La canne sera rognée

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Nous observons que sur certaines photographies des années 1880 aux années 1910, des Compagnons boulangers du Devoir portant  des cannes de courte  dimension, côtoyant d’autres Compagnons ayant en main des cannes bien plus grandes (de dimensions similaires à nos cannes contemporaines).

Détail d’une photographie des Compagnons boulangers du Devoir de l’Union Compagnonnique, Nantes, Saint Honore 1901 (Union Compagnonnique, Manoir de la Hautiere)

Pourquoi  ces Compagnons boulangers  portent ils des cannes courtes ?

C’est la Constitution des Compagnons boulangers du Devoir, établit a paris le  9 décembre 1860, jour de leur reconnaissance par les Compagnons Tondeurs de draps, Cordonniers-bottiers et Blanchers- chamoiseurs, qui nous donne la réponse :

Article 9 :

« Les compagnons Boulangers du Devoir porterons à l’avenir une canne de jonc et la pomme blanche en ivoire, yeux en ivoire, et un cordon de soie, la canne ayant un mètre de longueur, embout compris, à partir du jour de reconnaissance pour tous Compagnons sans distinction ».

Voici un extrait du procès verbal, date du 15 décembre 1861 a Blois  Fondation, un an après la reconnaissance du 9 décembre 1860,  passée entre les Compagnons boulangers du Devoir de « Blois Fondation », représentés par Constant BOUTIN, Saumur plein d’honneur, Premier en Ville  et délégué de la Cayenne de Paris, chambre administrative du tour de France et Beauceron va de bon coeur, Compagnon Blancher-Chamoiseur, délégué par les trois corps signataires de la reconnaissance du 9 décembre 1860 a Paris, qui ont convenu des modifications suivantes :

….art 49 : Pour la longueur des cannes a partir de ce jour (15 décembre 1861) tout compagnon faisant l’achat d’une canne, la longueur ne devra pas dépasser un mètre a un mètre cinq centimètres, grand embout compris, sous peine qu’à la première ville ou il arrivera, on devra lui la rogner.

En modification/ajout  de cet article 49  du règlement approuve par la grande majorité des 20 Cayennes composant le tour de France, en assemblée générale, chacune en leur chambre respective du 10 février au 27 avril 1861 (tour des villes par Saumur plein d’honneur):

Les compagnons boulangers du devoir porterons à l’avenir la canne de jonc d’un mètre de longueur embout compris, pomme blanche en ivoire, yeux en ivoire, cordon en soie noire, car le symbole étant tout pacifique, et le principe  ne commandant que le bien, il est ridicule et inopportun de porter des grandes cannes qui représentent un caractère agressif et ne font pas honneur aux compagnons qui les portent ».

Cela concerne que les  Compagnons reçus après cette date, les compagnons reçus antérieurement ne changeant pas de canne.

Nous ignorons si cette mesure disciplinaire de « rogne la canne » a été mise en application, mais dans tout les cas, elle devait avoir une certaine force de dissuasion à l’égard des nostalgiques des « bâtons de longueurs ».

Sans titre29De Perdiguier vers 1862

Les Compagnons boulangers ne sont pas une exception a ce sujet, en effet, nous trouvons dans la « Constitution donnée par les Compagnons Selliers-Carrossiers du Devoir a leurs enfants les Compagnons Tisseurs Ferrandiniers du Devoir » le 31 octobre 1841.

Art.1 : Tout Compagnon Tisseur-Ferrandinier devra, sur le T. :D. :F. : porter une canne a hauteur de hanche de celui qui la porte ou plus basse si cela lui convient, et aucune ne pourra dépasser cette règle par nous établie »

Signé par :

-les Compagnons Selliers-Carrossiers du Devoir.

-les Compagnons Blanchers-Chamoiseurs du Devoir.

-les Compagnons Vanniers du Devoir.

-les Compagnons Teinturiers du Devoir.

-les Compagnons Chapeliers du Devoir.

-les Compagnons Cordiers du Devoir.

-les Compagnons Tanneurs-Corroyeurs du Devoir.

-les Compagnons Tondeurs de drap du Devoir.

Nous trouvons aussi dans la constitution donnée par  les Compagnons tondeurs de drap du Devoir le 10 novembre 1850 aux Compagnons cordonniers bottiers du Devoir,  à l’article 6. : « Ils porterons (les Compagnons cordonniers-bottiers) la canne en jonc de 1 mètre en plus de la longueur de l’embout en cuivre, pomme noire, cordons de soie ».

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Nous observons sur ces deux portraits en pied, Compagnon Blancher-Chamoiseur (inconnu), et Compagnon Tanneur (Jules-Napoleon BASTARD), Compagnons appartenants aux corps ayant reconnu les Compagnons boulangers en 1860 et en 1865, qu’ils portent des cannes longues, et non des cannes courtes comme les Tisseurs Ferrandiniers (a  partir de 1841) et les Boulangers (a partir de 1860). Cela vient du fait que les « anciennes » sociétés  conservent cette usage de la canne longue, mais celles ci imposaient une canne courte aux nouvelles sociétés, cela pour deux raisons, la soumission du corps qui est reconnu au corps qui le reconnait, nous observons la même pratique que pour le port des couleurs à la boutonnière, la corporation reconnu devant porter les couleurs à une boutonnière en dessous de ceux qui reconnaissent, puis, la volonté d’imposer par un règlement, en l’occurrence la constitution octroyée, des relations pacifiques.

Sur le très bon site « Centre de Recherche sur la canne et le bâton », voici un extrait  de l’article écrit par Monsieur  Laurent Bastard, le 20 novembre 2012, intitule : « Plus de bâton de longueur ».

« ..Notre arrière-grand-père, compagnon tanneur du Devoir, écrivait vers 1868, parmi une liste de réformes souhaitables :

« (Il faut) supprimer la canne de longueur, ne porter qu’une canne de 1 m 10 cent. »

C’était à cette époque une demande pressante des compagnons progressistes et pacifiques, qui voulaient mettre fin aux rixes entre membres de sociétés ennemies et apparaître aux yeux des autorités comme des ouvriers observant les lois. De petites cannes, voire plus de cannes du tout, était le voeu des compagnons les plus réformistes de la fin du XIXe siècle, ceux qui militèrent dans la Fédération compagnonnique de tous les Devoirs réunis (1874) puis dans l’Union Compagnonnique (1889). »

En 1859, le compagnon boulanger Louis Pierre JOURNOLLEAU publia son recueil intitulé « L’Innovateur – Recueil de chansons nouvelles dédiées à tous les compagnons du Tour de France indistinctement », qui fut réédité en 1870 et en 1907 (à titre posthume)*. Ce compagnon, dit « Rochelais l’Enfant chéri » (1814-1882) appelait ses Pays et Coteries à se réconcilier en faveur d’un Compagnonnage unifié sinon unique. Il est l’auteur d’une chanson intitulée « Plus de bâton de longueur », où il exhorte ses frères à abandonner ces « triques gigantesques ». Comme il l’écrit lui-même dans le premier couplet, cette chanson ne figurait pas dans la première édition de ses oeuvres. Elle a donc été écrite après 1859 et publiée en 1870. La voici, telle qu’elle figure dans l’édition de 1907, p. 53-54. »

  • Une troisième réédition de « l’INNOVATEUR » fut réalisée pour le séminaire des Compagnons Boulangers et pâtissiers du Devoir, qui se déroula à La Rochelle les 11-12 avril 1999.

PLUS DE BATON DE LONGUEUR

AIR : Le Forçat libéré

Puisque la paix, frères du Tour de France,
Vient d’établir son domaine chez nous,
Des corps d’état célébrons l’alliance,
Soyons heureux d’un bonheur aussi doux.
D’un sujet neuf, Compagnons que j’honore,
J’augmente, ici, l’illustre « Innovateur »,
Je viens parler du bâton de longueur,
C’est un abus qu’il faut détruire encore.

De l’amitié savourons les douceurs,
Laissons en paix nos bâtons de longueur. (bis)

De ces bâtons que j’abhorre et déteste,
Que l’amitié doit bannir à jamais,
Joyeux enfants, je le dis sans conteste,
C’est un fléau peu digne du progrès ;
Réformons-le d’un accord indicible,
Ne craignons plus d’ennemis sur le Tour,
Puisque nos coeurs sont liés par l’amour,
Suivez les voeux d’un compagnon paisible.

De l’amitié savourons les douceurs,
Laissons en paix nos bâtons de longueur. (bis)

Je me souviens de ces luttes sanglantes,
Car jeune alors je parcourais les champs,
Je me souviens de ces lames tranchantes,
De ces propos mauvais et discordants ;
De l’oppresseur pardonnant l’ignorance,
De l’opprimé j’étais le défenseur ;
Du beau Devoir, chaleureux sectateur,
Je prêche encore la paix du Tour de France.

De l’amitié savourons les douceurs,
Laissons en paix nos bâtons de longueur. (bis)

Ne portez plus ces triques gigantesques,
Triste décor, le progrès n’en veut plus ;
Ne chantez plus de ces couplets grotesques.
L’homme sensé repousse ces abus.
Si vous suivez mes conseils, je l’espère,
Présage heureux d’un délirant bonheur,
L’Enfant Chéri vient en réformateur
Vous assurer d’un avenir prospère.

De l’amitié savourons les douceurs,
Laissons en paix nos bâtons de longueur. (bis)

Apres la période fraternelle des années 1862-1880, des tensions réapparaissent entres deux groupes de compagnons, ceux qui sont pour un compagnonnage traditionnel et corporatif (qui donneront naissance à la fraction des Compagnons restes fidèles au Devoir du Ralliement), et ceux qui sont pour un compagnonnage inter corporatif et unifié (qui donnera naissance à l’Union Compagnonnique). La première partie, certainement dans un besoin d’affirmer son attachement au passé, abandonne progressivement ces cannes courtes, et revient aux cannes longues de leurs « anciens », comme celles que nous utilisons aujourd’hui. La seconde partie, malgré sa volonté de rénovation fraternelle des compagnonnages, faisant certainement progressivement de même, afin de rendre la pareille.

Ce retour ce fait sans nouveaux règlements, sans décisions de congrès, c’est une démarche individuelle qui apparait progressivement.

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Groupe de Compagnons Boulangers et Pâtissiers restés fidèles au Devoir, avec cannes hautes en main (Photo.RFAD.2012).

Laurent Bourcier, Picard la Fidélité, C.P.R.F.A.D.

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