La galette du Gymnase

Au milieu du XIXe siècle, un pâtissier parisien dont le nom est resté inconnu, créa une boutique près du théâtre du Gymnase dans le Xe arrondissement, 38, boulevard de Bonne-Nouvelle. Il y vendait une galette qui connut une extraordinaire célébrité.

Le théâtre du Gymnase en 1840

Dans l’hebdomadaire L’Ami de la maison du 7 février 1856, un récit intitulé « Le Boulevard en hiver », signé de P. Nibelle, nous montre le narrateur conduisant son oncle venu de Châteaulin dans un but précis :

« Mon oncle était venu du fond de sa Bretagne à Paris avec deux idées dans la tête, deux caprices à satisfaire : le premier était de voir la capitale, le second de manger de la galette du Gymnase. » P. Nibelle décrit la surprise de son oncle devant l’agitation des Parisiens et son impatience à déguster la fameuse galette…

« En passant devant le Gymnase, je fis remarquer à mon oncle le fameux établissement de la galette.
– Y allons-nous ? dit-il.
– Plus tard ; il n’y a pas assez longtemps que nous avons déjeuné. »

Et la promenade se poursuit, et quand arrive le soir : « Avec la nuit qui s’annonçait belle et les étoiles qui se montraient au ciel, c’était un spectacle magique qui tirait à mon oncle des exclamations de surprise et d’enthousiasme. Ce qu’il avait vu n’était que l’ombre de ce qu’il voyait. La foule, plus nombreuse, se déroulait avec une physionomie plus calme, en longs flots de promeneurs, sur chaque côté de la chaussée. Elle se pressait déjà à l’entrée des théâtres et bourdonnait comme un essaim d’abeilles devant la maison de la galette du Gymnase.

-Cette fois, dit mon oncle, tu n’as plus de prétextes à m’opposer, – et ouvrant les yeux avec une avidité curieuse et gourmande, il chercha à se glisser jusqu’à la portée de la pâtisserie. Il y parvint à travers une foule de femmes, d’enfants, de jeunes gens et d’hommes au regard mûr qui faisaient queue à la Galette du Gymnase, ni plus ni moins qu’à l’entrée du théâtre. Il en était parmi eux peut-être, et non des moins élégants, dont le morceau de pâte succulente allait composer tout le dîner. On en voyait des pyramides sur l’étalage de la boutique, les unes en forme de cônes, les autres en ellipse et les autres triangulaires, selon la forme géométrique des gâteaux qui étalaient, sous l’éclat des becs de gaz, leurs surfaces blondes, appétissantes et dorées. Des femmes étaient occupées derrière l’étal, à couper, au fur et à mesure des demandes, dans des galettes grandes comme la lune, et à en distribuer les morceaux aux solliciteurs, en échange des sous qui pleuvaient sur la nappe.
Mon oncle avait réussi à s’emparer de deux énormes tranches, l’une qu’il gardait pour ma tante, l’autre qu’il portait victorieusement à la main, tout en y mordant à belles dents de temps à autre.
– Je ne mourrai donc pas sans en avoir mangé, répétait-il d’un ton de triomphe.
– On meurt quelquefois pour en avoir mangé, mon oncle, surtout lorsqu’on y va aussi avidement que vous.
– Bah ! on voit bien que tu ne connais pas la galette de sarrazin. »

Le lendemain, l’oncle reçoit une lettre de sa femme qui le prie de rentrer à Châteaulin pour régler une affaire avec son notaire. Et l’oncle de conclure : « Ce brave notaire, il ne pourra plus m’humilier en faisant l’écarté (1), parce qu’il est venu à Paris et qu’il a mangé de la galette du Gymnase ! ».

Le marchand de galette du Gymnase. Gravure illustrant l’article de L’Ami de la maison, 7 février 1856.

L’article de Nibelle est de 1856, mais la galette du Gymnase était déjà renommée bien avant cette date. Il y est fait allusion dans une pièce de théâtre comique intitulée Paris dans la comète, de Dumanoir, D’Ennery et Clairville, représentée pour la première fois au théâtre des Variétés le 22 décembre 1843. Des voyageurs de la Terre sont installés dans la comète (elle traversa le ciel en mars 1843) et y conversent avec ses habitants imaginaires.
Dans l’acte II, scène V, l’un des personnages nommé Trompette, présente « M. Rouleau, marchand de galette, près du Gymnase… pâtissier Pompadour qui grâce à moi, ne fera point four, comme son voisin le théâtre. » Il y a des jeux de mots dans cette réplique (faire un four, c’est  ne pas avoir de spectateurs, mais en avoir un permet de faire cuire la galette, et Rouleau est un nom bien trouvé pour un pâtissier qui utilise l’instrument du même nom – mais c’était peut-être le véritable patronyme du pâtissier créateur de la galette du Gymnase ?).

L’hebdomadaire L’Illustration n° 251 du samedi 18 décembre 1847 évoque lui aussi la célèbre galette, p. 244, dans un article intitulé « Voyage intra-muros » :

« Libre à lui d’acheter dix centimes de galette en même temps qu’on va lui servir pour six sous de plaisir dramatique, tant il est vrai que le vaudeville et la pâtisserie se touchent et mêlent volontiers leurs produits.
On peut dire que cette galette du Gymnase et son magasin en détail deviennent effectivement le théâtre de toutes sortes d’exercices gymnastiques : le pâtissier et son clerc reçoivent incessamment l’assaut sur toute la ligne ; ils ont beau déployer leurs feux, jouer du couteau et trancher dans le vif, l’ogre est insatiable, son appétit semble redoubler le soir, et nôtre artiste en pâtes fermes ne compte jamais plus d’appréciateurs qu’à l’heure du spectacle. Ainsi que le peuple et les quirites de l’ancienne Rome, la populace et le bourgeois de nos jours poussent à l’envi ce cri immortel : Panem et circenses ! traduisez : Des spectacles et de la galette !
Devant cette boutique en éruption et ce Vésuve de petits pâtés, vous voyez que les rangs se confondent et que tous les partis s’abouchent, de sorte que si le marchand de vins est le grand échanson de ce souverain qu’on appelle le public, on peut ajouter que le pâtissier, et particulièrement celui du Gymnase, en est le plus grand pannetier.

La galette, gravure de L’Illustration du 18 décembre 1847

Son atelier gastronomique de dix pieds carrés n’a-t-il pas conquis une célébrité  nationale et même européenne, et n’a-t-il pas obtenu le plus grand succès de faiseur de brioches que nous ayons vu depuis quinze ans ? Cependant, lorsque sur tant de scènes différentes un si grand nombre de gens enivrés de leurs propres œuvres s’honorent du moindre plat de leur métier, on ne peut qu’admirer cette modestie d’un homme de bouche qui dérobe si obstinément son nom à la reconnaissance de ses concitoyens. »

Eh oui ! déjà à cette époque la gloire des auteurs et des acteurs était éphémère, mais la renommée de certaines pâtisseries créées dans l’anonymat traversait les décennies…

La galette du Gymnase, gravure de Gustave Doré.

En fait, le fondateur inconnu de la galette du Gymnase avait eu un prédécesseur  surnommé « M. Coupe-Toujours », qu’il avait détrôné sous le règne de Louis-Philippe, après 1830. C’est Alexandre Privat d’Anglemont (1815-1859), qui nous l’apprend lorsqu’il évoque le quartier du Mont-Saint-Hilaire (l’actuel centre du quartier Latin) dans Paris Anecdote (1854) :

Alexandre Privat d’Anglemont (1815-1859)

« Le Mont-Saint-Hilaire appartient tout entier à ces petites industries inconnues qui, en le faisant vivre, donnent à l’ouvrier la liberté et l’indépendance. L’esprit ingénieux et libre de l’enfant de Paris s’y est développé sur toutes ses faces. La petite fabrique y a pris des développements excessifs. Toutes les maisons renferment des inventeurs auxquels il ne manque qu’un plus grand théâtre pour devenir célèbres. C’est le véritable microcosme du genre humain.
Le fondateur des boutiques de galette sur le boulevard, le précurseur du brillant pâtissier du Gymnase, le fameux M. Coupe-Toujours, qui a laissé de si solides souvenirs à tous les estomacs sexagénaires, l’homme qui durant vingt ans a occupé toutes les bouches de la république, du premier empire et de la restauration, était originaire du Mont-Saint-Hilaire.
Il a fait une immense fortune à vendre des parts de galette à un sou, sur le boulevard Saint-Martin. Aujourd’hui, l’astre du Gymnase a fait pâlir son étoile. Il n’y a plus guère que quelques familles du Marais qui se souviennent de cette gloire déchue, et qui font encore venir, aux grands jours de galas, les jours de cidre et de marrons, le gâteau, si cher aux enfants de Paris, de la modeste boutique de cette ancienne renommée. Les gamins et les grisettes (2) de notre temps dédaignent sa pâte feuilletée (…). M. Coupe-Toujours avait fait ses études au fameux Puits-Certain, au coin de la rue Saint-Jean-de-Beauvais, une des plus vieilles maisons de pâtisserie du monde. Car sa renommée remonte au quatorzième siècle, et ses pâtés chauds sont encore aujourd’hui aussi en vogue qu’au beau temps de nos aïeux. »

Le théâtre du Gymnase au début du XXe siècle, carte postale.

Annie Perrier-Robert, dans son savoureux Dictionnaire de la gourmandise (2012), a consacré des lignes intéressantes à l’histoire de la galette parisienne :

« A Paris, la galette du Gymnase fut célèbre. Parmi les activités de la lorette (3)  au cours de la soirée, indique Victor Roqueplan, « se faire des petits bonnets, manger des pommes et de la galette du Gymnase » (La Vie parisienne). De fait, dans la capitale de la seconde moitié du XIXe siècle, la galette était l’une des pâtisseries les plus appréciées. Alexandre Dumas la définit comme une « espèce de gâteau plat cuit au four, illustrée par Paul de Kock, qui en fait manger aux grisettes parisiennes dans tous ses romans » ; « on en fait de différentes manières », ajoute-t-il. C’était donc une friandise extrêmement populaire, dont des marchands faisaient le commerce.

Certains devinrent même des figures emblématiques de la capitale, tel le Père Coupe-Toujours, originaire de Gisors, qui « tenait boutique » sur le boulevard Saint-Martin (Privat d’Anglemont, Paris anecdote).
« Ça et là, hors barrières, nous allions en promenade, quand nous étions enfants, pour manger de la galette en certains endroits très fréquentés. Nous connaissions plusieurs mères la galette, plusieurs débitants surnommés coupe-toujours, dont nous savourions les produits d’autant plus estimés par nous que la course à pied nous ouvrait extraordinairement l’appétit.
Parmi les meilleurs débits de galettes, on signalait ceux de la barrière des Deux-Moulins, près de la Bièvre, et de la barrière du Mont-Parnasse, toutes deux situées sur la rive gauche ; sur la rive droite, on stationnait patiemment devant les renommées de la porte Saint-Denis et du Gymnase, ou bien, le dimanche, on se dirigeait par groupes, le rire aux lèvres, jusque vers le vieux moulin de Montmartre, dit le Moulin de la Galette, de réjouissante mémoire. » Mais, lorsque parut ce texte dans La Mosaïque, en 1875, le célèbre moulin de la Galette n’était plus que l’ombre de lui-même… S’il ne fonctionnait plus depuis longtemps déjà, la guinguette à laquelle il prêtait son décor, le bal Debray, et où on pouvait consommer de la galette, allait être démolie.

Pourtant, les moulins à vent, utilisés pour moudre le blé de Paris, attirèrent longtemps les promeneurs à Montmartre ; comme l’écrit P. – E. Lamaison : « A la saison des fraises et des framboises les Parisiens montaient à Montmartre boire le petit vin du cru sous la treille des cabarets, et croquer la bonne galette faite avec la farine légère, légère, des moulins. Le charançon n’était pas encore inventé. Les galettes du moulin Blutte-Fin étaient les plus réputées, et ce moulin finit par s’appeler le Moulin de la Galette. »

Le moulin de la Galette vers 1840. Selon le site paris1900.lartnouveau.com, d’où est issue cette gravure, « le Moulin de la Galette est en réalité constitué de deux moulins : le « Blute-fin » et le « Radet » (…) Son nom provient de la galette, un petit pain de seigle que les meuniers Debray débitaient, accompagné d’un verre de lait ».

(1) Jeu de cartes très en vogue au XIXe siècle.

(2) Une ouvrière de la confection, une dentellière, une vendeuse dans ce secteur.

(3) « Jeune femme élégante vivant de ses relations avec les hommes » (Larousse de 1873).

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