur l’autre aspect cité plus haut, le fond, ou plutôt sur la langue utilisée. Vous reconnaîtrez là, le deuxième Surveillant en titre, qui a pris l’habitude de disséquer la sémantique symbolique, base de notre expression maçonnique.

Un tel sujet est fédérateur de nombreuses techniques qui englobent, de l’agriculture à la panification, les successifs tâtonnements et découvertes de l’homme pour assurer sa survie alimentaire. La facilité nous orientait à employer un langage informatif, strictement descriptif des processus mis en œuvre pour produire le pain. Cette approche offrait l’avantage de la précision, de la véracité des faits évoqués, à l’abri des interprétations. Mais alors, comment transmettre l’idée de la permanence des choses et des êtres, sous le flux des transformations ? Comment vous faire partager la charge émotionnelle, poétique, et même mystique qui émane du pain ? Nourriture de l’homme certes, mais de quelle nourriture s’agit-il ?

Nous avons donc délibérément privilégié le message symbolique qui seul vous permettra d’attribuer le sens qui sera le vôtre, au discours que vous recevrez.
 
– Jean –

Bien entendu, certains aspects historiques, matériels ou pratiques seront évoqués. Ceux par exemple de la fabrication, oeuvre à priori essentiellement matérielle, mais oeuvre de nécessité, de beauté, d’amour du travail bien fait, qui symbolise effectivement  l’esprit du Franc-Maçon.

Entrons maintenant dans le vif du sujet, en définissant le mot et en suivant l’évolution du produit qu’il représente, depuis les débuts de l’humanité, toujours préoccupée de subvenir à ses besoins alimentaires.

          – Paul –
Il en est des choses comme des gens, ceux que l’on présente et ceux qui, sans présentation, sont déjà connus de tous. Tel est le cas du pain, mais précisons tout de même.

Le mot est dérivé du latin « panis ». Il s’écrivit « pan » jusqu’au XI° siècle pour prendre ensuite l’orthographe que nous lui connaissons. Sa signification a toujours été celle d’un aliment, d’une nourriture qui désigne la substance obtenue par le processus de panification. Si l’étymologie est simple, on constate l’importance accordée en France à cet aliment, et particulièrement  dans le passé, par le foisonnement dans notre vocabulaire, dès l’ancien français, des mots dérivés et  des locutions métaphoriques.

Il a donné « copain » au XVIII°, altération de « compain », tiré lui-même du bas-latin « companio » : celui qui partage la même ration de pain.

De même « compagnon » formé par « cum », « co » signifiant avec, et « panis » : pain. L’ancien sens de ce mot étant :  celui qui vit et partage ses activités et ressources avec quelqu’un.

          – Jean –
A noter, en argot militaire : se « pagnoter » qui se disait des soldats partis en débandade pour chercher leur nourriture, leur pain quotidien.

          – Paul –
Enfin : « panade », avec le sens de la misère, comme une soupe de pain trempé, et « apanage » qui signifie, donner du pain,  de quoi vivre à ses enfants.

          – Jean –
Cet aliment simple qui remonte à l’aube de l’humanité a donné naissance à tant d’expressions, à tant de locutions, que sa place dans l’histoire des hommes et des religions se retrouve presque légitimée. Qui n’a pas entendu, proféré ne serait-ce que par ses proches aïeux :

– P – C’est du pain béni !
– J – Se vendre comme de petits pains !
– P – Ne pas manger de ce pain-là !
– J – Manger son pain blanc, en premier !
– P – Avoir du pain sur la planche !

Que sais-je encore ?

          – Jean –
Autant de citations qui se réfèrent à la morale, car le pain a une place importante dans les croyances et les traditions culturelles. « LE PAIN C’EST LA VIE » dit un proverbe. Inventé par l’homme, il joue un rôle important dans l’aventure de la civilisation. Cet aliment essentiel, déjà mentionné dans les textes sanscrits remonte à la plus haute antiquité. Le premier boulanger était égyptien et vivait au temps des Pharaons 3OOO ans avant J.C. Les Egyptiens connaissaient aussi, la levure de bière. Ils s’en servaient pour fabriquer un pain à la mie légère et gonflée, à juste titre réputé. Ils utilisaient déjà la farine de blé, contrairement aux Assyriens qui pétrissaient une pâte faite d’orge et de froment.

Dès leur passage en Egypte, les Hébreux rapportèrent la recette du pain, puis inventèrent par hasard le levain. Cet ingrédient qui fait du si bon pain, aurait été découvert à cause d’une étourderie : une galette prête à cuire, oubliée, se serait mise à lever naturellement ! Voilà probablement le point de départ du pain retrouvé en Europe quelques siècles plus tard.


– Paul –
Non ! Car il y a des intermédiaires. Chez les Grecs, et dans les temps archaïques on fabriquait une pâte d’orge non fermentée, appelée la « maze ». On connaissait aussi le pain au levain, mais considéré alors comme une friandise.  Avec les Grecs, l’art de la boulangerie se développa rapidement. Dès le V° siècle, avant J.C., il existait à Athènes de nombreuses boulangeries. Des femmes y pétrissaient la pâte, torse et bras nus, au rythme des joueurs de flûte. Quel dommage que cette tradition ait disparue !

Ils inventèrent par la suite le véritable four, préchauffé de l’intérieur et s’ouvrant de face. Ils ajoutaient à la pâte, diverses épices et parfums. Au 2° siècle, après J.C., l’historien Athénée rapporte qu’on dénombrait 72 variétés de pains. Je pense que c’est à partir de là, que le voyage du pain commence.

          – Jean –
Et non ! car il y a une autre étape. Les Grecs captifs des Romains apportèrent avec eux, l’art du bon pain et la boulangerie romaine prit son essor. Le plus commun des pains était une miche d’orge. Le pain blanc au froment était réservé aux riches. Cette nourriture avait un franc succès à Rome : « Panem et circenses », du pain et des jeux. « Voilà de quoi se contente le peuple ! » déplorait un poète latin. Vers 30 ans, avant J.C., sous le règne d’Auguste, on comptait 329 boulangeries à Rome. De l’Italie, l’usage du pain se répandit dans toutes les autres parties de l’Europe. Pline, fait mention avec éloge, du pain que l’on fabriquait dans les Gaules et en Espagne.

          – Paul –
Peut-être n’est-il pas opportun de trop épiloguer sur l’histoire ancienne du pain ?

          – Jean –
En effet, passons rapidement. Au moyen âge, ce n’est que sous Philippe Auguste, lorsque les maisons commencèrent à être construites en dur, que les habitants eurent le droit de fabriquer leur pain chez eux, abandonnant un peu le four communautaire. Mais bien vite, le pain, pourtant aliment de base servit alors à diverses redevances féodales. Le peuple mangeait souvent du pain noir avec beaucoup de son, parfois jusqu’à y inclure de la paille et de la glaise. Le XVI° siècle voit l’apparition de pains nouveaux, que l’on qualifierait maintenant de « fantaisie ». Au XVII° siècle, c‘est le retour du pain à la levure de bière, renouant ainsi avec la tradition des Anciens. Il faudra attendre le XIX° siècle pour que les paysans puissent s’offrir enfin du pain blanc !

Le pain a marqué l’histoire, en particulier pendant les périodes de disette. On connaît le rôle important qu’il a joué à l’aube des grandes journées révolutionnaires. Mais, pour autant, n’oublions pas une période bien plus proche, dans les années 40, où le pain blanc avait disparu des tables pour la plupart des citoyens. J’ai, pour ma part, connu le pain de substitution, rationné, à base de maïs, d’orge et autres produits succédanés.

Ainsi s’achève cet historique, volontairement succinct, préambule à notre recherche symbolique.

 Symbolique des quatre éléments et du levain

          – Paul –
Après ce chapitre, nous devons maintenant explorer les religions, les symboles et les mythes.

Soucieux d’organiser la présentation, il nous est apparu sensé que le fil conducteur devait se dévider sous l’égide des quatre éléments originels : la Terre, l’Eau, l’Air et le Feu.

Ecoute Empédocle à ce sujet : Apprends d’abord les quatre racines de toutes choses : Zeus qui rayonne, le Feu ; Héra donneuse de vie, l’Air ; Aidôneus, la Terre et Nestis, l’Eau dont les pleurs abreuvent les mortels. Encore plus perspicace, ce penseur inspiré, les combine, les mélange de la manière la plus subtile. Ecoute de nouveau : Les éléments prédominent l’un après l’autre, au cours d’un cycle, et s’absorbent mutuellement ou s’accroissent selon le rôle qui leur est assigné. Néanmoins ils restent les mêmes, et circulent, les uns au travers des autres ; ils prennent la forme des hommes, des différentes espèces d’animaux et des plantes.

          – Jean –
Voilà bien une intuition qui justifie notre propos !

          – Paul –
Oui, et nous allons montrer, combien ces quatre éléments éternels prédominent aux différents stades de la production du pain.
Commençons par la Terre.

Parmi les expériences fondamentales qui déclenchent, consciemment ou non, chez tout être humain, l’intuition des choses symboliques, l’une des plus importantes concerne le lien vital avec la mère. Symbole matriciel par excellence, la Terre-mère, profonde et archétypique est celle qui fait rêver les dormeurs et les poètes, celle qui sous-tend un grand nombre de mythes et d’expressions symboliques.

Limitons-nous à son potentiel reproductif.

La Terre reçoit les graines de semence, qui d’une certaine manière percent sa résistance naturelle, d’abord dans un mouvement descendant pour s’implanter légèrement en-dessous de sa surface, puis dans un mouvement ascendant pour s’élever sous forme de tiges, en direction de la lumière et de l’air libre.

Cela explique que, depuis toujours, on ait reconnu à la Terre un caractère sacré, lié à la sacralité même de la vie. La Terre-matrice, en tant que réservoir inépuisable de forces inouïes, évoque donc le mystère de l’apparition et du renouvellement des espèces vivantes.


          – Jean –
Reconnais cependant, mon Frère que si la Terre recèle des énergies insoupçonnées, elle présente aussi un caractère ambigu. D’un point de vue positif, elle porte la vie, la richesse et l’abondance, mais d’un point de vue négatif, elle est indéniablement liée à la mort, à la destruction et à l’obscurité des profondeurs.

          – Paul –
Tout à fait d’accord ! Mais je ne vois là, rien de contradictoire. Nous savons bien qu’un symbole présente, presque nécessairement, une face obscure, complément de sa face lumineuse, et nous allons constamment retrouver cette bi-polarité.

Poursuivons. La Bible, abonde d’emplois figurés du mot « Terre ». La parabole évangélique du semeur, par exemple, évoque la « bonne Terre » où tombent les graines de semence, et qui les reçoit comme un « cœur » bien disposé. Cela, en opposition aux terres moins propices, celles des cœurs fermés, superficiels, qui se laissent étouffer par les passions et le souci du matériel. Car, comme nous venons de le reconnaître, si la Terre peut être fertile, par opposition, son aridité est souvent évoquée dans la Bible, sous forme de poussière, de cendre, de boue, d’argile et de désert. Seul le vieux récit Yahviste de la création attribue à Dieu, le pouvoir de modeler l’humain avec la poussière de l’humus.

          – Jean –
Avec la Terre, réceptrice et passive, l’Eau, l’Air et le Feu entrent maintenant en scène dans notre fresque symbolique.

L’Eau, de temps immémorial, l’homme s’en est servi pour exprimer son besoin d’incubation dans l’utérus maternel. Sous forme de pluie qui vient du ciel, elle porte l’espérance de vie, mais elle représente aussi pour de nombreux scientifiques évolutionnistes, l’origine de toute vie.

          – Paul –
D’un point de vue actif, le pouvoir pénétrant de l’Eau, sous toutes ses formes en fait l’agent par excellence, de l’émergence comme de l’entretien de la vie.

Pour le sujet qui nous occupe, elle rend, bien sûr, la Terre fertile et fait germer les graines. Au principe de toute croissance, elle subvient à la vie des plantes jusqu’à constituer un pourcentage presque incroyable de leur poids. Et toute perte, non compensée,  devient fatale à très brève échéance.

          – Jean –
L’Eau est vitale pour que l’épi de blé arrive à maturité, mais bien plus tard, c’est encore l’Eau qui va redonner vie à la farine, cette poudre riche potentiellement, mais qui manifeste sa soif. Par un mélange intime avec ce dérivé déshydraté de la graine, le processus immuable de la vie, de nouveau se manifeste. La pâte, ainsi obtenue réagit et, par sa plasticité se prête au travail de l’homme. Dans la fabrication du pain, l’Eau se présente ainsi, comme un symbole de régénération, de nouvelle vie.


– Paul –

L’Air maintenant. La Tradition, mais aussi le simple raisonnement, nous enseignent que cet élément enveloppe la totalité des choses et influe sur l’action des trois autres. Impalpable et invisible, léger et inconsistant, subtil et insaisissable, il remplit, pensaient nos anciens, tout l’espace entre le Ciel et la Terre. Sa présence n’est observable que par son déplacement et dans ses effets, sous la forme du souffle et du vent.

          – Jean –
J’ai retenu ce que tu viens de dire, et je note que depuis que les avancées de la connaissance scientifique nous permettent de savoir avec certitude que l’Air, tel que le conçoit la Tradition, constitue en fait, une très fine pellicule autour de la Terre, nous mesurons avec plus d’acuité l’influence bénéfique de cet élément.

          – Paul –
C’est vrai que la certitude de sa rareté ajoute un surcroît d’admiration pour cet élément. « Housai » donc à l’Air, qui emplit nos poumons pour nous purifier en rééquilibrant les échanges gazeux entre l’intérieur et l’extérieur. De la sorte, il maintient dans l’unité, les constituants matériels de tous les vivants.

          – Jean –
Je comprends et approuve ton admiration pour cet impalpable qu’est l’Air. L’air libre par rapport aux forces emprisonnantes, permet l’émergence continue de la vie en fécondant le sein de la Terre-mère. Remarquons que la Genèse, le présente moins comme souffle du Très-Haut que comme instrument de son action. Et cette action, sorte de dynamique « spirituelle », reproduit en fait, la « spiration » même de la nature vivante. Prenons pour ce qui nous occupe, le phénomène de la photosynthèse. De jour, les plantes aspirent le gaz carbonique, autrement dit, elles captent l’oxygène et le carbone qui sont la base de toutes les liaisons moléculaires nécessaires à la vie. Mais elles expirent du même coup, le surplus d’oxygène, comme pour permettre aux autres êtres de mieux respirer. Inspir et expir, ressourcement et engagement. L’Air, à n’en pas douter, est l’agent primordial, le poumon de l’existence, et c’est encore lui qui donnera vie au ferment pour expirer au sein de la pâte, en formant les bulles qui aèrent la mie de pain.


          – Paul –
Patience mon Frère ! Il reste encore à subir le quatrième voyage, celui du Feu.

Nous avons compris que la naissance biologique s’explique comme un phénomène complexe d’interactions entre l’Eau et l’Air, agissant sur la Terre réceptrice, mais sans la chaleur, la lumière, point de vie, point d’épi, et sans le feu, notre pain craquant n’est encore que pâte molle !

Le Feu, des quatre éléments, est sans doute celui que l’humanité a eu le plus de difficultés à maîtriser et c’est à ce titre qu’il n’a jamais cessé d’alimenter les rouages de l’intuition symbolique. Dans ses aspects les plus frappants, par la flamme, il éclaire, réchauffe et brûle, et ce sont ces mêmes propriétés qui déclenchent la transposition intuitive.

          – Jean –
Je t’interromps, car je ressens que le symbolisme attaché à cet élément est immense. Permets-moi de faire mon marché parmi toutes ces flammes qui ont fédéré l’inconscient collectif. Je choisirai celles qui chauffent, la flamme cosmique des rayons du soleil, et la flamme maîtrisée de la combustion des végétaux. Toutes deux produisent la chaleur, principe de renaissance et de régénération. Car si la chaleur fait mûrir spirituellement, elle participe proprement à l’éclosion de la vie. Associée à la lumière, elle va propulser hors de Terre notre épi de blé. A n’en pas douter, elle sera le carburant du moteur chimique de la fermentation de la pâte. Et, bien entendu, c’est elle, qui dans le four, va transformer l’ébauche en produit fini, en nourriture essentielle.

          – Paul –
Tu as raison mon Frère, ainsi la boucle est refermée avec nos quatre éléments situés à l’origine de toute vie biologique. Mais il reste encore un autre facteur à envisager, c’est celui propre au travail et à l’ingéniosité de l’homme. Nous pouvons maintenant évoquer le subtil travail de la fermentation du levain.

Symboliquement parlant, avec cet agent de transformation, nous nous trouvons, plus que jamais, sur le fil du rasoir de l’ambivalence du positif et du négatif.

          – Jean –
C’est bien ce qu’il me semble, puisque les religions même, se sont défiées de la fermentation, allant avec la judéité, jusqu’à proscrire son utilisation. Cet à-priori est-il justifié ? Pour élucider ce point, j’envisagerai d’abord sa face négative.

Le levain, dans la mesure où il provoque la décomposition, la pourriture et même la formation de microbes pathogènes et potentiellement mortels, évoque irrésistiblement le mal moral, la corruption, voire les forces transcendantes du mal, sous forme d’esprits maléfiques qui habitent et détériorent le cœur de l’homme.

          – Paul –
Pour cela, sans doute, en Israël, il fut interdit de la plus haute antiquité, l’utilisation du levain, dans une offrande présentée à Yahveh. Seul, le pain azyme, de azymoi : sans levain, était utilisé. Le livre de l’Exode 12 – 15 est explicite à ce sujet : Sept jours, vous mangerez des azymes ; dès le premier jour, vous ferez disparaître le levain de vos maisons, car, quiconque mangera du pain fermenté, depuis le premier jour jusqu’au septième jour, cette gorge-là sera retranchée d’Israël.  A la notion évidente de putréfaction, s’ajoute, toujours en négatif, avec la propriété de conservation, voire de perpétuation du levain, un présupposé de vétusté, de périmé. Le pain offert et mangé doit alors être issu d’une pâte complètement nouvelle, non équivoque, symbolisant un nouveau commencement, un re-commencement. Ne détruit-on pas toujours symboliquement, tout ce qui évoque le passé révolu ?

          – Jean –
Certes. L’on peut comprendre ces réticences à l’usage du levain. Pourtant, les aspects symboliques positifs de ce ferment ne manquent pas.

Dans la mesure où il modifie pour le mieux les substances auxquelles il se mêle, le levain peut servir à symboliser, chez l’homme, un changement profond et positif. Principalement, l’ouverture à une connaissance supérieure et secrète, peut-être à l’immortalité, par la rénovation et la transformation radicale de tout l’homme.

A ce titre, la célébration chrétienne de l’Eucharistie, hésite entre les deux interprétations. Si les catholiques occidentaux utilisent obligatoirement du pain azyme, chez les Orientaux par contre, le pain fermenté est de règle. Lors du grand schisme de 1054, la querelle des azymes a d’ailleurs joué un rôle catalyseur.

Que dire, sinon que la démarche symbolique balance à ce sujet. Si l’imagination tire du levain une image toute positive de croissance, à l’inverse, l’intuition en fait un symbole essentiellement négatif, de corruption et de vétusté.

          – Paul –
Ainsi, au terme de ce long voyage consacré à l’examen des éléments fondamentaux qui conditionnent l’obtention du pain, nous avons dit beaucoup, mais nous n’avons pas encore mis à jour le symbolisme profond se rapportant au produit lui-même.

C’est à quoi, nous allons maintenant nous attacher.

 

 

Chapitre 3 : Symbolique du pain

          – Jean –
Cette musique inspirée nous amène, bien évidemment à développer la symbolique du pain. Mais, comment procéder ?

          – Paul –
Eh bien ! Nous pouvons, par exemple, reprendre l’expression déjà citée : « le pain, nourriture essentielle du corps et de l’esprit », et tenter de la décliner selon ses différentes composantes. Là encore, le sujet est vaste, nous nous limiterons, si tu le veux bien à l’essentiel.

          – Jean –
Ce plan me convient car il va nous permettre, de mettre en évidence pourquoi, au fil du temps, le pain a pris une telle importance, au point de symboliser une des nourritures essentielles de l’esprit.

          – Paul –
En effet, et c’est par un questionnement préalable portant sur la réalité observable et concrète que nous pourrons, peut-être, comprendre comment s’est déclenchée la transposition symbolique. Ainsi, nous serons dans le droit fil d’une recherche qui doit nous amener, du symbolisant observable, au symbolisé imaginatif et intuitif.

Voyons cela. Nous le savons, le pain constitue un élément nutritif essentiel pour l’homme. A l’exception des graisses, il peut suffire à assurer la subsistance. Je note au passage que l’habitude provençale d’une tranche de pain, associée à des olives ou arrosée d’un filet d’huile, constitue un aliment complet.

          – Jean –
Eh oui ! Le pain est une base alimentaire essentielle, nécessaire et souvent suffisante en cas d’extrême pauvreté, de disette, ou tout simplement de voyage, car  il se conserve et se transporte facilement. Déjà la céréale, parmi les produits de la Terre, est un des rares que l’on peut stocker quelques mois sous forme de grain, et encore longtemps, lorsqu’il est réduit à l ‘état de farine, pour autant qu’on le protège de l’humidité.

          – Paul –
Par ailleurs, ce qui en fait un élément nutritif précieux et recherché, c’est que si la culture du blé est répandue, elle n’en est pas moins aléatoire. Elle est soumise pendant de longs mois aux aléas thermiques et hygrométriques. Les grands vents couchent l’épi et les parasites de toutes sortes l’affectionnent. Je pense aux nuages de sauterelles, qui comme en Afrique, dévastent en quelques heures les plus belles récoltes. Le fermier, des semailles à la moisson, doit constamment se préoccuper de séparer, opérativement le bon grain de l’ivraie. La culture du blé demande assurément vigilance et persévérance !

A suivre….

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