Je serai boulanger

C’est dans un cahier manuscrit comportant des poèmes et de courts récits à caractère moral et patriotique, trouvé sur une brocante, que figure le poème intitulé « Je serai boulanger ».

Il n’est ni signé ni daté. Seuls quelques-uns des 28 textes sont issus des œuvres de François Coppée, Victor Hugo, Paul Déroulède, et autres écrivains du XIXe siècle,  On peut dater approximativement ce cahier de la fin du XIX e ou du début du XXe siècle.

Il est vraisemblable que ces textes ont été dictés par un maître d’école mais peut-être ont-ils été copiés par un jeune homme ou une jeune femme à titre personnel.

Toujours est-il que ce recueil renferme un charmant poème dont le contenu était de nature à faire verser une petite larme autrefois aux parents et aux enfants…

JE SERAI BOULANGER

Une veuve, à ses fils, assis sur ses genoux
Demandait tendrement : « Que ferais-je de vous ? »
Elle était pauvre, hélas, mais, dans son cœur de mère
Rêvait pour ses enfants fortune moins amère,
Et devant l’âtre vide, ainsi que le buffet,
Voyait Paul général et Gustave préfet.
Les deux frères songeaient…, et chacun en soi-même
Cherchait une réponse à ce grave problème.
La veuve interrogea de nouveau ses enfants :
« Voyons, dit-elle à Paul (un bambin de sept ans)
Réponds ; que feras-tu ? – Je serai militaire. »

Dit Paul en brandissant un sabre imaginaire.
Fière de lui, sa mère aussitôt l’embrassa :

« Bravo ! s’écria-t-elle. Eh ! bien, nous verrons ça.
Et toi, fit elle alors au plus petit bonhomme,
Que feras-tu plus tard quand tu seras [un] homme ?

« Moi, répondit l’enfant, je serai boulanger
Pour que toujours maman ait du pain à manger. »

 

La mère imagine pour ses fils un destin conforme aux ambitions de la IIIe République : général ou préfet, c’est-à-dire les soutiens des institutions publiques.

On remarquera que les projets des enfants sont complémentaires. L’un rêve de gloire et a été séduit par le prestige de l’uniforme, l’autre se donne pour mission de nourrir sa mère par son travail.
Ce raccourci est à l’image de la France d’après la défaite de 1870. Entretenus dans l’idée d’une revanche pour effacer le désastre de Sedan et reprendre aux Allemands l’Alsace et la Lorraine, les écoliers étaient habitués par leurs instituteurs à considérer l’armée comme un instrument de promotion sociale et la défense de la patrie était un devoir qui n’était pas contesté.

Mais le plus jeune des deux enfants a une ambition à la fois plus modeste, moins égoïste aussi, mais tout aussi louable, celle de nourrir ses semblables par son travail, et d’abord sa mère. Il exprime l’autre devoir sacré enseigné depuis des siècles, qui est d’aider ses parents quand ils vieillissent et sont dans le besoin.

Un petit boulanger pétrissant. Cette photo a été utilisée à des fins publicitaires et patriotiques, jouant sur l’homonymie du métier et du général Boulanger, célèbre à la fin des années 1880 lorsqu’il se lança dans la politique. C’est pour cette raison que le bambin est coiffé d’une casquette militaire.

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