Le boulanger échassier

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Sylvain DORNON, le boulanger échassier.

Né a Salles le 29 octobre 1868, d’un père résinier (récoltant la résine de pin) et d’une mère cultivatrice, son état-civil indique Jean pour seul prénom, mais dans la vie, on le prénomme Sylvain. Il est, à son adolescence, jeune berger, comme beaucoup de copains de son age. Puis épouse la profession de boulanger.

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Sylvain à une passion, qui le sort du fournil, ce sont  les échasses, qui commencent à cette époque à disparaître du paysage Landais.

Déterminé qu’il est à faire connaître l’usage des échasses et surtout pour dépayser les estivants fortunés qui commencent à découvrir les plaisirs balnéaires de la côte, il organise un groupe de danse sur échasses, le « tchancats ». Et c’est devant un nombreux public dans le parc du Casino Mauresque d’Arcachon qu’il présente pour la première fois ce groupe, le 4 août 1889.

Le spectacle commençait par des  épreuves sportives et des courses, se poursuivait par des danses, partie au cours de laquelle était exécuté « Lou quadrillhs dous tchancats  » (le quadrille des échassiers). Le public médusé lance des pièces aux échassiers qui doivent les récupérer avant le voisin.  La réussite est à celui qui sera le plus habile et le plus acrobate.

Ces démonstrations d’habilite de ces bergers vêtus de peaux de mouton, pieds nus ou chaussés de sabots apportent aux riches spectateurs vêtus des plus beaux habits des modes parisiennes  des sensations d’exotisme…

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Si flatteur que fût ce premier succès, il ne suffit pas à satisfaire les ambitions du boulanger échassier, qui résolut de frapper un grand coup à l’occasion de l’exposition universelle de 1889: l’ascension de la Tour Eiffel sur échasses.

Cet exploit insolite, s’il lui valut une certaine notoriété, ne lui apporta pas la fortune, et Dornon décida de se lancer dans une nouvelle aventure, bien plus précieuse… une exposition française doit avoir lieu à Moscou en 1891, c’est décide, il s’y rendra sur échasses au départ de Paris, et arrivera pour l’inauguration!

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De Paris à Moscou en échasses !

(D’après « Revue de la Marne », paru en 1891
et « Le Petit Journal », n° du 13 mars 1891)

Le départ avait été annoncé pour le 12 mars 1891 à neuf heures trente. Attendant l’arrivée de Sylvain Dornon qui devait partir de Paris pour se rendre à Moscou sur des échasses, près de 4000 curieux sont rassemblés dès neuf heures.

Mais l’homme aux échasses n’arrivant pas, la foule ne peut manquer de chercher à se distraire aux dépens des omnibus, des voitures ou des vélocipèdes qui se dirigeaient vers l’Arc de Triomphe ou qui en venaient.

Quand un véhicule d’une espèce quelconque se présente, il est aussitôt entouré : « Le voilà ! Le voilà ! », Crie-t-on. Ahurissement des cochers, des voyageurs ou des vélocipédistes qui, se voyant assiégés brusquement par plus d’un millier de personnes, n’y comprennent rien. Il est neuf heures trente-cinq ! « Le voilà », crie-t-on pour la centième fois ; mais cette fois c’est lui. Il arrive par le côté opposé à celui où la foule l’attendait, naturellement, et en fiacre. Aussitôt les curieux se précipitent vers la voiture et font autour de Sylvain Dornon une barrière de plusieurs mètres d’épaisseur.

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Le départ de Dornon, se rendant de Paris à Moscou sur des échasses

Sa taille est immense, ainsi, et provoque le rire. Un gamin le compare à l’obélisque voisin ; un autre demande si c’est la tour Eiffel qui s’en va. La foule, un peu gouailleuse, suit les premiers pas sonores de l’échassier sur les dalles de la place ; puis, elle s’écarte, et le voilà parti ! D’une allure rapide et régulière, il s’éloigne, ouvrant et refermant le compas énorme de ses jambes postiches, dévorant l’espace à chaque mouvement, et paraissant, là-haut, vêtu d’une peau de bique, avec son léger bagage en bandoulière, comme un immense informe qui marcherait sur des tibias sans pieds.Mais l’intrépide voyageur ne tarde pas à se hisser sur ses échasses. Il porte le costume des bergers landais : béret brun, pelisse en peau de mouton, culotte en gros velours ; aux jambes, de fortes lanières en cuir fixant les échasses, hautes d’un mètres dix, construites par lui, entièrement en bois blanc et pesant un kilo six cent grammes chacune ; dans un petit sac en sautoir, du linge, des cartes de l’état-major français et d’excellents levers des routes d’Allemagne. Comme une seule paire d’échasses, en cas d’accident, serait insuffisante, Sylvain Dornon en a fait expédier une seconde paire à Moscou, d’une hauteur de beaucoup supérieure à l’autre, et sur lesquelles il compte faire dans cette ville une entrée triomphale.

Il tourne le coin de la place ; il parcourt la rue Royale, les boulevards, la rue Lafayette ; il atteint les hauteurs septentrionales de Paris et sort de la ville, toujours curieusement regardé au passage par la cohue des badauds et salué de souhaits ironiques de bon voyage, au fond desquels il y a cependant, malgré la bizarrerie de son équipage, un peu de sympathie voilée. Il va si loin ! Des dépêches télégraphiques arriveraient journellement de toutes les stations où s’arrêterait Dornon.

Note : Sylvain Dornon avait passé un accord avec L’Illustration qui finança son voyage, passant par Reims, Sedan, Luxembourg, Coblentz, Berlin, Wilna, et parvenant à Moscou le 10 mai suivant.

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En 1892, Sylvain Dornon fait paraître un opuscule racontant son voyage vers Moscou, dont voici quelques extraits:

Sans titre8MOSCOU

« J’avais pris pour Moscou un billet de 3ème classe, mais le personnel me fit monter en seconde, où je me trouvai en face de deux Français, un Bordelais et un Parisien, qui parurent enchantés de la rencontre.

A l’arrivée, comme j’attirais l’attention, sans doute à cause de mon béret marron et de mes vêlements on lambeaux, un de mes compagnons, M. Tillel, qui représentait à l’Exposition une maison d’aluminium, me procura une voiture et fixa avec le cocher le prix pour aller à la poste et à l’Exposition et retour à la gare, soit un rouble (environ 3 francs). Je trouve à la poste une dizaine de lettres et de journaux, et je me rends à l’Exposition, où je trouve une foule de Français et de Russes qui m’attendaient, ayant été prévenus que je devais y aller. Aussitôt arrivé, je vais voir M. le directeur Dautresme, et je lui demande des renseignements au sujet des formalités à remplir pour suivre le cortège d’inauguration de l’Exposition, qui devait avoir lieu le lundi suivant. M. Dautresme alors me fit cette réponse mémorable : — Allez vous faire f… ! (Sic).

Et comme si une fois ne suffisait pas, il le répéta.

Il ne me restait plus, après cela, qu’à le remercier de ce touchant accueil, ce que je fis en lui exprimant des sentiments analogues. Ai-je besoin d’ajouter combien cependant mon découragement était grand ? Je regagnais tristement ma voiture pour retourner à la gare quand un riche propriétaire, M. Paupoff, m’arrêta et m’envoya avec recommandations à plusieurs de ses amis, notamment chez un correspondant général de la presse russe et chez un riche tailleur, chez lesquels je fus cordialement reçu et hébergé, et qui se chargèrent des démarches à faire auprès du préfet de police pour mon entrée officielle, qui fut fixée au dimanche 10 mai. Enfin, je passai la soirée avec eux, et le lendemain je repris le train pour Schalikow, où je repris mes échasses pour continuer ma route.

Aucun incident ne vint marquer ma route.

A Koutzowo, je fus rejoint par trois cavaliers qui viennent me réclamer pour m’accompagner pendant ma dernière étape. Bientôt nous traversons la Moskowa sur un radeau, et, vers onze heures, aux portes de Moscou, une sorte de cortège se forme pour l’entrée en ville : des vélocipédistes, des équipages, des cavaliers, une foule immense de piétons, et enfin un piquet de police commandé par un officier qui vient m’annoncer que la grande allée m’est réservée et qu’un équipage m’attend devant la porte centrale de l’Exposition.

Nous nous mettons en marche, et .partout c’est une vaste manifestation franco-russe. Nous arrivons. Mais il faut entrer ! dit un de mes compagnons. Je n’ai pas de permission. Qu’à cela ne tienne… Les portes s’ouvrent, et mes compagnons, me prenant la main, me font franchir l’entrée de l’Exposition. Ainsi, me voilà donc au but de mon voyage !

C’est pour venir ici que j’ai marché pendant cinquante-huit jours !

Un sentiment indéfinissable de contentement me saisit, et c’est la joie au coeur que je fais le tour de l’Exposition, escorté par mes compagnons.

A la grande porte centrale, mon équipage m’attend. Je saute à bas de mes échasses et je chausse les sandales que j’ai apportées de Paris. Je remonte seul en voiture, et nous partons vers l’hôtel de Paris, où une chambre est retenue à mon intention.

MM. Paoloff et Serviac n’ont pas cessé, depuis le matin, de me suivre à cheval, ainsi que M. Sigé.

Aussitôt arrivé à l’hôtel, la grande salle s’emplit de curieux et de journalistes qui sollicitent quelques notes. Je leur donne satisfaction, et, le lendemain, les journaux ne tarissaient pas d’éloges à mon égard.

Je me reposai quelques jours. Ma malle étant enfin arrivée, je pus changer mes vêtements déguenillés contre une tenue convenable, et je portai mes pas vers l’Exposition. Sur la demande des exposants, je renouvelai mes démarches, qui n’obtinrent pas plus de succès que la première fois. Sur ces entrefaites, j’écrivis à quelques journaux, notamment au Figaro, au Petit Journal et au Petit Parisien, ainsi qu’à la Gironde, de Bordeaux, leur exposant les vexations dont j’étais victime. Quelques jours plus tard la direction fut complètement changée, et je reçus l’autorisation.

Saint Petersburg

Je ne puis terminer la fidèle relation de mon voyage sans dire quelques mots du court laps de temps que je passai dans la capitale russe. Engagé au Jardin Néméti, je fus pendant quelques jours l’objet de la curiosité générale. Mais cela donnant lieu à des manifestations par trop franco-russes, je dus m’y soustraire, et je passai ensuite une semaine à visiter la ville et les îles.

Un jour, un clown allemand porte un défi de 250 roubles (environ 700 francs), pariant de marcher en échasses plus vite et plus longtemps que n’importe qui. Je relève le défi et gagne sans peine le pari devant une foule de 6 000 personnes.

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Médaille commémorative de l’Exposition Française a Moscou de 1891

Voici comment les journaux russes parlèrent de cette course :

« Nous aurons ce soir, au champ de bataille de Kristosqui, un grand combat en échasses. Trois nations sont en ligne : la France, l’Allemagne et la Russie. Qui emportera la victoire ? Nous l’ignorons, mais nous en rendrons compte demain. »

Et le lendemain on lisait :

« Voici le résultat de la bataille de Kristosqui : Au combat qui a eu lieu hier, la bataille a été gagnée par la France, qui a fait dix luttes ; l’Allemagne en a fait trois et la Russie deux. Le champ d’honneur est

Donc resté libre à la France aux grands applaudissements de la foule. »

Sans titre11Malgré ce remarquable exploit sportif : Paris Moscou sur échasses, en moins de deux mois,  le retour de Dornon à Arcachon passa presque inaperçu. Il reprit alors son métier de boulanger, sans cesser de se consacrer à la cause de l’échasse, et jusqu’à sa mort en 1900, à l’âge de 42 ans, il participa à de nombreuses courses locales.

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

Commentaires concernant : "Le boulanger échassier" (1)

  1. DORNON a écrit:

    Après avoir demandé à Jean Jacques Cluzeau ,mon instituteur ,spécialiste en généalogie, de rechercher si un lien de parenté existait, entre nous,il s ‘avère que Sylvain DORNON fait partie de mes ancêtres.
    Merci beaucoup pour votre article.

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